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Les rassemblements internationaux de francoprovençal appelés aussi « Fêtes du patois » ou encore « Fêtes du francoprovençal » ont lieu tous les ans, généralement au mois de septembre. Le lieu change chaque année entre les trois pays de l’aire francoprovençale, bien que majoritairement les rassemblements aient lieu en France et en Italie. En 2006

315 Extrait de l’Étude FORA, page 115. 316 Ibid. , page 116.

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c’est la ville de Cogne en Italie qui accueille le rassemblement, Saint Symphorien dans les Monts du Lyonnais en 2007, Carema dans le Piémont italien l’année suivante, Bourg Saint Maurice en 2009, Aoste en 2010 et cette année le rassemblement a lieu dans la Chartreuse savoyarde aux Entremonts. Nous nous baserons essentiellement sur ces rassemblements passés et à venir puisque du fait de leur proximité temporelle, il est facile de s’en procurer la documentation et les présidents qui y ont participé avec leurs associations peuvent témoigner. Nous expliquerons de manière générale ce que sont ces rassemblements, puis nous mettrons en perspective les rassemblements qui se sont déroulés en France et Italie.

Une organisation type

La fête, selon la définition de Rémi Dalisson318, est une constance des sociétés en général. Ce n’est que tardivement que les historiens s’intéressent à elle et ce à travers le prisme du folklore, du religieux mais rarement du politique. Toutefois, elles sont devenues des objets d’histoire culturelle ainsi que sociale, « puisqu’elles allient émission et réception, transferts et politiques symboliques pour former une sociabilité originale319 ». Il est donc intéressant d’étudier ces manifestations révélatrices de la sociabilité francoprovençale.

Rémi Dalisson explique que la fête est régie par un découpage temporel précis, « au matin la didactique civique officielle, et parfois religieuse, avec ses usages formels comme les discours (…), ou emblématiques comme les inaugurations et les banquets. L’après midi était consacré aux loisirs (…) ». Phénomène que nous pouvons observer pour les différents rassemblements car leurs déroulement est sensiblement le même tous les ans. Si l’on compare les différents programmes que nous avons, on remarque que le samedi matin est réservé à l’accueil des groupes. Tandis que l’après midi les patoisants peuvent, soit découvrir la ville qui les accueille, des visites organisées ont lieu des lieux emblématiques et représentatifs de la culture locale, soit assister au colloque et réunion qui ont lieu avec les spécialistes de la question francoprovençale. En 2007, le colloque s’intitule « la revitalisation du patois »320, en 2008 il s’agit de rencontres et débats en francoprovençal sur les thèmes suivants : « le francoprovençal à la radio » et « Les vins du domaine

318 DALISSON Remi. Article Fête. In DELPORTE Christian (dir), MOLLIER Jean-Yves, SIRINELLI Jean- François. op.cit. , pages 326-329.

319 Ibid. , page 326. 320

francoprovençal », ainsi qu’une présentation des nouveautés éditoriales321. En 2009, l’Association des Enseignants de Savoyard/francoprovençal (AES) anime également un colloque. En 2010, c’est cette fois une table ronde sur le thème « langue et identité322 ». De manière générale à la fin d’après midi, on favorise le mélange des groupes autours de marchés de produits locaux et d’animations comme des ateliers de métiers anciens par exemple. Tous les groupes se retrouvent ensuite pour un repas commun, où tous se mélangent et interviennent, prolongeant la soirée par une veillée, un spectacle ou un bal populaire. Le dimanche matin, une messe en patois est célébrée, suivie d’un défilé en costumes de tous les groupes.

Figure : Groupes lors du défilé pour le Rassemblement à Carema en 2008.

Les discours officiels des autorités sont prononcés avant le repas, où tous les groupes se retrouvent de nouveau. L’après midi est consacré aux interventions, souvent musicales, des groupes. Les patoisants peuvent de ce fait échanger et rencontrer des locuteurs venant de toutes la zone francoprovençale.

Au niveau de l’organisation même d’un tel événement, M. Claude Longre nous a évoqué le travail de longue haleine que cela nécessite. En effet, on compte un millier de personnes en moyenne à ces rassemblements. Cela sous entend donc des structures capables d’accueillir autant de personnes, une organisation importante et autant de main d’œuvre pour veiller au bon déroulement de la fête. Les enjeux sont donc considérables et ce à différents échelles, c’est ce sur quoi traite notre prochaine partie.

321 Annexe 31 : Programme du rassemblement de Carema, Volume II- pages 65-66. 322

Enjeux et conséquences

L’un des enjeux principaux de l’existence de ces rassemblements, c’est tout d’abord la visibilité du francoprovençal. Grâce à eux, le patois peut être vu, entendu puisque ces fêtes du francoprovençal sont ouvertes au public. Elles permettent de prouver que le patois n’est pas une langue morte et que beaucoup se rassemblent et s’organisent pour cette cause. Le rassemblement est l’évènement majeur du calendrier francoprovençal, la langue y est plus vivante que jamais. Leur préparation et conception génèrent la création de documentation, d’expositions et nombreux projets artistiques. Les organisateurs se doivent de tenir leur rôle d’hôtes et de faire connaître leur région, ainsi que la place qu’y occupe le francoprovençal. Les groupes, qui participent, présentent chansons, saynètes ou poèmes en francoprovençal. Il s’agit donc d’un véritable point culminant quant à la production francoprovençale. La reviviscence est assurée par la visibilité et la création orale ou écrite.

