• Aucun résultat trouvé

PARTIE I. POSITIONNEMENT THÉORIQUE ET ÉTAT DE L’ART

CHAPITRE 5. HYPOTHÈSES DE RECHERCHE

B. Rappel des Hypothèses de recherche

Hypothèse de recherche Pertinence

HR1

La lutte entre entreprises d’un même secteur sur le marché explique l’évolution du cours de bourse.

La valeur, subjective, d’un cours de bourse peut s’expliquer en comparant les entreprises d’un même secteur et en repérant le leader. Il doit y avoir un classement scalaire apparent.

HR2

Des indicateurs peuvent renseigner sur la position agonistique d’une entreprise et expliquer la variation de son cours boursier.

La lutte entre les entreprises doit se caractériser par l’évolution de composants précis, homogènes et systématiques permettant de repérer le leader ou l’issue de la lutte.

HR3

Une tendance d’évolution des cours boursiers peut être décelée à court terme, en tenant compte de la position des entreprises sur leur secteur.

Les composants de l’évolution d’un titre doivent permettre d’envisager une évolution du titre sur une durée courte, d’une année par exemple.

PARTIE II : ÉTUDE DE CAS ET TESTS

CHAPITRE 1. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET CHOIX MÉTHODOLOGIQUE

Les domaines du chiffre, de la « Comptabilité » à la « Finance » en passant par la « Gestion », se classent entre les sciences humaines et les sciences économiques, utilisant des outils mathématiques, donc en position scientifique « dure », mais intègre aussi la psychologie, c’est à dire une appréhension « molle ». Nous restons néanmoins lucide sur les enjeux : « Il y a un certain nombre de faux débats morts et enterrés (interne/externe en est un, qualitatif/quantitatif un autre) qui n'existent que parce que les professeurs ont besoin de cela pour vivre, parce que cela permet de faire des plans de cours et de dissertations » (Bourdieu, 1992, p. 157). Simon (1980) nous rappelle, à bon escient, que la rationalité économique est « rationaliste » et la rationalité psychologique est liée à des processus cognitifs et intellectifs ; c’est ce qui provoque, selon lui l’imperméabilité entre les deux matières.

On peut tenter d’expliquer ces positionnements qui paraissent tout à fait stériles par l’évolution de la nature de la recherche scientifique : au départ fondée sur une observation d’un objet, généralement de la Nature, élément relativement intangible, l’objet d’étude s’est ensuite orienté vers des sujets, des êtres humains ou des caractères organisés et sociaux. Le mouvement a donc évolué d’une approche objectiviste vers une approche subjectiviste ; par analogie, le paradigme épistémologique initial, positiviste, a évolué vers un paradigme épistémologique constructiviste. Notre positionnement est donc issu de ces travaux, comme nous allons le montrer.

Section 1. NOTRE POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE A. Les limites du paradigme positivisme

Bourdieu (2011 [1991], p. 149) rappelle que « l’épistémologie n’est pas un supplément d’âme pour le savant mais fait partie du travail scientifique : il s’agit de connaître nos instruments de connaissance pour savoir l’effet que nos instruments de connaissance produisent sur nos objets ; et nous devons connaître notre objet pour savoir en quoi il obéit à une logique spécifique, antinomique à celle des instruments de connaissance que nous lui appliquons. »

Cela étant, la difficulté de compréhension dans ces domaines vient souvent des épistémologues eux-mêmes, qui complexifient la matière, la transformant en une « réflexion prétentieuse sur la pratique de la science. » (idem, p. 537) ; Serres (2012, p. 65) parle d’un « gros mot » pour étudier « les méthodes et les résultats de la science, en essayant parfois d’en juger. »

