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Partie 3 : les rapports aux savoirs de la physique

6. Rapports aux savoirs de la physique à l’université – Relation avec la maîtrise

6.2. Perception de la demande institutionnelle par les étudiants

6.3.3. Rapports aux savoirs disciplinaires

Ces rapports ont été caractérisés à partir de différents éléments déjà signalés dans le guide d’entretien (voir 6.3.1.2 p. 96) relevant du rapport à la physique, du rapport à l’apprendre en physique et du rapport à l’électromagnétisme. Je vais dans un premier temps présenter les

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caractéristiques communes aux trois types d’étudiants MC-, MC0 et MC+, puis ce qui est spécifique à chacun d’eux.

6.3.3.1 Eléments caractéristiques communs à l’ensemble des étudiants

Conformément à l’analyse qu’ils font de la demande institutionnelle (voir chap. 6.2 p. 95), l’ensemble des 12 étudiants interrogés cherche à apprendre prioritairement en physique les formules et le mode de résolution des exercices car « les TD, c’étaient des préparations à

l’examen ». Ils situent unanimement leurs apprentissages dans une approche procédurale :

« on a à faire un travail presque algorithmique » analyse d’ailleurs l’étudiant repéré MC+. Chercher à comprendre les concepts apparaît marginal, sinon inutile : « chercher à

comprendre ? Mais…ça correspond pas trop à ce qui est évalué » remarque un étudiant

MC0174.

Les étudiants ne connaissent pas ou connaissent mal l’histoire de la discipline qu’ils étudient ; il ne sont pas en mesure de citer des scientifiques (quatre ou cinq noms seulement reviennent sur l’ensemble de la population interrogée) ni de décrire la nature de leurs travaux autrement que de manière générique (par exemple la relativité pour Einstein), et parfois non pertinente (par exemple l’ampoule électrique pour Ampère). Aucun étudiant ne participe à des clubs scientifiques, et une moitié d’entre eux ne s’est jamais posé la question du fonctionnement d’objets courants comme le moteur électrique, la boussole ou le poste de radio.

Si la plupart d’entre eux veut enseigner, sept se destinent à l’enseignement des sciences physiques. Pour trois d’entre eux, ce choix est conjoncturel : ils n’ont pas réellement décidé d’enseigner la physique, ils auraient pu tout aussi bien selon eux enseigner l’histoire ou l’espagnol, s’ils n’avaient pas eu le souci de se laisser le maximum de portes ouvertes en s’orientant en 1ère S. Pour trois autres, il s’agit d’un projet récent après plusieurs réorientations. Ceux qui ont déjà donné des cours évoquent des arguments beaucoup plus pédagogiques que disciplinaires. De fait, la physique, et la perspective d’être enseignant de physique sont donc à l’origine du parcours universitaire de peu d’étudiants.

L’électromagnétisme est perçu comme « abstrait » et « difficile », nécessitant un usage intensif des mathématiques qui conduit à mettre encore plus l’accent sur la mémorisation et l’utilisation de formules. Les étudiants ont le sentiment de ne pas avoir de vision globale du domaine, de ne pas donner de sens physique aux concepts, et soulignent la difficulté qu’ils ont régulièrement à déterminer quelle est la formule pertinente dans un problème.

6.3.3.2 Eléments spécifiques des étudiants repérés MC-

Les étudiants repérés MC- déclarent ne pas avoir d’intérêt pour la physique (« j’en fais parce

qu’il faut en faire mais sinon… ») ou font preuve d’un intérêt conventionnel175 qui ne se matérialise pas à l’extérieur des études : ils ne lisent pas d’ouvrages ou de revues scientifiques, et déclarent ne pas connaître d’élément d’histoire des sciences.

