CHAPITRE III : modalités d’emploi de radioligands en médecine nucléaire pour le diagnostic et/ou le traitement
1. Développement d'un radioligand
1.2. Radiomarquage
1.2.1 Choix du radioisotope
Il existe deux principales méthodes de marquage en médecine nucléaire : la méthode directe où l’isotope radioactif est fixé au vecteur et la méthode indirecte qui utilise un chélateur
bifonctionnel, capable de lier le ligand et le radioisotope. Dans les deux cas, le protocole de
radiomarquage doit être simple (une ou deux étapes maximum) et rapide (en adéquation avec
la demi-vie du radioisotope utilisé), et une pureté radiochimique supérieure à 90% est visée
et/ou le traitement de tumeurs solides
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La sélection du radioisotope pour le développement d’un radioligand dépend
essentiellement du type de rayonnement, lui-même est fonction de son utilisation. Pour le
diagnostic, les radioisotopes les plus employés émettent des rayonnements gamma (γ) et des positons (β+). Les rayonnements γ sont des ondes électromagnétiques très pénétrantes et
d’énergies très variables (Schibli et Schubiger, 2010) tandis que les β+ parcourent quelques µm
voire quelques mm, et produisent deux photons d’annihiliation de 511 keV chacuns, qui sont
perçus par des détecteurs situées autour du sujet (Griffiths, 2008 ; Treglia et al., 2012). Pour la
thérapie, les rayonnements les plus utilisés sont les électrons (β-) et les particules alpha (α), ces
dernières étant en pleine émergence (Kratochwil et al., 2014 ; Lacoeuille et al., 2018).
La demi-vie d’un radioisotope doit être suffisamment i) longue pour lui permettre d’atteindre sa cible et ii) courte pour ne pas irradier l’organisme et limiter les effets secondaires.
Enfin, ces composés doivent pouvoir être produits à partir d’un réacteur nucléaire, d’un
cyclotron ou d’un générateur, ce dernier permettant d’obtenir un isotope à moindre coût
et/ou le traitement de tumeurs solides
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Nom Abrv. Demi- vie (h) Emission principale Mode de production Chélateur(s) associé(s) Application(s) Modalité d’imagerie
Iode-123 123I 13,2 γ Cyclotron SIB, SIPC Diagnostic TEMP
Tecnécium- 99m 99mTc 6,02 γ Générateur 99Mo/99mTc HYNIC, MAG3, GGC Diagnostic TEMP Gallium-67 67Ga 78,2 γ Cyclotron NOTA, DOTA Diagnostic TEMP
Iode-120 120I 1,4 β+ Cyclotron SIB, SIPC Diagnostic TEP
Fluor-18 18F 1,83 β+ Cyclotron SFB Diagnostic TEP
Gallium-66 66Ga 9,5 β+ Cyclotron NOTA, DOTA Diagnostic TEP
Gallium-68 68Ga 1,13 β+ Générateur
68Ge/68Ga NOTA, DOTA Diagnostic TEP
Cuivre-64 64Cu 12,7 β+ ; β- Cyclotron TETA, DOTA,
NOTA, ATSM
Diagnostic,
thérapie TEP Indium-111 111In 67,9 γ ; e- Auger Cyclotron DTPA, DOTA Diagnostic,
thérapie TEMP Lutécium-177 177Lu 160 β- ; γ Réacteur DOTA Thérapie,
diagnostic TEMP Yttrium-90 90Y 64,1 β- Générateur
90Sr/90Y DOTA Thérapie TEMP/TEP
Bismuth-212 212Bi 1 α ; β- Générateur
224Ra/212Bi DOTA Thérapie TEMP
Bismuth-213 213Bi 0,75 α ; β- ; γ Générateur
225Ac/213Bi DOTA Thérapie TEMP
Actinium-225 225Ac 240 α Générateur
229Th/225Ac DOTA Thérapie n.d.
