• Aucun résultat trouvé

6 CADRE THÉORIQUE

6.1 RE SSOURCE S E T GENE SE S D’USAGE S

6.1.1 MI LI E U – RE SSO URC E S N UMÉ RI Q UE S

Le choix des enseignants d’utiliser des formats numériques pour les supports pédagogiques est un acte de « traduction » (LATOUR, et al., 2006 p. 12). Il induit une « nouveauté » dans les formats d’écriture mais aussi dans l’agencement des informations, les possibilités de construire du sens à partir d’ingrédients de base qui ne sont plus seulement des caractères de plomb de l’imprimerie mais des ressources numériques complexes, des multi médias, données et métadonnées.

Pour ce qui est de sa finalité, qui touche à la construction de la pensée, une classe est un écosystème et alors que bien des processus ne s’y voient pas à l’œil « nu », quasiment un « micro48»cosme : en effet, les transformations et les actes de lecture internes du sujet ne donnent pas systématiquement de signes visibles. Ainsi vouloir observer ces actes de lecture serait prétentieux (JEANNERET, 2007). L’intégration des outils Internet dits World « Wide49 » Web interroge les « dimensions » et oblige à considérer ce qui produit l’intégration de savoirs et ce qui entre dans l’équation de la transformation d’un réel externe en réel interne. Le lien entre réel externe et interne se tisse de ce que « la pensée de science - pensée de survol, pensée de l’objet en général - se replace dans un « il y a » préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible et du monde ouvré tels qu’ils sont dans notre vie, pour notre corps »(MERLEAU-PONTY, 1964). Le corps du sujet qui entre en relation avec le monde, expérimente au travers d’outils TICE, engage une traduction d’informations sans relation sensible avec le contexte local.

Les théories de la communication et de l’innovation ont déjà permis de définir des critères de caractérisation des actes de langage et d’observer la réalité et la portée de la traduction des échanges pédagogiques dans les supports numériques. Au croisement de l’information, de la communication et de l’innovation technologique, nous observons comment « le cadre sociotechnique n'est pas la somme du cadre de fonctionnement et du cadre d'usage, mais une nouvelle entité » (FLICHY, 1995). L’évolution de la nature et de la granularité

nouvelle rhétorique du discours ainsi que le définit SAEMMER dans le numéro « Empreintes de l’hypertexte » de la revue « Les cahiers numériques ». L’enchainement des gestes qui permettent d’accéder de liens à liens à une troisième dimension en « profondeur » d’un texte auparavant linéaire permet de « préciser et renforcer les signifiés de celui-ci, par un processus que je qualifierai d’« irradiation iconique ». Lorsque cette irradiation est poussée à l’extrême, il se crée un simulacre de référent qui peut constituer un puissant facteur d’immersion. » (SAEMMER, 2011 p. 47).

6.1.2 AC T I ON S – DE LA PE RCE PT I ON À L A RÉF LE XI ON Le savoir est un objet complexe dont les deux composantes, les dimensions de Gnose et d’Epistémè sont complémentaires et interactives. La première rassemble les objets de connaissance et d’information dont le sujet dispose et qu’il engage dans la construction de la deuxième, ensemble de recherches et de décisions qui permet au sujet de vivre et agir en société-système. (LERBET, 1995 p. 64). Elles sont « résultantes » non chronologiquement ordonnées d’une « co-action » des savoirs avec les interactions qui permettent de les atteindre et de les énoncer: « La relation pédagogique et les savoirs deviennent alors l’un comme l’autre et de façon enchevêtrée, à la fois contenus et contenants du rapport de chaque élève à l’autre et au monde commun » (LERBET-SERENI, 2003 p. 26).

Par des références symboliques à la mythologie50, LERBET-SERENI (2010) envisage le sujet dans sa relation à son mystère, à « l’autorité »51, une réalité des effets de groupe où se tissent les relations et interactions polymorphes du sujet au milieu (LERBET-SERENI, 2006 p. 3) . Il ne faut pas passer trop vite sur cette référence, car elle souligne que l’enseignement tire de sa nature de « rencontre de deux autonomies liées par une relation elle aussi susceptible d’autonomie » le caractère de « métier impossible » dénoncé par FREUD.