Pour ces étudiants, la physique a pour fonction de décrire ou d’expliquer des faits concrets. Les liens entre l’élaboration théorique et l’investigation empirique sont rarement établis : le physicien utilise comme outil les mathématiques pour calculer, le matériel pour des expériences et des appareils pour des mesures. Les propos relatifs aux méthodes de recherche

174 Ces propos corroborent l’analyse sur les exigences de l’institution, menées au chap. 6.2 p. 95.

175 Un étudiant avance par exemple les propos suivants : « je trouve que ça explique certains domaines, que je

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sont caractéristiques d’une vision empirico-réaliste de la physique : pour ces étudiants, le physicien « part d’une observation pour essayer de comprendre ce qu’il se passe » ou encore « découvre de nouvelles formules » et fait un travail qui reste difficile à imaginer : « moi je

vois pas en quoi ça consiste, j’arrive pas à modéliser la chose ». Leur perception de la

physique apparaît donc réduite à certaines de ses pratiques scolaires : observer, mesurer, calculer, expliquer.

Les étudiants MC-, afin d’être à même de pouvoir refaire les exercices des travaux dirigés, essaient « de mémoriser la façon dont il faut raisonner pour arriver au résultat », même sans comprendre le sens des concepts en jeu et ce d’autant plus qu’ils ont des difficultés. Ce comportement est plus marqué en électromagnétisme où ils cherchent à identifier les « astuces des problèmes pour les retenir ». Certains font des fiches résumant strictement le cours et les travaux dirigés, sans aucune reformulation personnelle.

La mémorisation de connaissances est décrite comme une mémorisation à court terme, parfois de manière imagée (« on n’apprend rien vu qu’après ça nous ressort de suite »)! Aussi, interrogés sur ce qu’ils ont retenu en électromagnétisme, les étudiants citent des formules approximatives, des méthodes de résolution sans les décrire (utilisation de symétries), des noms de théorèmes, et quelques éléments épars et isolés de tout contexte. Ils ne parviennent pas à expliciter le fonctionnement d’objets courants du domaine, et s’ils essayent, ils tiennent des propos qui ont seulement l’apparence d’un discours scientifique par le choix des termes utilisés.

Dans la mesure où ils ne perçoivent pas les applications de l’électromagnétisme, l’intérêt de son étude est peu évident, hormis pour l’obtention du diplôme, pour réussir dans un prochain module ou encore pour l’enseigner plus tard.

6.3.3.3 Eléments spécifiques des étudiants repérés MC0

Les étudiants repérés MC0, (tout comme d’ailleurs l’étudiant repéré MC+) témoignent d’une curiosité et d’un intérêt un peu plus affirmés que les précédents : ils citent des domaines « qu’ils aiment » et font état du plaisir d’étudier ce qui « cherche à expliquer ce qu’on ne

comprend pas », évoquant « la dimension poétique » de certains domaines. Certains soulignent que si la physique les intéresse, la manière dont elle est enseignée ne les satisfait pas. S’ils ne lisent pas d’ouvrage ou de revue scientifique, ils s’intéressent tout de même aux musées scientifiques, et un peu aussi à l’histoire des sciences, à l’occasion d’émissions de télévision ou d’exposés.

Pour ces étudiants, la physique se caractérise par une recherche de savoir impliquant la dualité théorie-expérience et l’idée d’élaboration collective. Les mathématiques sont intégrées aux théories, reliées aux expériences et ont un rôle prédictif.

S’ils cherchent toujours à résoudre des exercices, la stratégie qu’utilisent ces étudiants pour y parvenir est différente : elle fait intervenir des reformulations, orales dans le cadre d’un travail de groupe ou écrites dans le cadre de la rédaction de fiches. Celles-ci ne constituent pas un simple résumé, mais une synthèse personnelle provenant de différentes sources, mise à l’épreuve des TD, avec le souci permanent de comprendre.

Même s’ils ne cernent pas réellement l’intérêt scientifique qu’il y a à étudier l’électromagnétisme et sont dans une perspective utilitaire comme leurs camarades repérés MC-, ces étudiants fournissent pour la plupart des explications correctes sur une majorité

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d’objets ou de phénomènes sur lesquels nous les avons interrogés. Par contre, ces étudiants ont du mal à présenter des éléments retenus à l’issue de leur cours d’électromagnétisme.