D’autre part, le rassemblement est le moment de l’année où se rencontrent les spécialistes du francoprovençal des trois nationalités. On a évoqué la place de cette réunion en présentant le déroulement de la fête. Le francoprovençal y est abordé selon différents thèmes, ainsi les scientifiques et les locuteurs, qui sont invités à participer, peuvent échanger et faire évoluer le débat en proposant de nouvelles modalités d’action et trames de réflexion. De ce fait, ces rassemblements permettent de faire avancer la question du statut de la langue en établissant des projets, notamment la traduction de bandes dessinées en patois ou création d’une web radio francoprovençale. De plus, le caractère et l’identité internationale du festival qui sont mit en avant, ainsi que celle de la région qui l’accueille reflètent l’importance des différentes échelles à prendre en compte. C’est ce qu’explique Caroline Moine323 dans sa définition du festival : « L’histoire de chaque festival montre de fait combien différentes échelles sont à prendre en compte pour tenter de saisir l’identité d’un festival et l’engagement de ses acteurs, des enjeux locaux aux enjeux internationaux. (…) Lieu de représentation et de sociabilité, le festival est également un lieu de transnationalité324 ».

Enfin, il convient de souligner l’aspect social de ces rassemblements qui ont la force de fédérer les locuteurs. Toutes les associations que nous avons rencontrés ont déjà

323 MOINE Caroline. Article festival. In DELPORTE Christian (dir), MOLLIER Jean-Yves, SIRINELLI Jean-François. op.cit., page 322.

324 Ibid..

prit par à ce genre de manifestations, de manière régulière ou non. Chaque président en à souligner l’importance que se soit pour la vie de l’association, de la langue mais aussi et surtout pour les locuteurs eux-mêmes. La convivialité et l’importance de se retrouver, trouvent une nouvelle dimension lors de ces rassemblements. Claude Longre explique que pour certains des adhérents, partir pour ces fêtes est une expérience unique qu’ils n’avaient jamais pu réaliser auparavant. De plus, il est important d’encourager les associations à s’ouvrir aux autres ; des jumelages et des ententes voient ainsi le jour. « Les occasions de rencontres sont donc très appréciées, la Fête internationale est attendue avec impatience par la plupart des associations du domaine francoprovençal325 ». Le président Claude Longre, attaché à ces manifestations et aux aspects positifs qu’elles ont sur la langue et les gens, nous a déclaré : « la langue nous rassemble et ça c’est quelque chose de tout à fait particulier, une langue et 36 cultures, et je trouve que c’est beau326 ».

Le rassemblement, festival ou encore Fête du patois a donc un rôle important puisqu’il réussit à fédérer de nombreux groupes de francoprovençal et met un terme à ce clivage temporairement. Il rythme l’année francoprovençale, porte de nouveaux projets et permet l’ouverture des associations entre elles. La situation évolue d’ailleurs et des événements comme la Fête Internationale du Francoprovençal, (…), favorisent cette synergie. Le très grand succès de la rencontre de 2007 à Saint-Symphorien sur Coise (…) ou de celle de 2008 à Carema (…) permettent de créer ou d’entretenir des liens entre associations327 ». C’est à l’Italie que l’on doit l’initiative de ces rassemblements qui au départ ne réunissaient que les groupes du Val d’Aoste et du Piémont. Après avoir étudié ce clivage est/ouest qui s’illustre aussi sur la question du rassemblement francoprovençal, il convient de mettre en perspective le Far-West francoprovençal à la « citadelle du francoprovençal328 ».

325 Extrait de l’Étude FORA, page 86.

326 Annexe 27 : Entretien avec M. Claude LONGRE, Volume II- page 46. 327 Extrait de l’Étude FORA, page 69.

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Chapitre 9 – Le cas particulier du Val d’Aoste : « citadelle du

francoprovençal »

« Le Val d’Aoste est une réalité plurilingue où plusieurs codes linguistiques coexistent, s’étant ajoutés au fil du temps et occupant chacun une place différente sur le plan juridique, politique, culturel et de la pratique langagière329». Le Val d’Aoste est la région italienne la plus concernée par le francoprovençal, c’est donc elle la plus documentée. Nous avons déjà précisé que le francoprovençal en Italie concerne le Val d’Aoste, ainsi que quelques vallées du Piémont et deux villages situés dans le Sud de l’Italie. En revanche nous traiterons ici davantage le cas du Val d’Aoste puisque les acteurs principaux du francoprovençal s’y trouvent, qu’il est entièrement concerné par la langue contrairement au Piémont et que compte tenu de sa proximité géographique il est facile de l’aborder.