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2.2 « Der wilde Reger » Les Fantaisies et Fugues op 46 et

2.2.1 Rapport et hiérarchie des vecteurs dans les Fantaisies op 46 et

L’analyse vectorielle de la Fantaisie op. 46 (annexes 3.1.1 et 3.1.2) et de la Fantaisie op. 57 (annexe 4.1.1 et 4.1.2) montre que le rapport de vecteurs dominants et sous-dominants a fortement évolué par rapport à l’analyse vectorielle de la Fantaisie et Fugue op. 29. Si, dans la Fantaisie op. 46, les vecteurs dominants s’élevant à 56,34%, restent encore majoritaires, l’écart par rapport aux vecteurs sous-dominants a fortement diminué. Ceux-ci représentent plus d’un tiers de toutes les progressions, soit 38,63%, alors qu’ils constituaient moins d’un quart des progressions dans la Fantaisie op. 29 (voir chapitre 2.1). Puisque ces progressions sont moins importantes dans l’op. 29 que dans l’op. 46, les chiffres ne peuvent en aucun cas s’expliquer par le pourcentage des progressions a-b-a, ayant pour effet de minimiser l’écart entre les vecteurs dominants et sous-dominants.

La même tendance, quoique moins affirmée, se vérifie dans la Fantaisie op. 57. Les vecteurs dominants y représentent 61,30% des enchaînements et sont beaucoup plus faibles en nombre que dans l’op. 29. À l’opposé, comme dans la fantaisie de l’op. 47, les vecteurs sous- dominants marquent une hausse d’environ 10% par rapport à la Fantaisie op. 29 et s’élèvent à

34,48%. Comme dans la Fantaisie op. 47, la réduction de l’écart entre le pourcentage des vecteurs dominants et sous-dominants ne peut s’expliquer par le nombre de successions a-b-a, puisque celles-ci ne s’élèvent qu’à 8,94%, soit presque deux fois moins que dans l’op. 29.

On peut retenir, dès à présent, que le langage harmonique adopté par Reger dans les Fantaisies op. 46 et 57 comporte, sur le plan de la répartition des vecteurs dominants et sous- dominants, de nombreuses différences avec l’harmonie de la Fantaisie op. 29. Le compositeur a toujours majoritairement recours aux vecteurs dominants, correspondant à des progressions harmoniques tonales, dans ces œuvres. Néanmoins, Reger y emploie, davantage que dans la Fantaisie op. 29, des vecteurs sous-dominants correspondant à des enchaînements modaux81.

Le détail des vecteurs dominants et sous-dominants dans les deux fantaisies est très révélateur quant au langage harmonique adopté dans ces œuvres. On remarque que la répartition des vecteurs ne correspond plus à l’ordre hiérarchique caractéristique de l’harmonie tonale. Le pourcentage du vecteur +4, respectivement 21,73% dans la Fantaisie op. 46 et 23,88% dans l’op. 57, reste encore supérieur aux vecteurs dominants de substitution (voir annexes 3.1.1 et 4.1.1). On note cependant que l’écart important séparant ce vecteur des autres vecteurs dominants, dans le cas d’une harmonie plus tonale (voir chapitre 2.1.1), s’est fortement amoindri dans les deux fantaisies. Ainsi l’écart entre les vecteurs +4 et +2 ne comporte plus que 6,44% dans la fantaisie de l’op. 46 et 7,28% dans la fantaisie de l’op. 57, alors qu’il s’élevait à 17,63% dans la première fantaisie du corpus, soit plus du double. La tendance se vérifie également au sein des vecteurs sous-dominants. L’évolution, révélatrice d’un fonctionnement harmonique se distançant d’une harmonie fortement tonale, a de fortes répercussions stylistiques : le vecteur +4 qui affirme la tonalité perd de l’importance au profit des vecteurs de substitution plus instables. Il en résulte l’absence d’attraction tonale, l’instabilité, mais aussi la fluidité harmonique qui est propre à ces deux fantaisies. Il y sera revenu par la suite.

On remarque que le pourcentage des vecteurs -3, s’élevant à 19,32% dans la Fantaisie op. 46 et à 20,82% dans la Fantaisie op. 57, a fortement augmenté par rapport à la Fantaisie op. 29. Dans les deux cas, ces vecteurs viennent désormais en deuxième position après la progression principale voir annexes 3.1.2 et 4.1.2). L’examen plus attentif de la nature de la tierce du vecteur révèle que ce ne sont pas les vecteurs -3 de tierce mineure qui ont augmenté significativement par rapport à la Fantaisie op. 29, mais les vecteurs -3 de tierce majeure (voir annexes 3.1.1 et 4.1.1). Toutes les fantaisies analysées jusqu’à présent étant en mineur,

81

La notion d’harmonie modale est mal définie et très ambiguë. Elle est utilisée ici en opposition à l’harmonie tonale qui se manifeste dans la théorie de Nicolas Meeùs par des successions de vecteurs dominants.

l’utilisation relativement fréquente des vecteurs -3maj., dans les op. 46 et 47 ne peut s’expliquer par le mode mineur des pièces, impliquant des substitutions du i par le VI et du V par le III à distance de tierce majeure. L’utilisation accrue des vecteurs de tierce se vérifie également au sein des vecteurs sous-dominants des deux fantaisies. Le vecteur +3, ne s’élevant qu’à 4,49% dans la fantaisie de l’op. 29, représente 11,47% de la totalité des enchaînements dans la Fantaisie op. 46. Dans la Fantaisie op. 57, le vecteur +3, représentant 12,39% des enchaînements, est même le vecteur le plus important des vecteurs sous- dominants.

On peut déduire de l’analyse des vecteurs détaillés que le langage harmonique des Fantaisies op. 46 et 57 est davantage basé sur les enchaînements de tierces que celui de la Fantaisie op. 29. Le fonctionnement harmonique de ces deux œuvres se rapproche dans certains cas de la romantische Terzverwandschaft, c’est-à-dire de l’utilisation accrue de

substitutions à distance de tierce, afin d’enrichir la couleur harmonique82. Dans d’autres cas

très fréquents, les progressions à distance de tierces majeures qui correspondent à des rapports de médiantes, ne peuvent plus s’expliquer en tant que simple substitution aux fonctions principales. Comme on le verra dans le chapitre suivant, elles ne suivent plus une logique harmonique basée sur des enchaînements à distance de quinte, comme dans la théorie des fonctions, mais ont pour fondement un autre fonctionnement harmonique.