Deux courants ont d’abord dominé l’histoire des sciences, le rationalisme (raisonnement déductif) et l’empirisme (raisonnement inductif). On peut s’interroger sur la nature même de la science et la véracité de ses conclusions : c’est Karl Popper (2009 [1934]) qui va apporter une réponse avec la théorie de la réfutation. Une théorie est vraie si elle peut être réfutée par l’expérience, et donc « tant qu’aucune preuve ne vient la réfuter » (Gavart-Perret et al., 2008, p. 11) ; concept abscons pour le profane, il s’agit de différencier la science de la pseudoscience. Popper développe ensuite la notion de corroboration, qui vise à corroborer une théorie par une suite de réfutations de cette dernière : si les réfutations successives restent infructueuses, alors la théorie semble bonne. La science n’existerait donc que si ses conclusions sont falsifiables, c’est à dire susceptibles d’être remises en cause. La science s’exprime dans l’expérience, soit par observation, passive, soit par expérimentation, active. Selon Barberousse et al (2011[2000], p. 127), l’observation fournit les données et l’expérimentation transmet « la sanction que la nature impose aux hypothèses » formulées par le chercheur : une expérimentation est « la création de conditions telles qu’elles rendent indirectement observable un phénomène qu’il est impossible de percevoir, même de façon indirecte, dans des conditions naturelles, c’est à dire non transformées par l’expérimentateur ». Cela étant, ce qui est commun à l’observation et l’expérimentation, c’est la perception. Chalmers rappelle que la science est une construction humaine confrontée à un monde en évolution, mais est censée donner une réalité de ce monde. Deux approches s’opposent alors : celle des instrumentalistes, pour qui l’analyse se fait par des « fictions théoriques utiles » (Chalmers, (2011 [1976]), p. 238), et celle des réalistes, plus ambitieux, qui considèrent que leurs bases théoriques représentent le monde dans sa réalité. Se pose, ce faisant, le problème de la vérité, éclairé par le paradoxe du menteur : quand le menteur ment, dit-il la vérité ?

Pour Popper (2009 [1934], p. 13), la méthode utilisée importe peu si le problème est intéressant : la bonne méthode est celle qui « consiste, tout simplement, à essayer de découvrir ce que d’autres ont pensé et dit à propos de ce problème, pourquoi ils s’y sont attaqués, comment ils l’ont formulé, comment ils ont tenté de le résoudre. » En ce sens, Kuhn (1962) le

rejoint lorsqu’il explique que le but de la recherche scientifique n’est pas de trouver des choses nouvelles, mais de vérifier des choses attendues. Kuhn analyse la science comme un ensemble d’accomplissements suffisamment vastes pour servir de base à d’autres travaux, et la science se développe à partir de conceptions, avant de trouver un paradigme (idem), lequel émane de concepts admis par un certain nombre et offrant des perspectives vastes. Une théorie peut devenir un paradigme, si elle semble meilleure que ses concurrentes, même si elle n’explique pas tout (ibid.).

Le scientifique peut donc être guidé par des « jugements de valeurs et des prédilections » (Popper, 2009 [1934], p. 34), mais il doit respecter une méthode basée sur l’expérience, c’est à dire être synthétique, ne pas être métaphysique dans son action mais rester dans « un monde de l’expérience possible » (idem, p. 36) et constituer un système, testé, original. Cette notion de test est ici fondamentale, car c’est elle qui donne aux énoncés scientifiques leur objectivité et les distingue de l’expérience subjective ou du sentiment de conviction.

Nous notons trois divergences principales entre Popper et Kuhn : 1) pour Kuhn, il n’est pas nécessaire de faire des hypothèses car c’est la compétence du chercheur qui oriente son travail : « il est possible d’expliquer cette compétence sans avoir recours à des règles du jeu hypothétiques. » (Kuhn, 1962, p. 77) ; 2) la falsification poppérienne ne se vérifie pas historiquement : « l’étude historique du développement scientifique ne révèle aucun processus ressemblant à la démarche méthodologique qui consiste à "falsifier" une théorie au moyen d’une comparaison directe avec la nature. » (idem, p. 115) ; 3) si on suit à la lettre les indications positivistes, il devient difficile de trouver de nouvelles voies de recherche (ibid., p. 145). Plus généralement, Kuhn évoque son opposition à Popper, lequel ne croit pas aux procédures de vérification mais leur préfère la « falsification », c’est à dire « la mise à l’épreuve qui, parce que son résultat est négatif, nécessite le rejet d’une théorie établie. » (ibid., p. 202) Pour Kuhn, il s’agit là d’une partie de ce qu’il appelle des expériences anormales, c’est-à-dire annonciatrices de crises.

