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Partie 2 : Formalisations pour le choix d’un cadre théorique

3. La motivation en milieu scolaire. Cas des sciences

3.6. Discussion

Pour terminer ce tour d’horizon sur la motivation en milieu scolaire, je ferai un certain nombre de remarques personnelles. Il ne s’agit pas d’une discussion des déterminants ou des modèles, encore moins du contenu des résultats obtenus, mais de quelques réflexions, issues de la rédaction de cette synthèse.

3.6.1. Aspects théoriques

3.6.1.1 Des théories importées dans le monde éducatif

Les théories de la motivation n’ont généralement pas été développées spécifiquement pour l’éducation. Les théories de Bandura ou de Weiner, par exemple, ont des applications dans bien d’autres domaines, et c’est la compréhension de mécanismes généraux qui intéressent ces psychologues, et non pas la relation qu’ils peuvent entretenir spécifiquement avec certains contenus. Apprendre est donc, dans ce contexte, considéré comme n’importe quelle autre activité humaine, ce qui constitue un a priori des chercheurs utilisant ces théories.

3 - La motivation en milieu scolaire. Cas des sciences 42 En même temps, l’importation dans le monde scolaire va de pair avec une certaine centration sur cet univers. Si ces théories prennent en compte l’environnement dans le cadre du déterminisme réciproque, certaines d’entre elles sont souvent prioritairement centrées sur l’environnement proche, scolaire (par exemple dans la théorie des buts de compétence, dans la théorie de l’expectation d’efficacité, dans les modèle de Viau ou de Pintrich et al.), aux dépens d’un environnement plus large, social, économique… pris moins souvent en considération (comme par exemple dans les théories des buts ou le modèle d’Eccles et al.).

3.6.1.2 Des modèles très nombreux, des concepts à mieux définir

Les concepts de base présentés dans cette synthèse comme déterminants ou indicateurs de la motivation sont peu nombreux : pour les premiers, expectation de réussite, expectation d’efficacité, valeur d’une activité, déterminée en fonction des buts à atteindre et dont les types sont variés, contrôlabilité d’une tâche associée à des principes attributionnels, émotions ; pour les seconds, choix d’une activité, engagement cognitif, persistance et performance.

Si ces derniers font souvent l’unanimité, il n’en est pas de même pour les déterminants. En effet, en dehors des modèles globaux récents, chaque modèle utilise le ou les siens, à l’exclusion des autres. Il en résulte un éclatement conceptuel, qui est vraisemblablement ce qui caractérise le mieux ces recherches : « chacun explore avec son paradigme, éclaire à sa

façon et avec son langage propre le problème de la motivation. D’où les difficultés à comparer les recherches et leurs résultats » (Cosnefroy, 2004, citant les travaux de

Boeckaerts82, 1997, 1999). Selon cette dernière, un important travail est à réaliser pour définir plus précisément les concepts utilisés et intégrer les recherches fragmentées. L’analyse sur les méthodologies utilisées a d’ailleurs permis de montrer que Pintrich (2000) partage cet avis, lui qui pointe le flou important qui accompagne souvent la définition des concepts étudiés et surtout leur opérationnalisation (comment par exemple caractériser de manière concrète l’expectation d’efficacité en la distinguant de l’expectation de résultats ?).

3.6.2. Les objets d’étude

3.6.2.1 Etudes généralement très peu dépendantes du contenu disciplinaire

Etudier la motivation à apprendre en général ne semble pas avoir beaucoup de sens (Pintrich et Schrauben, 1992) : un élève est plutôt motivé par une matière et par les activités qui s’y rattachent. Cependant, rares sont les études qui traitent de la motivation à réaliser une activité spécifique (comme par exemple la rédaction de texte en français, Viau, 1995). L’objectif est plutôt d’examiner des relations entre différents paramètres d’un modèle, et le support utilisé pour la recherche (discipline, type d’activité) apparaît comme un contexte nécessaire mais peu pris en compte pour lui-même. Lorsqu’il est question, par exemple, d’évaluer l’influence des types de buts sur la performance, on utilise comme cadre de travail la résolution de problèmes en mathématique. Mais jamais cette activité pourtant spécifique, dépendant de plus très étroitement des savoirs en jeu, n’est prise en compte en tant que telle dans les résultats. D’ailleurs, les ouvrages grand public (par exemple Legrain, 2003 ; Lieury et Fenouillet, 1997)

82 BOEKAERTS, M. (1997). Self-regulated learning : a new concept embraced by researchers, policy makers, educators, teachers, and students. Learning and Instruction, 7(2), 161-186.

