I/ Rôles physiologiques d’Ets-1
I-1/ Rôles généraux
I-1-1/ Prolifération cellulaire
Ets-1 est impliquée dans différentes phases du cycle cellulaire, contribuant au contrôle
de la progression du cycle. Son effet prolifératif a été décrit dans des rétinopathies [80], des
gliomes [183] ou encore des carcinomes gastriques [184]. Néanmoins, ce rôle est avant tout
physiologique et permet lors du développement embryonnaire, de l’hématopoïèse ou encore
lors de l’angiogenèse une prolifération efficace des cellules.
Un certain nombre de gènes cibles d’Ets-1 sont en faveur de la prolifération : (1) le
gène de la cycline D1, dont le promoteur est contrôlé par Ets-1 en réponse à l’hypoxie, et qui
favorise la progression en phase G1 (« growth 1 ») du cycle cellulaire [185]. (2) Les gènes de
la cycline E et de CDK2 (« cyclin-dependent kinase 2 ») activés par Ets-1 pour permettre la
transition de la phase G1 à la phase S (« synthesis ») [186]. (3) Le gène du facteur
c-Myc, dont l’expression est rendue possible grâce au recrutement d’Ets-1 au niveau de son
promoteur. Ceci permet la restauration de l’entrée en phase S de fibroblastes embryonnaires
murins, NIH-3T3, après stimulation par le CSF-1 (« colony stimulating factor-1 ») [187]. (4)
Les gènes du facteur NFκB et de la kinase IKKα (« IκB kinase α »). En effet, des études in
vitro démontrent qu’Ets-1 active l’expression des gènes de NFκB [188] et d’IKKα [189] ce
qui est en faveur de la stimulation des propriétés de NFκB et donc de la prolifération.
Par ailleurs, Ets-1 agit sur la transcription de gènes impliqués dans le blocage du cycle
cellulaire, tels que : (1) le gène de la protéine p53 ; des études ont mis en évidence que le
promoteur du gène suppresseur de tumeur p53, dont le produit coordonne l’arrêt du cycle
cellulaire en réponse au stress génotoxique, est transactivé par Ets-1 (voir Chapitre III §II-2-2)
[177, 178] . (2) Le gène du facteur p21waf1/cip1 et GADD153 : Ets-1 régule positivement
l’expression du gène de p21waf1/cip1 [190], un inhibiteur du cycle cellulaire et du gène de
réponse aux dommages à l’ADN, GADD153 (« growth arrest and DNA damage inducible
gene 153 ») [191].
I-1-2/ Sénescence
La sénescence est étroitement liée au cycle cellulaire, en ce sens qu’elle correspond à
un arrêt permanent de la croissance des cellules. Elle peut être déclenchée par l’activation
constitutive et prolongée de la voie Ras-MAPK qui, en régulant des protéines telles que p53,
Rb (« retinoblastoma protein »), p19ARF et p16INK4a, favorise le blocage de la prolifération
dans la sénescence [192].
De façon très intrigante, le taux de protéine Ets-1 augmente lors de la sénescence de
fibroblastes humains normaux [193]. Le rôle d’Ets-1 se situe au niveau du contrôle
transcriptionnel du gène p16INK4a, codant un inhibiteur du cycle cellulaire [193]. Au sein de
fibroblastes en prolifération, la fixation d’Ets-1 sur le promoteur de p16INK4a est inhibée par la
protéine Id1 (« inhibitors of DNA binding protein 1 ») [193]. Id1 n’étant plus exprimée lors de
la sénescence, Ets-1 peut alors activer le promoteur de p16INK4a. La régulation de ce gène est
très importante pour les propriétés antiprolifératives d’Ets-1. En effet, la mutation biallélique
du gène p16INK4a empêche la sénescence des fibroblastes induite par la surexpression d’Ets-1
[194].
I-1-3/ Apoptose
Dans des conditions physiologiques, l’apoptose, ou mort cellulaire génétiquement
programmée, est en équilibre constant avec la prolifération cellulaire pour maintenir
l’homéostasie tissulaire. Ets-1 présente des propriétés bivalentes dans l’apoptose qui résultent
de sa capacité de réguler des gènes pro-apoptotiques et anti-apoptotiques. Le rôle d’Ets-1 dans
l’apoptose dépend très fortement du contexte cellulaire.