6.3.3.4 Eléments spécifiques de l’étudiant repéré MC+

Nous avons déjà signalé précédemment l’intérêt que revêt la physique pour cet étudiant et le plaisir qu’il retire de son étude, ce qui par ailleurs ne l’empêche pas de regretter aussi la manière dont la physique est enseignée.

Pour lui qui déclare avoir réfléchi aux finalités de la science, les théories, « créées » pour décrire et prévoir des phénomènes, sont évolutives et situées dans le temps. Si le physicien cherche des réponses, sa tâche consiste aussi à « formuler les questions ». De plus, cet étudiant évoque aussi à partir d’exemples, le fonctionnement des laboratoires de recherche et l’orientation de certaines de leurs activités.

Plus jeune, il a lu des ouvrages scientifiques et continue à en lire de temps en temps. Ses interrogations sur les rapports entre sciences et croyances l’ont amené à lire quelques ouvrages d’histoire des sciences mais sans les approfondir et il visite à l’occasion les musées scientifiques.

Il tire systématiquement au clair les points qu’il ne comprend pas en travaux dirigés. Il cerne mieux que ses camarades les enjeux scientifiques des apprentissages en électromagnétisme et il produit des explications construites, scientifiquement correctes à propos des objets courants sur lesquels nous l’avons interrogé.

6.3.3.5 En résumé

Il est possible de récapituler les informations obtenues sur les différents types d’étudiants, lesquels, majoritairement, accordent peu de valeur aux apprentissages en physique :

 les étudiants MC- : ils apprennent une discipline dont ils définissent de manière très approximative la fonction, les outils, les méthodes, dont ils ignorent le travail des acteurs et pour laquelle ils ont peu d’intérêt. Si certains comptent faire leur métier de son enseignement, c’est rarement le résultat d’un choix délibéré lié à la discipline. Ils ne cherchent pas à compléter leurs connaissances extérieurement à leurs études et, dans le cadre de celles-ci, il s’agit pour eux uniquement d’assurer ce qu’ils jugent essentiel, savoir refaire les exercices des travaux dirigés, en les apprenant par cœur si nécessaire. Pour eux, cette compétence passe par la connaissance des formules et des procédures de résolution. Les rapports de ces étudiants à l’électromagnétisme sont difficiles : le domaine est abstrait, rébarbatif, mal perçu ; les applications ne sont pas identifiées, et en tant que domaine d’étude, les étudiants ne lui voient pas d’intérêt autre qu’utilitaire ; ils n’ont pratiquement rien retenu de son étude ;

 les étudiants MC0 et MC+176 : si ces étudiants ne sont pas fondamentalement différents des précédents, ils ont une représentation plus cohérente de la discipline et de son fonctionnement, et ont quelques (rares) activités extrascolaires en physique. Si l’objectif est toujours pour eux de savoir refaire les exercices des travaux dirigés, ils cherchent plus à comprendre les éléments permettant de retrouver les procédures de résolution qu’à les

176 Même si ces profils ne sont pas identiques, d’une part ils présentent beaucoup de similitudes, d’autre part, il y a un seul étudiant repéré MC+. Il nous a donc paru plus judicieux de les regrouper dans les analyses, plutôt que de les opposer ou de les placer en continuité.

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apprendre, notamment par cœur, et ils tirent un certain plaisir à apprendre la discipline. Leurs connaissances en électromagnétisme leur permettent d’expliquer à peu près correctement des applications du domaine. Seul l’étudiant MC+ a une certaine vision des enjeux scientifiques de l’étude de ce domaine.

On peut donc dire, au vu des propos qu’ils tiennent, que les étudiants interrogés repérés MC- entretiennent avec les savoirs disciplinaires et particulièrement avec l’électromagnétisme, un rapport largement dominé par une composante strictement utilitaire. En effet, ces étudiants apparaissent mobilisés a minima, mus uniquement par des objectifs scolaires à très court terme, liés à l’obtention de leur diplôme. Si la composante utilitaire est toujours fortement présente chez les étudiants MC0 et MC+, elle est modulée par le souci de comprendre et de satisfaire une curiosité sur la discipline, et par le plaisir qu’ils en éprouvent, qui conduisent tous deux à une plus grande mobilisation en physique. Si l’on revient à l’explicitation du contrat institutionnel en vigueur à l’université (voir chap. 6.2 p. 95), on comprend bien que la composante utilitaire du rapport aux savoirs de la physique conduit à privilégier la maîtrise de l’utilisation d’expressions mathématiques et de procédures de résolution, absolument nécessaires pour réussir (mobilisation a minima, uniquement sur les exigences de l’institution), alors qu’une composante plaisir et intérêt d’apprendre conduit à réaliser des apprentissages dans d’autres domaines, au-delà de ce qui est exigé par l’institution, notamment sur des éléments permettant de donner du sens aux objets d’étude.

