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Chapitre 1. Introduction générale

1.1. Mise en contexte

1.1.1. Radiothérapie conventionnelle et protonthérapie

La radiothérapie est une méthode de traitement du cancer qui consiste à éradiquer des cellules cancéreuses à l’aide de rayonnement ionisant. En radiothérapie conventionnelle, ces dommages cellulaires sont générés de façon indirecte, à l’aide de rayons X de haute énergie (généralement entre 3 et 25 MeV) qui interagissent avec les molécules d’eau présentes dans les cellules humaines. Ces interactions produisent des composés oxydants fortement réactifs, qui ont le pouvoir de briser les différents assemblages macromoléculaires nécessaires à la survie et à la reproduction d’une cellule (ADN, membrane cytoplasmique, etc.). De nos jours, les appareils les plus largement employés pour générer les rayons X en radiothérapie conventionnelle sont les accélérateurs linéaires (communément appelé linac), qui permettent de produire des faisceaux dont l’angle, la collimation, l’intensité et l’énergie peuvent être adaptés à chaque traitement.

En théorie, même les cellules cancéreuses les plus résistantes peuvent être éliminées par la radiothérapie. En pratique, la dose de radiation nécessaire pour éradiquer une tumeur ne peut cependant pas toujours être administrée de façon sécuritaire, en raison de la toxicité induite aux cellules saines environnantes lors du traitement. En effet, les dommages cellu- laires causés par la radiation ne sont pas exclusifs aux cellules cancéreuses, et les organes sains situés aux alentours de la région à traiter sont également susceptibles d’être affectés

par la radiation. Pour cette raison, plusieurs innovations technologiques ont jalonné l’histoire de la radiothérapie par rayons X, permettant à celle-ci d’augmenter peu à peu la précision des traitements, en concentrant de plus en plus la dose de radiation à l’intérieur des volumes cibles. En irradiant les tumeurs à partir de plusieurs angles, les techniques modernes de radio- thérapie par rayons X telles que la radiothérapie par intensité modulée (IMRT) permettent d’éviter de livrer de fortes doses de radiations dans les organes à risques situés à proximité du volume tumoral. Cependant, ce résultat est obtenu au coût d’une augmentation du volume total de tissus sains irradiés, la dose absorbée totale dans le patient (dose intégrale) étant à peu près inchangée [66, 9]. Pour certains types de cancers, tels que les cancers pédiatriques, il s’agit là d’une préoccupation majeure. En effet, en vertu de leur espérance de vie plus longue, les enfants traités par radiothérapie sont plus susceptibles de souffrir des effets à long terme de leur traitement que les patients adultes, chez qui l’âge médian de diagnostic est au-delà de 70 ans [113]. Ces effets secondaires à long terme peuvent être importants, allant d’un trouble sévère du développement jusqu’à l’apparition d’un second cancer.

L’incapacité de la radiothérapie conventionnelle à diminuer de façon significative la dose intégrale d’un traitement donné est attribuable aux propriétés balistiques des rayons X, qui déposent de l’énergie de façon exponentielle décroissante dans la matière. C’est pour remédier à cette limitation que Robert R. Wilson proposa dès 1946 la protonthérapie, celle- ci visant à utiliser des faisceaux de protons pour éradiquer les tumeurs. Les protons, comme toutes les particules chargées, ont la propriété de créer des dommages aux cellules par action directe, en plus de pouvoir le faire de façon indirecte tout comme les rayons X. Cependant, contrairement aux rayons X, les particules chargées de masse significativement supérieure à celle de l’électron ont la propriété particulière de déposer un maximum d’énergie localement à la fin de leur parcours. Ce phénomène, connu sous le nom de pic de Bragg, permet aux protons et aux autres particules lourdes chargées de générer des foyers hautement ionisants en profondeur dans la matière. La position du pic de Bragg dans un matériau donné étant déterminée par l’énergie du faisceau, il est possible de couvrir un volume tumoral entier en modulant l’énergie des protons incidents. La figure 1.1.1 illustre ce phénomène, en présentant

