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Le Tribunal fédéral est arrivé aux mêmes conclusions dans les deux cas. Nous pouvons donc les examiner ensemble. Nous ferons quelques remarques sur certains points spécifiques que le Tribunal fédéral n’a examinés que dans un cas ou dans l’autre.

L’indication des parents d’intention dans les certificats de naissance des enfants se fonde sur les jugements des autorités californiennes précédant la naissance des enfants83. Les jugements établissant la filiation juridique des enfants de même que les certificats de naissance doivent être considérés comme des décisions ou actes en matière d’état civil au sens de l’article 32 LDIP.

70 GUILLOD/HELLE, p. 443.

71 CR LDIP/CL-BUCHER, LDIP 27 N 3 ; ATF 126 III 101, consid. 3b).

72 ATF 141 III 312, consid. 4.1.

73 ATF 126 III 101, consid. 4b.

74 BK IPR-DÄPPEN/MABILLARD, LDIP 27 N 5.

75 ATF 126 III 327, consid. 2b.

76 ATF 126 III 101, consid. 4b.

77 BK IPR-DÄPPEN/MABILLARD, LDIP 27 N 29.

78 CR LDIP/CL-BUCHER, LDIP 27 N 15.

79 ATF 126 III 101, consid. 4b) ; ATF 126 III 327, consid. 2b.

80 ATF 126 III 101, consid. 3b).

81 CR LDIP/CL-BUCHER, LDIP 27 N 3.

82 CR LDIP/CL-BUCHER, LDIP 27 N 3.

83 ATF 141 III 328, consid. 4.3.

Il ne fait aucun doute qu’ils ont été rendus par une autorité étrangère ayant un pouvoir étatique aux Etats-Unis, pays dans lequel ils ont été rendus, et qu’ils sont définitifs84. Selon le Tribunal fédéral, les autorités californiennes étaient compétentes au sens de l’article 70 LDIP aussi bien pour les décisions établissant les liens de filiation que pour les certificats de naissance. Bien qu’au moment où les premières décisions ont été rendues, les enfants n’avaient pas encore la nationalité américaine (n’étant pas encore nés), il était déjà prévisible qu’ils l’acquerraient à la naissance, ce qui s’est effectivement produit. La compétence des autorités américaines est donc validée « a posteriori » pour les premières décisions. Elle existe sans aucun doute pour les secondes décisions, soit pour les certificats de naissance85.

La seule question qu’il reste à examiner est celle de la comptabilité de la reconnaissance des liens de filiation avec l’ordre public matériel suisse.

Rien n’empêche dans les cas d’espèce les autorités suisses de refuser de reconnaître ces actes et décisions pour contrariété à l’ordre public86. En effet, les relations avec l’Etat étranger, ici les Etats-Unis, sont très lâches. Les parents d’intention n’ont pas la nationalité américaine et n’y ont jamais vécu ; les enfants ont la nationalité américaine mais ont vécu pratiquement toute leur vie en Suisse. De plus, il ne s’est pas écoulé une longue période entre le moment où ces actes et décisions ont été rendus (entre 2011 et 2012) et le moment où l’examen des différentes conditions de reconnaissance a été fait (au plus tard en 2015 devant le Tribunal fédéral).

Il convient tout d’abord de relever que le simple fait que ces décisions étrangères dérogent au principe suisse « mater semper certa est »87, selon lequel la mère biologique ne peut pas renoncer à la filiation maternelle88, ne constitue pas encore une contrariété à l’ordre public suisse. Il s’agit dans ce cas uniquement d’une solution différente de ce que prévoit le droit suisse.

De même, dans le cas des partenaires enregistrés, une éventuelle contrariété à l’ordre public suisse ne peut pas provenir du simple fait que deux hommes aient été reconnus comme parents d’un enfant89.

Le droit suisse interdit formellement toute maternité de substitution dans la Constitution fédérale90 et dans la LPMA91. Le but de cette interdiction est de protéger l’enfant, qui risque alors d’être réduit au statut de marchandise que l’on peut commander, mais aussi de protéger la femme contre le risque de commercialisation de son corps92. Elle vaut indépendamment de l’état civil93. En 2014 encore, le législateur fédéral a refusé d’entrer en matière sur une éventuelle modification de cette interdiction, en faisant valoir que les motifs ayant conduit à son adoption étaient toujours d’actualité94. Cette interdiction et les buts qu’elle poursuit font partie des valeurs essentielles du droit suisse95.

Les parents d’intention ont recouru à l’étranger à une méthode de procréation prohibée en Suisse. Comme nous l’avons vu, les liens avec les Etats-Unis sont très faibles. Les liens avec la Suisse, Etat requis, sont au contraire très forts. Les parents d’intention sont pour la plupart de nationalité suisse et ils ont tous leur domicile en Suisse. De même, un des enfants a la nationalité suisse, et tous vivent pratiquement depuis leur naissance en Suisse. Les parents d’intention se sont rendus aux Etats-Unis uniquement dans le but de contourner l’interdiction connue en droit suisse. Ils ont commis en cela une fraude à la loi96.

Selon le Tribunal fédéral, reconnaître les liens de filiation établis grâce à cette méthode aura l’effet suivant : obliger les autorités suisses à accepter comme un fait accompli les liens de filiation établis par une fraude à la loi. Cela aurait comme conséquence d’encourager le tourisme procréatif dans des pays ne connaissant pas la même interdiction que la Suisse et de réduire à néant l’interdiction de la maternité de substitution, supprimant ainsi la protection voulue par le législateur97. Vu les effets qu’elle aurait, la reconnaissance de ces décisions et actes étrangers n’est donc pas possible à cause de la contrariété à l’ordre public suisse98. Pour le cas des parents d’intention qui n’ont pas de liens génétiques avec les enfants, le Tribunal fédéral considère qu’il y a une proximité fonctionnelle entre la maternité de substitution sans liens génétiques et l’adoption. Dans les deux cas, des liens de filiation sont créés en l’absence de toute relation génétique avec les futurs parents99. Une adoption prononcée à l’étranger ne pourra pas être reconnue en Suisse si les autorités étrangères qui l’ont prononcée ont omis de s’assurer que l’adoption par cette famille respectait le bien de l’enfant100. Il s’agit d’un motif d’ordre public101. En l’espèce, les autorités californiennes n’ont jamais analysé la question du bien de l’enfant dans le cadre d’une maternité de substitution.

Dans ce cas, la reconnaissance du lien de filiation se heurte à nouveau à l’ordre public suisse102.

Le fait que l’on ne doive pas reprocher à l’enfant les actes illicites de ses parents n’a pas d’incidence. Le Tribunal fédéral reconnaît qu’il est possible que la reconnaissance de ces liens de filiation soit dans l’intérêt de l’enfant. Mais il est aussi envisageable que lorsqu’il sera en âge de comprendre, l’enfant se sente victime de ce procédé sensé être interdit103. Si les autorités suisses valident ce contournement de la loi par une simple reconnaissance, l’enfant ne pourra jamais se plaindre de son statut de victime104. Comme l’intérêt de l’enfant n’a jamais été examiné par les autorités, il n’est pas possible de l’invoquer pour justifier de manière générale une reconnaissance qui serait dans l’intérêt de l’enfant105.

96 ATF 141 III 328, consid. 6.4.

97 ATF 141 III 328, consid. 6.6.

98 ATF 141 III 328, consid. 8.

99 ATF 141 III 328, consid. 6.6.

100 Idem.

101 Idem.

102 Idem.

103 FABRE-MAGNAN, p. 226.

104 ATF 141 III 328, consid. 6.6.

105 ATF 141 III 328, consid. 6.7.