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CHAPITRE I : CADRE HISTORIQUE ET CULTUREL

1.3 T RADITION D ’ IKATS EN INDE

En dépit de la popularité des textiles ikats de l’Inde pour le commerce, les techniques de fabrication de ces étoffes n’étaient pas publiée jusqu’au XXe siècle. Nous trouvons les références à certains types des textiles ikats, notamment dans les carnets de voyage de plusieurs explorateurs tels que Tavernier, le joaillier français qui voyage en Asie entre le 1630 et 1668. Pourtant, ces descriptions sont souvent des textiles rencontrés et non pas des techniques de fabrication. En ce qui concerne le patola, la monographie de Gulati, écrit en 1951, est le tout premier texte détaillant la technique de fabrication des textiles patola. Et, il souligne déjà que cet art qui existe au Gujarat depuis plus de mille ans, est malheureusement en train de disparaître. Soixante-deux ans plus tard, la situation n’a pas s’améliorer. Aujourd’hui il ne reste qu’une seule famille qui continue à toujours pratiquer cette activité dans la ville de Patan. Les textiles patola ont connu un succès énorme non seulement à l’échelle nationale mais aussi au niveau international. C’est pourquoi, l’objectif principal de la monographie de Gulati était de bien comprendre cet art – la technique de tissage, l’étymologie du mot patolu, l’histoire des textiles patolu, le commerce des textiles patola, etc. Cette

42 étude avait aussi comme but de suggérer des solutions éventuelles pour moderniser le patolu afin de pouvoir continuer à maintenir le succès de ces textiles.

Les étoffes sont embellies de trois manières différentes et selon la technique utilisée, avant ou après le tissage. La première technique d’embellissement est la broderie ou le brocart où les motifs sont tissés sur les textiles soit après ou lors du tissage selon la technique utilisée (figure 6). La broderie par exemple est souvent effectuée après le tissage. Alors que dans les villes de Kanchipuram ou Bénarès, tous les deux connues pour les saris en soie avec des brocarts complexes, les motifs sont incorporés lors du tissage à l’aide des trames supplémentaires.

Figure 7: Un sari en soie fabriqué à Kanchipuram orné des brocarts en zari ou fil d’or (photo de l’auteur)

Les motifs que nous voyons sur le champ central et la bordure latérale du sari sont incorporés lors du tissage à l’aide d’une navette supplémentaire.

43 Le deuxième type d’embellissement est la peinture et l’impression des motifs à l’aide des pochoirs en bois ou en métal (figure 7). Les cotons imprimés de Gujarat connus sous le nom d’Ajrakh sont très célèbres et figure parmi les expressions culturelles partagées par le Gujarat, le Rajasthan et le Sind au Pakistan46.

Figure 8: Une écharpe en Ajrakh fabriqué au Gujarat (www.strandofsilk.com, consulté le 30/09/2015).

Le motifs de trefle est cemsé être un des motifs traditionnels que nous retrouvons souvent dans cette partie de l’Inde.

Connus sous le nom des « indiennes » en France, les cotons imprimés sont devenues très populaires lors de la colonisation. Enfin, la troisième méthode d’orner les tissus est celle de la teinture à réserve qui consiste à couvrir certaines parties du fil ou du tissu est une technique très pratiquée dans les états de Rajasthan, Gujarat dans l’ouest

44 de l’Inde et d’Andhra Pradesh ou Orissa dans l’est de l’Inde. Encore, il existe trois différents procédés de teinture à réserve47 :

- Batik : la surface du tissu est soustraite à l’action d’un colorant par l’application de la cire (figure 8) ;

- Bandhni: la surface du tissu est serrée par des nœuds, ainsi l’excluant de l’action d’un colorant (figure 9) ;

- Ikat : les fils sont teints à des intervalles très précis, avant le tissage de sorte que la juxtaposition de ces couleurs lors du tissage crée les motifs. En Inde, nous trouvons l’ikat simple – ou les fils de chaîne ou les fils de trame sont teints – ainsi que l’ikat double où les fils de chaîne et de trame sont teints (figure 10). Les patola sont des textiles à l’ikat double.

Même si les techniques de Batik et Bandhni soient des techniques de teinture à réserve très célèbres, pour notre propos, nous élaborons sur la technique d’ikat car les textiles patola relèvent de cette catégorie.

47 Bien que ces techniques de teinture à réserve soient connues sous différents noms selon le pays, nous utilisons dans notre texte, les noms sous lesquels elles sont connues en Inde. Par exemple, la technique de bandhni est connue sous le nom de plangi en Indonésie et Malaisie et shibori au Japon.

45 Figure 9: un exemple de textile batik fabriqué en Inde. (Photo de l’auteur).

De la cire est appliquée sur certaines parties lors de la teinture pour que les couleurs ne soient pas absorbées dans ces parties. Dans cette image, les parties blanches sont couvertes lorsque le

tissu est trempé dans le bleu clair. Ensuite, après séchage, les parties en bleu clair ainsi qu’en blanc sont à nouveau couvertes de la cire avant de tremper le tissu dans la teinture du bleu foncé

pour obtenir la couleur du tissu.

Figure 10: un exemple du textile bandhini fabriqué en Inde. (Photo de l’auteur) Dans la technique bandhani, des nœuds sont utilisés pour serrer les parties du tissu qui sera réservées de l’action du colorant. Les parties sont attachées en utilisant des

46 Figure 11: Exemples d’ikat simple et ikat double sur la soie. (Photo de l’auteur). En

haut nous avons un exemple d’ikat de trame et en bas, un exemple d’ikat double (patola). Les couleurs de l’image d’en bas sont plus solides que l’image d’en haut. Cela est dû au fait que les fils de trame et de chaîne sont teints dans le double ikat ce

qui rend les couleurs beaucoup plus solides.