En tant qu’oncoprotéine, Ets-1 est reconnue comme un facteur anti-apoptotique du fait
de son activité transcriptionnelle : (1) de répression du gène du facteur pro-apoptotique Bax
(« bcl-2-associated x ») [195]. (2) d’activation du gène du facteur anti-apoptotique Bcl-2
[162]. (3) d’activation du gène de MDR-1 (« multi drug resistance-1 »), glycoprotéine
transmembranaire permettant la résistance à l’apoptose induite par des drogues utilisées en
chimiothérapie [196].
La description d’Ets-1 comme facteur anti-apoptotique est renforcée par le fait
qu’Ets-1 est clivée lors de l’apoptose. En effet, des travaux ont montré que le taux d’Ets-qu’Ets-1 chutait
drastiquement dans les cellules en apoptose exprimant l’oncoprotéine [197, 198]. Notre
équipe a récemment démontré que cela était dû au clivage d’Ets-1 lors de l’apoptose par la
caspase-3 [199]. Il est à noter que l’isoforme Ets-1 p42, souvent qualifiée de pro-apoptotique,
est insensible à ce clivage [199].
Paradoxalement, différents travaux illustrent la capacité d’Ets-1 à induire l’apoptose.
Une première étude montre que l’augmentation du taux de protéine Ets-1 stimule l’apoptose
des cellules HUVEC, dans des conditions de faible concentration en sérum [200]. L’analyse
par micro-array de ces cellules surexprimant Ets-1 a permis de mettre en évidence que leur
apoptose est associée à : (1) une activation de gènes pro-apoptotiques tels que ceux de Bid
(« bcl2 interacting protein »), du cytochrome p450, de la caspase-4, de p27kip1 et de
p21waf1/cip1, (2) une répression de gènes anti-apoptotiques tels que ceux de la
cyclooxygénase-2, de l’IAP2 (« inhibitor of apoptosis protein 2 ») et de Hdm2 (« human double minute 2 »).
Néanmoins, cette étude ne permet pas de déterminer si ces gènes sont directement
régulés par Ets-1.
Une autre étude menée sur des cellules ES de souris reste plus controversée. Dans ces
cellules, la répression de l’expression d’Ets-1 empêche le déclenchement de l’apoptose
normalement induite par les UV [182]. Par contre, l’analyse par micro-array de ces cellules,
réprimées pour l’expression d’Ets-1, montre que le blocage de leur apoptose en réponse aux
UV est associé à : (1) une répression de gènes pro-apoptotiques tels que ceux de Perp (« p53
apoptosis effector related to PMP-22 ») et de Bax, ce qui est cohérent avec l’inhibition de
l’apoptose, (2) une répression de gènes anti-apoptotiques tels que ceux de Mdm2 (homologue
murin de Hdm2) et de la cycline G, ce qui est contradictoire avec le blocage de l’apoptose
[182].
En résumé, il est important de signaler que, si ces différents groupes de gènes cibles
d’Ets-1 paraissent avoir un rôle contradictoire, ils sont en réalité complémentaires. En effet,
Ets-1 est bien connue comme une oncoprotéine, mais, lors de mécanismes physiologiques,
son activité s’intègre au sein de régulations fines permettant l’homéostasie tissulaire. Bien
qu’elle favorise la prolifération, des signaux d’alerte, par exemple de la part de gardiens du
génome comme p53, peuvent faire d’Ets-1 un régulateur négatif de la prolifération. Lors de la
cancérisation, ces garde-fous n’existant plus, seul est conservé le rôle prolifératif d’Ets-1.
I-2/ Développement embryonnaire
Au cours du développement murin, l’expression d’Ets-1 est détectée de façon précoce.
Dès le 8ème jour embryonnaire (E8), Ets-1 est mise en évidence dans le sac vitellin. Son
expression est corrélée à la présence des hémangioblastes, précurseurs communs des lignées
vasculaire et hématopoïétique. A peine 12 heures plus tard (E8,5), des transcrits d’Ets-1 sont
trouvés dans des structures du système nerveux, telles que le tube neural et les crêtes neurales,
et dans des structures vasculaires, comme le plexus vasculaire péri-optique [201, 202]. Par la
suite (E11,5), Ets-1 est détectée dans le réseau vasculaire en formation, au niveau du cœur et
de l’aorte dorsale, ainsi que dans les capillaires se développant au sein du système nerveux
central. Durant les premières étapes de la morphogenèse (entre E12,5 et E16), Ets-1 est
exprimée dans de nombreux tissus lymphoïdes, comme le thymus et la rate, mais également
dans d’autres types de tissus, tels que les reins, les poumons, la langue et la peau [202].
