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Chapitre 1. Introduction générale

1.1. Mise en contexte

1.1.2. Incertitudes sur la portée des faisceaux de protonthérapie

Au-delà de son coût, la protonthérapie souffre également d’un manque de maturité tech- nologique vis-à-vis la radiothérapie conventionnelle, qui est employée à grande échelle depuis des décennies et qui a subi une importante évolution durant cette ère. Ainsi, certains en- jeux spécifiques à la protonthérapie ne peuvent pas être efficacement pris en charge par des méthodes développées originalement pour la radiothérapie à rayons X. C’est le cas de l’incertitude de portée, une considération spécifique à la protonthérapie. En effet, bien que la concentration de la dose en fin de parcours des protons représente une caractéristique favorable d’un point de vue théorique, celle-ci introduit également des défis inexistants en radiothérapie conventionnelle. Cette réalité est mise en évidence à la figure 1.1.4, où les profils de doses pour une situation incertaine sont présentés. Une telle situation peut être

imputable à une modélisation imprécise du faisceau, à une modification de l’anatomie du pa- tient, ou encore à une caractérisation erronée des tissus dans lesquels le faisceau de protons se propage. Les graphiques de la figure 1.1.4 démontrent qu’en radiothérapie conventionnelle, ce type d’incertitude affecte de façon marginale la couverture du volume cible et l’atteinte de l’organe à risque. Pour la protonthérapie, c’est tout le contraire, alors qu’une erreur sur la prédiction de la portée du faisceau peut mener à une couverture inadéquate du volume tumoral (la région distale ne reçoit strictement aucune dose) ou encore au surdosage d’un organe à risque. Profondeur Dose Profondeur Dose Rayons-X Protonthérapie Patient Crâne Cerveau sain Tumeur

Tronc cérébral (à risque)

Direction du faisceau

Figure 1.1.4. Représentation schématique de la absorbée en fonction de la profondeur pour des faisceaux de rayons X et de protonthérapie pour une situation incertaine. Schéma inspiré de [89].

En pratique, l’incertitude de portée est prise en charge à l’aide de marges de sécurité appliquées en aval et en amont de la région à traiter, ou encore en irradiant uniquement à partir d’angles jugés sécuritaires. Ces méthodes heuristiques réduisent cependant l’efficacité des traitements de protonthérapie et, par conséquent, ses bénéfices face à la radiothérapie conventionnelle [46]. En particulier, l’emploi de marges de sécurité mène à une augmentation significative du volume de tissus sains susceptible de recevoir une dose de radiation élevée,

tel que présenté à la figure 1.1.5. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’une mesure nécessaire pour assurer l’efficacité des traitements (garantir que l’entièreté du volume tumoral reçoive la dose prescrite), il est désirable de minimiser l’incertitude de portée des protons de façon à pouvoir appliquer des marges de sécurité aussi étroites que possible.

Direction du faisceau Profondeur Dose Profondeur Dose Protonthérapie

marges larges Protonthérapie marges réduites

Traitement idéal

Traitement idéal+marge Volume potentiellement irradié

Figure 1.1.5. Impact de la taille des marges de sécurité sur le volume d’organes poten- tiellement irradiés durant un traitement de protonthérapie. Les couleurs font référence aux mêmes organes qu’aux figures 1.1.1 et 1.1.4

.

Tel que mentionné précédemment, différents facteurs peuvent affecter la précision du cal- cul du parcours des faisceaux de protonthérapie à l’intérieur d’une géométrie aussi complexe qu’un corps humain. Les modifications morphologiques du patient, le mouvement interne de ses organes et les erreurs de positionnement peuvent tous affecter le parcours du faisceau de protons et, par le fait même, la précision du traitement. Ces sources d’incertitudes ne sont cependant pas uniques à la protonthérapie, de telle sorte qu’il est possible d’en conte- nir l’impact à l’aide de diverses méthodes développées pour la radiothérapie conventionnelle. Cependant, même pour un contexte où la position de la tumeur est parfaitement connue, une incertitude sur la longueur de parcours des protons subsiste. Celle-ci provient en grande par- tie d’une évaluation imprécise des propriétés physiques des tissus dans lesquels les faisceaux

se propagent. L’impact de ces incertitudes étant unique aux particules chargées lourdes, sa prise en charge doit passer par une révision des méthodes employées en radiothérapie conventionnelle.

Dans la pratique clinique actuelle, la portée des protons est estimée à l’aide d’une carto- graphie des propriétés physiques des tissus d’un patient, inférée à partir d’une tomodensito- métrie axiale à simple énergie (single-energy computed tomography, SECT), communément nommée scanneur CT. Ce type d’appareil emploie un faisceau de rayons X de faible énergie (20 – 120 keV) dont l’atténuation à l’intérieur du patient est mesurée angle par angle. Cette information est ensuite traitée pour construire un volume tridimensionnel cartographiant le coefficient d’atténuation des rayons X dans le patient, généralement exprimé en coefficients d’Hounsfield (Hounsfield Unit, HU). Cependant, les lois qui régissent l’atténuation des rayons X sont différentes de celles qui définissent les interactions protons-matière. Il existe donc une dégénérescence entre les propriétés physiques d’intérêt pour la protonthérapie et les valeurs mesurées à l’aide d’un SECT. Par exemple, une quantité physique étroitement reliée à la por- tée des protons dans un milieu est ce que l’on nomme le pouvoir d’arrêt. Or, un seul et même nombre HU peut correspondre à différentes valeurs de pouvoir d’arrêt, et vice-versa. Cela implique qu’il n’est pas possible d’établir une relation exacte reliant les données recueillies au SECT aux quantités physiques nécessaires pour déterminer précisément la portée des protons dans le patient. Généralement, l’incertitude sur la conversion des nombres HU en valeur de pouvoir d’arrêt dans un patient sera de l’ordre de 3 à 4% [134, 157], ce qui est suf- fisant pour miner considérablement les bénéfices de la protonthérapie face à la radiothérapie conventionnelle.

Au cours de la dernière décennie, des appareils de tomodensitométrie multiénergie (multi-

energy computed tomography, MECT) ont été développés, principalement pour des applica-

tions en radiologie diagnostique[54, 81]. Comme leur nom l’indique, ces appareils fournissent des mesures d’atténuation pour plusieurs énergies de rayons X simultanément. La seule modalité MECT commercialement disponible à l’heure actuelle est la tomodensitométrie bi- énergie (dual-energy computed tomography, DECT), qui fournit des mesures d’atténuation

pour deux énergies de rayons X. Par ailleurs, des prototypes d’appareils permettant d’em- ployer un nombre arbitraire d’énergies sont en développement [181, 212, 10]. En radiologie diagnostique, le DECT est employé pour différencier certaines structures anatomiques, quan- tifier la présence d’un agent de contraste injecté dans les vaisseaux sanguins du patient ou encore caractériser certaines lésions [61, 60]. Or, la tomodensitométrie multiénergie permet également une caractérisation plus précise des tissus humains que le SECT. Des études ont démontré le potentiel du DECT à cet effet [104, 16, 201, 101], et il a été suggéré que cette in- formation puisse être employée afin d’obtenir une meilleure prédiction du pouvoir d’arrêt des tissus humains[206, 29, 70]. Quant au MECT en général, ses bénéfices face au SECT n’ont pas encore fait l’objet d’études dans le contexte de la protonthérapie. Ainsi, cet ouvrage se penche sur le potentiel de la tomodensitométrie multiénergie à améliorer la prédiction du parcours des faisceaux de protonthérapie. Les objectifs détaillés et la structure de cette thèse sont présentés ci-bas.

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