Bachelard (1968 [1934]) pourrait donner la solution qui apporte une nouvelle vision des choses, en partant du constat que le chercheur n’est pas d’abord dans la raison, puis dans l’expérience, mais va de l’une à l’autre, pour continuer à avancer : une nouvelle épistémologie est donc nécessaire, synthèse du rationalisme et de l’empirisme. On différencie alors deux

épistémologies, le positivisme et le constructivisme115, qui pourraient se résumer en exprimant l’idée que le positivisme est réaliste (il s’agit d’expliquer la réalité), tandis que le constructivisme construit la réalité (Thiétart et al., 2007).

Le positivisme est né de la lutte contre le despotisme et pour le triomphe de la Raison : les positivistes ont « voulu se débarrasser de toutes les valeurs léguées par la tradition, en tant que non démontrables par la science. » (Polanyi M., 1989 [1951], p. 37) Le paradigme épistémologique positiviste se construit sur des hypothèses énoncées par Auguste Comte, selon lesquelles toutes les sciences doivent respecter « la façon de penser qui a triomphé en mathématique, en astronomie, en physique, en chimie et en biologie » (1976 [1967], p. 82). Les hypothèses concernent un objet réel, observable, obéissant à des règles cartésiennes (donc mesurables) de cause à effet, et nécessitant un observateur neutre et détaché du sujet de son étude : il y a une et une seule réalité objective, que le chercheur doit découvrir, sans tenir compte de ses opinions personnelles.

Cette approche est foncièrement une explication rationnelle de la Nature, mais ne semble pas adaptée à l’analyse de l’Humain, aux sciences dites « sociales ». Mises (1942) rappelle que l’expérience sociale est d’abord historique, et concerne un ensemble complexe de phénomènes, que les outils d’analyse des sciences de la nature ne peuvent comprendre. Il n’y a pas de faits permettant de construire des théories en sciences sociales et un matériau comme les statistiques n’a de valeur qu’historique, et chaque expérience est ouverte à plusieurs interprétations. Toute expérimentation est donc impossible selon Mises, et donc toute mesure l’est également, car « Pour le comportement de l’être humain, il n’existe pas de relations constantes, […], pas d’étalon » (Mises, 2011 [1942]), p. 19). Plus clairement, selon lui, la science de la nature peut expérimenter, mais la science sociale ne peut que tenter de comprendre le sens de l’action humaine. L’expérience ne donne qu’une orientation de la réflexion et nous détourne de pistes moins fécondes (Mises, 1949, p. 66). Cette force de l’expérimentation est aussi une faiblesse potentielle : Changeux (2010 [2008], p. 13), a pu regretter « des conséquences majeures pour ma réflexion théorique, trop souvent refrénée par le travail empirique du laboratoire. » Poincaré (2011 [1902], p. 23), avait déjà noté « la place

tenue par l’hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s’en passer et que l’expérimentation ne s’en passe pas davantage. » Or, nous dit ce grand mathématicien, le rôle

115 Un troisième paradigme, l’interprétativisme, est parfois évoqué, permettant d’expliquer des phénomènes en

s’appuyant sur une éventuelle empathie du chercheur : on parle d’herméneutique, ou art d’interpréter. Cela étant, Gavard-Perret et al. (2008) estiment qu’il s’agit d’un paradigme méthodologique et non épistémologique. Nous suivons leur analyse.

premier d’une hypothèse est d’être commode, pour expliquer des phénomènes, pas de « révéler la véritable nature des choses » (idem, p. 215).

En ce sens, l’action humaine et l’action de la nature se différencient de deux manières : le caractère intentionnel de la première et le fait que l’expérimentation sur un seul élément, permise par les sciences naturelles, ne l’est pas par les sciences sociales (Mises, 2011 [1942]). En effet, les sciences humaines n’ont pas de laboratoires dans lesquels les faits peuvent être observés et surtout isolés, les causes possibles pouvant être variables et complexes : « These causes can only be isolated by theory, theory that is necessarily a priori to theses historical (includind statistical) facts. » (Rothbard, 1957, p. 315)

Pour Morin, le positivisme élimine le sujet et se focalise sur l’objet, seul élément d’étude et d’observation. Le sujet devient le « bruit » c’est à dire « la perturbation, la déformation, l’erreur qu’il faut éliminer afin d’atteindre la connaissance objective, soit le miroir, simple reflet de l’univers objectif. » (Morin, 2005 [1990], p. 55) En réalité, selon Morin, il n’y a pas d’objet en dehors du sujet, et le sujet ne se meut que dans un environnement objectif.