Comme expliqué au-dessus, la technique d’ikat comprend de teindre les fils avant le tissage à la différence des techniques de batik et bandhni où certaines parties du tissu sont protégées après le tissage lors du processus de teinture. Le processus de grouper les fils (de trame ou de chaîne ou les deux, selon le type d’ikat) et les teindre de sorte que les motifs apparaissent lors du tissage demande un travail laborieux et minutieux. Quand nous parlons d’ikat simple, ou les fils de trame ou les fils de chaîne sont teints. Malgré l’apparence de la simplicité du motif une fois tissé, ce travail nécessite de la précision ; et cette précision redouble lorsqu’il s’agit de la confection des textiles double ikats tels que les patola.

47 Le processus de fabrication des textiles ikat reste le même, peu importe l’endroit où il est pratiqué, qu’il soit en Inde ou dans le monde. Nous pouvons résumer les différentes étapes de la fabrication des textiles ikat ainsi :

1) Diviser les fils de chaîne ou de trame ou les deux (comme pour les patola) en plusieurs groupes ;

2) Couvrir les parties des fils utilisant des matériaux imperméables selon le motif 48;

3) Teindre les fils – selon le motif, les fils sont couverts et exposés plusieurs fois avant d’enfin ouvrir toutes les couvertures après la dernière teinture ; 4) Tisser le textile.

En Inde, comme nous pouvons voir dans la carte (Annexe IV), les textiles ikats sont fabriqués dans plusieurs endroits, certains spécialisant en ikat simple, d’autres en ikat double, et ou en coton ou en soie. Par exemple, les états d’Orissa et Telangana sont des producteurs d’ikat simple et ikat double en coton. Patan est connu pour ses soieries ikats doubles – les patola. Les ikats indiens les plus connus proviennent des états de Telangana (telia rumal et pochampalli), d’Orissa (bandhas), de Tamilnadu (sungudi) et enfin de Gujarat (patola et mashru).

Les techniques de fabrication des ikats restent plus ou moins le même dans toutes ces régions de production. Pourtant la différence se repose sur le type de textile fabriqué, la matière textile ainsi que les motifs utilisés qui sont devenus synonymes à ces

48 Selon Crill, les matériaux utilisés sont des fils de coton, des feuilles, du plastique ou même des pneus de voiture. Voir CRILL, Rosemary, Indian ikat..., op.cit., London, VandA Publication, 1998, p.10.

48 régions. Si les patola sont souvent des saris d’ikat double sur la soie, les telia rumal sont des dupattas (châles) ou des lungis (sarongs) d’ikat simple sur le coton. Curieusement, ces deux textiles figuraient parmi les marchandises importantes du commerce international49. Les bandhas d’Orissa sont pratiqués sur le coton (ikat simple et double) et la soie (ikat simple). La technique la plus courante à Orissa est l’ikat simple de trame. Néanmoins, nous pouvons y trouver des ikats de chaîne ainsi que les ikats double. Selon Crill, la technique d’ikat de trame serait inventée pour remplacer d’autres techniques de tissage telles que celle des trois navettes utilisées pour créer le motif du « temple » ou la pyramide étagée dans les bordures latérales50.Il se peut que la technique ikat soit développé dans l’état d’Orissa à cause de sa proximité avec l’état de Telangana.

De même, certains motifs des ikats fabriqués à Orissa se ressemblent aux motifs retrouvés à Telangana. A la différence des motifs géométriques de patola, les motifs de bandhas d’Orissa sont plutôt curvilignes et souvent ondulatoires. Les ikats d’Orissa sont parfois utilisés à des fins religieuses51. Toutefois, les ikats de Telangana connus sous le nom de Telia Rumal sont carrés avec des motifs géométriques en rouge, noir et blanc. L’utilisation d’alizarine, un colorant rouge obtenu de l’extrait de la garance, émette une odeur huileuse ce qui donne leur nom : telia signifie huileux en hindi. Ces ikats sont rapidement devenus très populaires et des imitations imprimées

49 CRILL, Rosemary, op.cit. 1998, p.87. 50 Ibid. p.107.

49 de Manchester et de la Chine ont commencé à envahir le marché52. Aujourd’hui, les tisserands qui auparavant ne fabriqués que les saris à Orissa et les telia rumals à Telangana, confectionnent des écharpes, du linge, des draps, etc. pour faire face à la concurrence et pour la survie quotidienne.

De plus des patola, les textiles mashru figurent parmi les ikats de Gujarat qui sont également fabriqués à Patan mais sont plutôt centrés à Mandvi et Surat. Les textiles mashru sont fabriqués avec une chaîne en soie et une trame en coton. Lorsqu’il est porté, le coton est à l’intérieur et la soie à l’extérieur ce qui donne au textile un effet soyeux et satiné. Destiné à un public islamique, l’unicité des textiles mashru réside dans les bandes rayées aux couleurs éclatantes et vives entre les quelles les motifs ikats apparaissent. Notre projet de musée pourra éventuellement être appliqué aux textiles mashru car ils se trouvent également en voie de disparition. Etant donné qu’il existe quelques tisserands de Mashru à Patan, le musée de patola pourra potentiellement dédiée une partie à sa fabrication pour montrer la différence entre les deux techniques ikats.

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