BOEKAERTS, M. (1999). Motivated learning : studying student-situation transactional units. European Journal

3 - La motivation en milieu scolaire. Cas des sciences 43 ne font jamais référence à la moindre discipline dans les conseils qu’ils donnent pour favoriser la motivation des élèves.

3.6.2.2 Plus de variables individuelles que situationnelles

Les études sur la motivation prennent souvent en compte des variables liées à l’individu, comme l’expectation d’efficacité, le type de buts poursuivis, la valeur d’une activité… Elles sont beaucoup moins fréquentes à prendre en considération les variables situationnelles qui interagissent avec elles : effets de divers environnements d’apprentissage (Hanrahan, 1998 ; Meece, 1991), influence du type de feed-back (Bouffard-Bouchard, 1990 ; Schunk, 1991), effets sur l’orientation des buts vers des buts d’apprentissage ...

3.6.2.3 Peu d’études sur la dynamique motivationnelle et les profils motivationnels

Malgré l’apparition de modèles globaux, l’étude de l’effet des différents facteurs est réalisée de manière séparée, si bien que l’on dispose de peu d’informations sur leurs effets conjoints, alors que, d’après ces modèles, la dynamique motivationnelle, qui est rarement décrite, résulte de leur interaction. De la même manière, très peu d’études ont été réalisées sur les profils motivationnels d’élèves (Viau, 1995). Les recherches semblent plutôt orientées par l’action (sur quel facteur agir pour améliorer la motivation) que par la description des profils motivationnels (y a-t-il des profils spécifiques à certains types élèves ?) et leur compréhension (à quoi est liée l’appartenance d’un élève à un profil spécifique ?).

3.6.2.4 De nombreuses études dans l’enseignement primaire

Les études faites dans l’enseignement primaire (ou au début du collège) sont très nombreuses, mais la nature de ce contexte et ses éventuelles conséquences sur les résultats obtenus sont rarement discutées dans les différents travaux.

3.6.3. Les résultats des recherches

L’éclatement conceptuel qui caractérise les travaux sur la motivation conduit à des résultats dans le domaine de l’éducation qui sont plus complémentaires que comparables. Par ailleurs, les résultats obtenus spécifiquement en sciences ne sont pas réellement différents de ceux qui ont été présentés de manière plus générale. Aussi ai-je choisi de résumer ici l’ensemble des résultats proposés dans ce chapitre, en décrivant les éléments qui dans une situation d’apprentissage scolaire, notamment en sciences, favorisent la motivation à apprendre. Ainsi, il s’agira pour l’enseignant qui souhaite privilégier cette orientation de :

 mettre la question du sens au centre des activités en adaptant les enseignements aux intérêts personnels des élèves, en travaillant sur le sens des choses apprises plus que sur les habiletés et les comportements, et en proposant des évaluations adaptées à cette philosophie privilégiant les connaissances conceptuelles ;

 faire en sorte que l’élève se sente responsable de ce qui lui arrive en le faisant participer à son processus de formation grâce à la possibilité de définir des objectifs à atteindre, en lui proposant des situations dans lesquelles il est acteur, en le plaçant en position de faire des choix et en réduisant le contrôle exercé sur les activités scolaires ;

3 - La motivation en milieu scolaire. Cas des sciences 44  fixer à chacun des buts ambitieux mais réalisables en proposant des challenges personnels

avec une échéance à court terme, adaptés au niveau et au rythme des élèves et acceptés par eux, en les aidant à réussir en travaillant avec eux à la construction de stratégies efficaces et en leur renvoyant des feed-back positifs, en étant exigeant sur leur réussite ;