Le positivisme est aussi une croyance (M. Polanyi, 1955), qui devient inadéquate lorsqu’il faut travailler avec des probabilités pour comprendre le fonctionnement d’organismes, d’autant plus lorsqu’il s’agit du comportement de personnes et de leurs actions. Se dire détaché de l’objet est en fait ne pas reconnaître l’éventualité d’autres points de vue.

B. Le paradigme constructiviste

Le positivisme est considéré comme la méthode des sciences dures, donc impénétrables, laborieuses, tandis que le constructivisme serait adapté aux sciences molles, sympathiques et faciles (Storer, 1967). Rien n’est moins sûr et ses détracteurs sont légion ; les positivistes ayant un sentiment de supériorité, d’exclusivité scientifique, les constructivistes ont lancé une croisade « contre-hégémonique » (Nguyen-Duy et Lickerhoff, 2007, p. 12). L’idée générale est de montrer que la séparation objet/sujet, qualitatif/quantitatif est superflue. Bourdieu (2011 [1991]) parle de probabilités objectives et d’espérances subjectives, tandis que Morin (2005 [1990]) évoque une interdépendance entre objet et sujet, dévoilant l’existence d’un aléa dans la connaissance : le positivisme n’est pas aussi précis qu’il se présente. Poincaré a évoqué cette incertitude de la recherche dans les sciences physiques, censées être les plus rigoureuses, et préfère parler de caractère vraisemblable, notant « le rôle considérable que joue dans les sciences physiques la notion de probabilité. » (Poincaré, 2011 [1902], p. 27)

Lorsqu’on parle d’objectivisme, ce sont les choses qui ont une valeur en elles-mêmes et on se rapporte à un objet ; on a un fonctionnement positiviste. Un raisonnement objectif est incontestable. Au début de l’âge scientifique, lorsque l’homme cherche à comprendre la nature qui l’entoure, la recherche est objective car elle porte sur une observation de la nature puis la définition de lois générales : l’approche utilisée est alors foncièrement inductive. C’est Karl Popper (2009 [1934], p. 27) qui démontrera que, pour permettre une expansion de la recherche scientifique, la seule méthode pertinente est, en réalité, déductive : « la croyance en la logique inductive est en effet due, pour une grande part, à une confusion des problèmes psychologiques avec les problèmes épistémologiques. » La méthodologie naturaliste des positivistes, encore appelée « théorie inductive de la science » (idem) manque de sens critique : lorsque qu’on découvre un fait, il s’agit en réalité d’une convention, qui peut dégénérer en dogme116.

Au plan de la nature de la recherche, l’approche positiviste est également critiquée par les spécialistes des sciences sociales car l’action du chercheur modifie le système observé et le construit117, de même que le langage, culturellement et historiquement marqué, a une influence non neutre. Bourdieu (2011 [1991], p. 117) va même plus loin en s’opposant au positivisme qui, selon lui, exerce « un effet terrifiant de castration et de mutilation de l’esprit » : les programmes de recherche scientifique dans le sens positiviste doivent toujours être réalisables, ce qui conduit le chercheur à ne pas chercher la vérité là où elle est, mais là où on la voit, « sous le lampadaire », parce qu’elle oblige le savant à démontrer immédiatement tout ce qu’il avance. En conséquence, le paradigme positiviste est aujourd’hui concurrencé, et notamment par les paradigmes constructivistes. On a également tendance, à tort, nous le verrons, à estimer que le positivisme nécessite des analyses quantitatives, et le constructivisme des analyses qualitatives. Lorsqu’on parle de subjectivisme, c’est l’homme qui accorde une valeur aux choses : on se rapporte à un sujet et on a un fonctionnement constructiviste. Le subjectivisme part de l’assertion de Protagoras selon laquelle « L’homme est la mesure de toute chose ». Un raisonnement subjectif est discutable et doit être vérifié (falsifié et corroboré dans l’appréhension de Popper). Avec l’arrivée des sciences humaines,

116 Auguste Comte, le principal auteur positiviste, a rapidement dévié vers une forme de religion du savoir,

finalement assez obscurantiste.