Tableau 15. Caractéristiques des principaux radioisotopes utilisés et/ou développés en médecine nucléaire. La sélection du radioisotope pour le développement d’un radioligand repose essentiellement
sur le type de rayonnement (en fonction de son utilisation) et sur sa disponibilité (en fonction de son mode de production). ATSM : diacétyl-bis(N(4)-méthylthiosemicarbazone ; DOTA : acide 1,4,7,10- tétraazacyclododécane-1,4,7,10-tétraacétique ; DTPA : acide diéthylène-triamine-penta-acétique ; GGC : Gly-Gly-Cys ; HYNIC : acide hydrazinonicotinique ; MAG3 : mercapto-acétyltriglycine ;
NOTA : acide 1,4,7-triazacyclononane-N,N',N''-triacétique ; SFB : N-succinimidyl-4-[18F] ; SIB : N-
succinimidyl-3-iodobenzoate ; SIPC : N-succinimidyl-5-iodo-3-pyridinecarboxylate ; TEMP : tomographie par émission monophotonique ; TEP : tomographie par émission de positons ; TETA : acide 1,4,8,11-tétraazacyclotétradécane-1,4,8,11-tétraacétique. 225Ac : actinium-225 ; 212/213Bis : bismuth-212 ou -213 ; 64Cu : cuivre-64 ; 66/68Ga : gallium-64 ou -68 ; 68Ge : germanium-68 ; 18F : fluor-18 ; 111In : indium-111 ; 120/123I : iode-120 ou -123 ; 177Lu : lutécium-177 ; 99Mo : molybdène_99 ; 224Ra : radium-224 ; 90Sr : strontium-90 ; 99mTc : tecnécium-99 métastable ; 229Th : thorium-229 ; 90Y : yttrium-90. n.d. : non déterminé.
et/ou le traitement de tumeurs solides
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1.2.2 Choix du chélateur
Dans la mise au point de radioligands, un chélateur permet de faire le lien (= la
conjugaison) entre le radioisotope sélectionné, l’espaceur (le linker) et le ligand. Sa sélection et
son design sont très importants puisque son incorporation modifie la taille, la charge et le poids
moléculaire du ligand finalement obtenu (Fani et al., 2012b ; Fani et Maecke, 2012). Une
grande variété de chélateurs et de méthodes de conjugaison a été testée au cours de ces dernières
années (Okarvi, 2008 ; Niedermoser et al., 2015). La méthode la plus couramment utilisée,
appelée méthode de post-conjugaison, consiste à greffer le chélateur sur le ligand, puis à
incorporer le radioisotope (Fani et al., 2012b). A ce jour, aucun radioisotope ne remplit toutes
les exigences espérées pour le diagnostic et le traitement de tous les cancers ; ce constat est le
même pour les chélateurs. Ainsi, plusieurs molécules basées sur une structure aliphatique, telles
que le DTPA, ou macrocyclique telles que le DOTA, ont été développées pour être
radiomarquées avec divers radioisotopes, chacun avec leurs avantages et leurs inconvénients
(Fani et al., 2012b ; Fani et Maecke, 2012).
Les chélateurs aliphatiques ont des propriétés cinétiques favorables pour la plupart des
radioisotopes utilisés en clinique (Charron et al., 2016). Les radioligands utilisant le DTPA présentent l’avantage d’être rapidement disponibles (incubation pendant 10 à 15 min) et d’offrir
un rendement très important. Pour autant, leur stabilité thermodynamique pose problème
lorsque leur rétention dans le sang est longue, comme cela a été observé dans le cas du
111In-DTPA-OC (Fani et Maecke, 2012). Plusieurs études ont montré la supériorité
thermodynamique de nouveaux chélateurs cycliques comme le DOTA ou le NOTA, améliorant
ainsi les performances des radioligands greffés sur ces chélateurs (Kwekkeboom et al., 2010 ;
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Plus stables que les chélateurs aliphatiques (comme le DTPA), le DOTA et le NOTA
peuvent également chélater un plus large panel de radioisotopes. La lente cinétique de
conjugaison avec les radioisotopes peut être améliorée par chauffage (90°C – 100°C) (Okarvi,
2008). Le DOTA est utilisé en médecine nucléaire avec le 177Lu et le 68Ga pour traiter ou mettre
en évidence la présence de tumeurs, et parmi les traceurs utilisés, figurent le 68Ga-DOTA-TOC
(Morgat et al., 2016) et le 177Lu-DOTA-TATE qui interagissent avec les récepteurs sst2
(Garske-Román et al., 2018).
D’autres types de chélateurs ont été développés, tels que les groupes prosthétiques,
capables de fixer les radioisotopes de faible masse moléculaire comme le 18F (Honer et al.,
2011 ; Liu et al., 2014b ; Niedermoser et al., 2015). Cependant, cette conjugaison nécessite
plusieurs étapes difficiles pour obtenir un radioligand avec un grand rendement et une haute pureté. En effet, le principal défi, avec l’ajout d’un groupement prosthétique sur des analogues
de synthèse, est d’obtenir un site spécifique de radiomarquage sans altérer les fonctionnalités
des chaînes latérales du peptide contenant des amines, des amides ou des acides carboxyliques
qui se trouvent sur la plupart des séquences et qui sont souvent perturbées lors de la conjugaison
(Kostikov et al., 2012 ; Charron et al., 2016). Comme évoqué précédemment, les ligands
marqués au 18F présentent toutefois de meilleures caractéristiques pharmacocinétiques avec une
meilleure perméabilité tissulaire et une rétention plus grande au sein des tumeurs (Niedermoser
et/ou le traitement de tumeurs solides