les profils de dose associés à des faisceaux de rayons X, de protons et de protonthérapie (faisceau de protons modulé en énergie) dirigés vers une tumeur du cerveau. On remarque ainsi que le faisceau de protonthérapie permet de maximiser la dose déposée dans le volume tumoral, tout en épargnant complètement le tronc cérébral, un organe à risque où la dose doit rester sous un seuil critique. L’impact de la protonthérapie à l’échelle d’un traitement entier est démontré à la figure 1.1.2, où des distributions de dose typiques pour la radiothérapie conventionnelle et la protonthérapie sont présentées. On y remarque que la protonthérapie permet aisément d’épargner un volume important de cerveau sain, en plus de diminuer significativement le niveau de radiation atteignant le tronc cérébral.

Patient Crâne

Cerveau sain Tumeur

Tronc cérébral (à risque)

Profondeur Dose Rayons-X Protons (1 énergie) Protonthérapie Direction du faisceau

Figure 1.1.1. Représentation schématique de la dose absorbée en fonction de la profon- deur pour des faisceaux de rayons X, de protons et de protonthérapie (faisceaux de protons modulés en énergie). Schéma inspiré de [89]

.

Malgré les avantages conceptuels de la protonthérapie, son utilisation est restée margi- nale durant de nombreuses années. Les débuts officiels de la protonthérapie ont eu lieu en 1954 au Lawrence Berkeley Laboratory [184] et durant plusieurs décennies, ces traitements ne furent offerts que dans quelques laboratoires de recherche tels que le Harvard Cyclo-

Radiothérapie conventionnelle

(Rayons-X) Protonthérapie

Niveau de radiation

Bas Élevé

Figure 1.1.2. Comparaison entre les distributions de dose typiques pour le traitement d’une tumeur au cerveau en radiothérapie conventionnelle et en protonthérapie. Distributions de dose inspirées de [42]

pour permettre le traitement de tumeurs profondes, les protons doivent être accélérés à des énergies pouvant aller jusqu’à 250 MeV (ce qui correspond à une portée de 38 cm dans l’eau [20]). De telles énergies peuvent être obtenues à l’aide d’un cyclotron ou d’un syn- chrotron, deux accélérateurs de particules autrefois opérés uniquement au sein de quelques laboratoires de physique à l’échelle de la planète. Ce n’est que dans les années 1990 que les premiers centres entièrement dédiés à protonthérapie firent leur apparition, alors qu’une véritable accélération dans la construction de centres de protonthérapie n’a eu lieu que dans les années 2010. Aucun centre de protonthérapie n’est encore opérationnel au Canada, ce- pendant l’ouverture du premier centre canadien est attendue à Montréal d’ici 2021. Il est à noter que quelques tumeurs oculaires sont également traitées annuellement au laboratoire TRIUMF en Colombie-Britannique depuis 1995.

L’essor de la protonthérapie est étroitement lié à l’apparition des nouvelles générations d’accélérateurs de plus en plus compacts et économiques, bien que le coût de ces appareils mine encore aujourd’hui le rapport coût-bénéfice de la protonthérapie face à la radiothérapie conventionnelle. Pour absorber le coût d’un accélérateur de protons, il est d’usage de relier celui-ci à plusieurs salles de traitements parallèles, opérées à tour de rôle. La figure 1.1.3

présente le schéma d’un centre de protonthérapie typique, combinant des salles équipées de

gantry, permettant d’irradier le patient depuis différents angles, et d’une ligne de faisceau

fixe ne permettant d’irradier que dans une seule direction. Cyclotron Gantrys Ligne de transport du faisceau Ligne de faisceau fixe Système de sélection d’énergie Parcours des protons Table de traitement

Figure 1.1.3. Schéma d’une installation typique de protonthérapie équipée de deux Gan- trys et d’une ligne de faisceau fixe.

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