 évaluer sans dévaloriser en faisant en sorte que l’élève se centre non sur ses échecs mais sur ce qu’il apprend, en évaluant ses progrès régulièrement et en les reconnaissant par l’attribution en privé de « récompenses » témoignant qu’un objectif a été atteint, en soulignant les causes internes et stables en cas de réussite et les causes temporaires et contrôlables en cas d’échec ;

 privilégier la collaboration en faisant travailler les élèves en groupe avec leurs pairs de manière collaborative, en évitant les situations de compétition ou de concurrence, en faisant évoluer les groupes dans le temps et en privilégiant leur mixité ;

 favoriser les émotions positives en classe en créant une ambiance détendue assurant le bien-être des élèves et leur permettant d’établir avec eux et entre eux de bonnes relations. Au-delà de l’importance des six points précédents, sens des activités, responsabilisation de l’élève, aide à la réussite, évaluation des progrès réalisés, collaboration entre pairs et relations dans la classe, il me paraît aussi utile de souligner trois résultats supplémentaires :

 l’évolution conceptuelle (en sciences, mais aussi certainement ailleurs) exige la présence simultanée de composantes cognitives et de composantes motivationnelles ;

 l’usage de stratégies d’apprentissages et des stratégies d’autorégulation correspond à un engagement cognitif caractéristique de la motivation, mais il nécessite aussi leur maîtrise qui peut difficilement s’acquérir sans l’aide de l’enseignant ;

 la motivation n’améliore pas forcément la réussite scolaire. C’est le cas lorsque les compétences cognitives font défaut, et lorsque les épreuves proposées aux examens ne font pas appel à l’usage de stratégies cognitives et de compétences conceptuelles ;

Cette synthèse fait apparaître le rôle important qu’a l’enseignant dans le degré de motivation de ses élèves : bon nombre des paramètres précédents relèvent en effet de sa responsabilité, même si ses possibilités d’intervention sont largement conditionnées par les contraintes ou les caractéristiques de l’environnement scolaire. La synthèse confirme aussi l’absence de particularisation disciplinaire dans les résultats obtenus, mais pourtant, ce sont bien les sciences, et en particulier la physique, qui souffrent d’une désaffection significative. Il reste donc à analyser les caractéristiques de l’enseignement scientifique pour savoir si certaines d’entre elles s’opposent aux conclusions énoncées ici. Cela justifie aussi l’examen des

résultats obtenus par d’autres champs de recherche, plus spécialisés disciplinairement. 3.7. Conclusion

Si on ne peut encore conclure ici à propos des questions posées en fin de chapitre précédent sur le champ le plus approprié auquel faire des emprunts pour aborder en didactique la question du sujet et de sa mobilisation dans les apprentissages, on peut tout de même déjà tirer certains enseignements de cet exposé.

Tout d’abord, la nécessité même de prendre en compte chez l’élève d’autres dimensions que l’aspect purement cognitif peut être réaffirmée au vu des résultats obtenus par les recherches

3 - La motivation en milieu scolaire. Cas des sciences 45 sur la motivation. Ainsi, on a pu voir l’influence sur l’engagement cognitif et les performances, des émotions, des diverses expectations, des attributions causales, des valeurs attribuées à certaines activités… Par ailleurs, certains des résultats sont communs à des recherches utilisant des cadres théoriques différents, ce qui leur assure une certaine généralité. En même temps apparaissent certaines limitations déjà signalées dans la discussion, qu’il convient de souligner. Les modèles utilisés sont associés exclusivement à un ou deux facteurs ; ils sont très nombreux et très variés au point qu’on a du mal à en choisir un, sinon à établir les critères incontournables permettant d’y arriver. De plus, certains des facteurs utilisés souffrent de définitions approximatives, ce qui les rend difficilement opérationnalisables. Les modèles globaux ne constituent en quelque sorte qu’une synthèse de modèles plus ponctuels, et l’interaction entre les différents facteurs qui les constituent n’est pas formalisée. Les caractéristiques des savoirs en jeu, les spécificités des disciplines ne sont pas directement prises en compte dans les études réalisées, qui visent essentiellement à valider un modèle indépendant de la discipline. Il resterait par exemple à étudier en quoi la valeur des activités, les expectations de réussite ou d’efficacité, les types d’attribution ou les composantes cognitives, les émotions… sont affectées par la physique et par son enseignement, en quoi aussi ces éléments ont éventuellement une influence différenciée selon les élèves…

Après avoir explicité différents facteurs, modèles ou théories sur la motivation et analysé les apports de ce champ vis-à-vis de notre problématique, considérons-la maintenant d’un autre point de vue, construit à partir des très nombreux travaux sur les attitudes envers les sciences.