L’utilisation de la technique d’hybridation in situ a mis en évidence qu’Ets-1 est présente
uniquement dans les cellules mésenchymateuses des organes en formation, qui possèdent des
capacités de migration et d’invasion importantes [201]. Néanmoins à E16, l’expression
d’Ets-1 diminue et se restreint à certains organes : reins, poumons, cœur, cerveau et thymus. Par
ailleurs, Ets-1 est détectée dans les bourgeons de membres et les vertèbres au sein desquels a
lieu un développement osseux [201]. Après la naissance, l’ARNm d’Ets-1 devient
difficilement décelable, il est surtout synthétisé dans la rate et le thymus à un faible niveau
[201].
Il est à noter que la déficience d’expression d’Ets-1 n’est pas létale chez des souris
transgéniques, bien que des anomalies importantes soient constatées au sein des lignées
lymphocytaires [108, 203, 204]. Lors du développement embryonnaire les facteurs Ets
fonctionnent souvent par couples. Ainsi, la déficience combinée d’Ets-1 et d’Ets-2 est létale
chez l’embryon de souris, et ceci du fait de graves défauts au niveau du développement
vasculaire [205]. En outre, pendant le développement de la main et des doigts le couple
Ets-1/Gabp-α active le promoteur du gène de la protéine morphogène SHH (« sonic hedgehog »).
Cette transactivation se fait en concurrence avec la liaison du couple Pea-3/Erm au niveau de
l’EBS le plus proximal du promoteur qui, eux, réprime l’expression du gène [206]. Ceci
permet de délimiter une zone d’activité de polarisation (ZPA) sur le bourgeon du membre où
le couple Ets-1/Gapb-α prend le dessus sur Pea-3/Erm. Les travaux associés à cette
découverte ont montré que la favorisation de la liaison d’Ets-1 et de Gabp-α provoquait une
extension de la ZPA, ceci étant à l’origine d’une polydactylie pré-axiale (PPD) [206].
L’ensemble de ses données montre une forte implication d’Ets-1 dans le
développement embryonnaire mais son activité est très souvent combinatoire et redondante
avec d’autres membres de la famille Ets et ceci selon le patron d’expression de chacun au sein
de l’organisme.
I-3/ Hématopoïèse
L’hématopoïèse permet de générer les différents types cellulaires qui constituent le
système sanguin à partir d’une cellule souche précurseur qui subit des différenciations
successives (Figure 24). Celles-ci sont orchestrées par des signaux particuliers, telles que des
cytokines, et par la combinaison de certains facteurs de transcription qui garantissent la
spécificité de chaque lignée. Parmi ces facteurs, Ets-1 joue un rôle prépondérant dans les
dernières étapes de formation de la lignée lymphoïde (lymphocytes T, lymphocytes B,
cellules NK (« natural killer »)), et elle participe à l’établissement de la lignée myéloïde
(mégacaryocytes, érythrocytes).
Hémangioblaste Cellule souche
hématopoïétique myélo-lymphoïdeProgéniteur Progéniteur lymphoïde
Différenciation
lymphoïde
Différenciation
myéloïde
Progéniteur myéloïde Progéniteurmégacaryocyte Mastocyte Progéniteur érythroïde éosinophileLignée basophileLignée Progéniteur granulocyte-macrophage Mégacaryocyte Plaquettes Pro-érythroblaste Erythroblaste polychromatique Erythrocyte Myéloblaste Myélocyte Neutrophile Progéniteur monocyte Monocyte Macrophage Progéniteur NK-cellule dendritique Pré-NK Cellule NK Pro-B Pré-B Lymphocyte B mature Plasmocyte Pro-T1 Pro-T2 Pré-T Lymphocyte T mature Lymphocyte T mature (quiescent) (activé) Cellule dendritique Cellule dendritique Ostéoclaste Cellule NKT