117 Nous avons vu ci-dessus que la théorie de la valeur, à la base de toute la théorie économique classique, part

du point de vue que la valeur est objective de toute chose, donnée par le marché (pour les libéraux) ou par le travail (pour les marxistes). Elle est donc difficilement explicable lorsqu’elle devient « hors norme ». Pourtant, une autre approche subjective a été développée (notamment par Turgot et Condillac), qui permettrait de comprendre plus facilement des écarts apparaissant irrationnels dans l’approche objective. Ceci pourrait remettre en question toutes les base de la science économique, en réalité.

la recherche a pour objet l’humain, qui est aussi le sujet, d’où la nécessité d’une nouvelle approche.

On distingue deux types de constructivisme, le radical (von Glasersfeld) et le téléologique (Le Moigne118), ou pragmatique. L’observation de départ est que personne n’est certain de connaître le réel, car la connaissance n’est qu’une expérience du réel. Le constructiviste radical (Guba, notamment) postule l’impossibilité d’une réalité objective, mais l’existence de réalités sociales construites, c’est à dire que tout réel est relatif. Le constructiviste pragmatique accepte le principe d’un « réel », mais présuppose que personne ne sera jamais sûr de le connaître ; donc il devient ici possible de poser des hypothèses sur son objet d’analyse. La validité des théories dans l’approche constructiviste ne s’exprime plus par une validation (connotation trop positiviste ?) mais par une légitimation. Cette légitimation est donnée par le processus de recherche suivi par le chercheur (le design de recherche) et la traçabilité de son travail119. Cette démarche nous intéresse.

C. Le paradigme constructiviste téléologique ou pragmatique

Initié par Piaget en 1970, ce paradigme postule, dans une logique subjectiviste, que le sujet (celui qui construit une recherche) et l’objet (l’observation du phénomène) sont reliés ensemble par l’action du chercheur : la connaissance est donc reliée à l’action. Le chercheur peut construire l’observation du phénomène, alors même que le phénomène peut dépendre de la société dans laquelle il se déclenche, fonction de la culture, de l’histoire ou du langage, par exemple. L’objet de la science serait donc ici d’améliorer les choses, par une action de recherche, ce qui éloigne la recherche des seules problématiques abstraites et théoriques. Il s’agit de tenter d’améliorer le monde plutôt que de le décrire : le chercheur met l’éthique au centre de son travail.

Selon Bourdieu, le constructivisme, méthode américaine dans la tradition de Schütz et Mead, est basé sur l’idée que « les agents sociaux ne prennent pas le monde social comme un donné mais le construisent. » (Bourdieu, 2011 [1991], p. 51) Les connaissances, sous réserve qu’elles soient correctement élaborées, deviennent alors des hypothèses : ces hypothèses sont des propositions « et leur contenu consiste en opérations intrapropositionnelles de classes,

118 Dans un article paru dans la Revue du Mauss en 2001, et intitulé « Pourquoi je suis un constructiviste non

repentant », Le Moigne reprend une classification de Gassin, exprimant le constructiviste radical de von Glazersfeld, le téléologique de Le Moigne et le relationnel de Piaget.

119 Le Moigne propose des critères de reproductibilité, d’intelligibilité, de constructibilité, tandis que Von

relations, etc. » (Piaget, 2011 [1970], p. 48) ; en revanche, lorsque des conclusions découlent, par déduction desdites hypothèses, c’est une action interpropositionnelle qui permet alors de dépasser le réel. La légitimité des connaissances acquises par l’expérience du chercheur (pragmatique ou empirique) est acceptable dans ce cadre, sous réserve qu’elle ait été acquise de manière éthique et rigoureuse, avec une explication détaillée du processus d’acquisition : c’est la nature même de toute démarche scientifique. En effet, cette approche accepte par principe, que la connaissance du chercheur soit influencée par le chercheur lui-même, par son histoire personnelle ; ceci n’empêche pas que la question posée soit indépendante du chercheur lui-même, qu’elle soit inscrite dans le domaine social.

Le père fondateur des constructivistes pragmatiques, Peirce, explicite encore mieux la notion de connaissance, d’action et de vérité : si la connaissance permet au chercheur d’affirmer une vérité, c’est la mesure des conséquences pratiques qu’il en tire, qui donne une mesure de cette vérité120, sous réserve qu’elle soit vérifiée en permanence par de nouvelles expériences ; c’est donc l’action et la mise en œuvre de cette connaissance – et son utilité pour le chercheur – qui donnent une valeur à cette même connaissance. Pragmatiquement, une vérité est bonne