Enfin, chercher à comprendre ne suffit pas, ou n’est pas forcément nécessaire pour garantir la réussite à l’examen, témoin la répartition des étudiants de notre échantillon : 2 étudiants MC0 sur 5 sont repérés PI-, 22 étudiants MC- sont repérés PI+. D’autres facteurs interviennent, notamment la régularité dans l’étude : la plupart des étudiants PI- font une relecture sélective de quelques exercices des travaux dirigés quelques jours avant l’examen alors que la plupart des étudiants PI+ les réplique régulièrement.

Pour terminer ce résumé, il me paraît utile de faire deux remarques sur la manière dont ce travail sur le rapport aux savoirs177 a été mené :

 nous avons cherché à caractériser des rapports aux savoirs disciplinaires sans que cela soit prévu à l’origine de l’étude, ce qui nous a obligé à quelques acrobaties méthodologiques. Ainsi, nous avons souvent émis des hypothèses (notamment d’interprétation) à partir des résultats obtenus avec un groupe d’étudiants et nous les avons testées sur le groupe de l’année suivante. Néanmoins, la similarité des résultats obtenus en électromagnétisme et la similarité des enseignements dispensés, laissent croire à une certaine permanence dans le temps des caractéristiques des différents groupes ;

 cela nous a aussi conduit à repérer des comportements communs d’étudiants permettant de déduire des caractéristiques de leur rapport aux savoirs, plutôt qu’à identifier des phénomènes faisant constellation, susceptibles d’être intégrés au sein d’un idéal-type, notamment pour les étudiants MC0 et MC+, peu nombreux dans l’échantillon.

6.4. Conclusion

L’analyse précédente, qui confirme d’ailleurs l’hypothèse d’interprétation explicitée au chapitre 6.1.3 (p. 94), révèle aussi la forte composante utilitaire qui semble caractériser le rapport entretenu par les étudiants de notre échantillon avec les savoirs de la physique. Elle

177 Le terme de « rapport aux savoirs » sans autre explicitation renvoie systématiquement dans ce document à « rapports aux savoirs de la physique »

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révèle aussi l’existence d’une relation entre la maîtrise conceptuelle en électromagnétisme et le rapport aux savoirs des étudiants qui peut s’interpréter par la nature de la posture à l’égard des études qui peut lui être associée :

 les étudiants dont le rapport est strictement utilitaire, se conforment a minima aux exigences institutionnelles et cherchent, pour réussir, à acquérir des compétences procédurales de résolution d’exercice sans réellement s’intéresser au sens des concepts en jeu, à leur relations, au sens physique des outils mathématiques ; aussi les réponses qu’ils donnent au questionnaire auquel nous les avons soumis178 nous amène à les repérer comme ayant une faible maîtrise conceptuelle ;

 ceux qu’un rapport au savoir certes utilitaire mais teinté d’une composante plaisir de comprendre et d’apprendre, entraîne vers une plus grande recherche de sens dans la maîtrise des procédures de résolution d’exercice font preuve, en réinvestissant les compétences qu’ils ont construites, d’une maîtrise plus aboutie dans le questionnaire qu’ils ont eu à renseigner.

Je reviendrai sur ces résultats ultérieurement, lorsqu’il s’agira de dresser un bilan des travaux réalisés sur le rapport aux savoirs de la physique (voir pour cela le chapitre 8 p. 125). Examinons maintenant le cas des élèves de l’enseignement secondaire.