En considérant la relation dyadique comme système, LERBET-SERENI projette l’univers des logos, savoirs, organisation des savoirs, sens des savoirs, dans l’univers du lien (legein, interaction, trans-action, co-action) en montrant qu’on ne perd rien à envisager le savoir dans cette perspective. « L’organisation des savoirs (…) aura à être construite dans

50 L’auteur précise : du grec « muthos » qui avance vers la « méthode » qui permet de penser le « logos » 51 L’auteur précise : du latin « augeo », qui signifie « j’augmente ». Je fais autorité pour l’autre si, d’en passer par moi, il s’augmente.

l’échange, en fonction des partenaires en présence, et pas seulement des règles externes strictement venues d’ailleurs. » « L’interaction scellera un dialogue et des activités ». « La co-action développera la recherche obsédante du sens commun, conjoint jusqu’à occulter toute possibilité de véritable action : ni inter, ni trans, ni intra » Dans ce modèle les « intra-inter-trans-co actions sont toujours susceptibles de s’organiser à leur guise 52 » s’enchevêtrent dans un nœud paradoxal qu’incarne chaque acteur responsable de la dyade (LERBET-SERENI, 2003 pp. 19,21,25).

LERBET (1995 p. 67) spécifie que « les outils technologiques de l’information et de la communication, s’ils ne portent que de l’information contribuent à la pensée de science et à la construction des connaissances individuelles au travers du phénomène de l’équilibration piagétienne où l’un et l’autre s’actualisent mutuellement ». Le savoir, enjeu des interactions pédagogiques se cristallise, se matérialise et s’exprime dans des signes, les corps, les objets. Les objets techniques, participant aux interactions, entrent dans le milieu d’individuation comme acteurs (SIMONDON, 2005). L’introduction des TICE est un artefact de réorganisations des dévolutions53 mis en œuvre par l’enseignant. Il intervient dans la logique et instrumente le travail des apprenants dans l’acte cognitif d’apprentissage qui consiste à relier science et pensée de sciences, connaissance et objets de connaissance, savoirs et informations, Gnose et Epistémè, emploi des définitions et activités de recherche.

Nous chercherons à différencier dans le discours des élèves ce qui se rapporte à l’un et à l’autre, et comment l’apprenant construit des liens entre énoncés et activités.

Ressources Activités

Science Pensée de science

Enoncé des Définitions Activité de recherche

Choix d’une définition

Gnose Epistémè

Savoirs, informations Traitement des informations

Attention, perception, mémorisation Réflexion, imagination, production

Notre approche compréhensive de la relation pédagogique s’appuie sur cette caractérisation différenciée des éléments de savoir.

Il s’agit d’observer si l’apprenant s’investit dans le désir des objets de savoir pour l’assouvissement des pulsions scopiques de la perception et de la nominalisation, ou dans celui des dynamiques cognitives de la compréhension.

Quand l’expérience d’un jour nourrit ou altère la confiance du lendemain, elle se nomme espace potentiel (WINNICOTT, 1969/ 2010). Les savoirs, comme ressource ou expérience, participent tant à la structuration symbolique de la personne que nous questionnerons quels autres transferts vont s’opérer par la réorganisation du milieu et l’introduction de ces nouvelles ressources, miroir du monde ou aux alouettes, écrans et mondes sur lesquels ils s’ouvrent. Si « Les espaces numériques offrent aux internautes une illusion permettant d'apprivoiser la complexité de soi et d'autrui » (RINAUDO, juin 2012 p. 29), cette illusion serait médiatrice.

Nous nous intéressons aux genèses instrumentales des enseignants qui « élaborent leurs instruments ». Ce « FAIRE » est engagé pour produire des apprentissages c’est-à-dire du « POUR » qui sont aussi genèse instrumentale mais interne de la pensée des apprenants, traduisant « naturellement » cet accompagnement du maître envers « l’Apprenance » (CARRE, 2005) de l’élève. « Naturellement », c’est-à-dire par une ergonomie libérée des déterminismes technologiques basés sur une logique documentaliste et adaptée à l’ergo du pédagogue qui prend « soin » de donner une portée sémiotique aux ressources, de situer didactique et pédagogie par rapport à l’apprendre, savoirs et disponibilités, du lecteur, de placer les instruments dans la zone proximale de l’apprenant.

L’utilisation de ressources diverses dans une composition libre dirigée par le projet de l’auteur est une catachrèse. Dans ce processus d’invention, ce n’est qu’à la condition que la machine puisse « assumer la fonction programmée par le sujet » qu’il y a genèse instrumentale. (RABARDEL, 1995 p. 123) Dans ce contexte, les enseignants sont eux-mêmes en situation de questionner leurs déterminismes pédagogiques, c’est-à-dire leurs représentations du genre de leur activité (CLOT, 2008).

Nous observerons si les genèses instrumentales des catachrèses technologiques entraînent d’autres genèses inattendues.

Documents relatifs