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Les rôles des acteurs sociaux dans le développement territorial

Dans le document U NIVERSITÉ DU Q UÉBEC EN O UTAOUAIS (Page 28-34)

Chapitre 1 - Compostelle – objet d’étude

1.3 Les rôles des acteurs sociaux dans le développement territorial

Bien que la patrimonialisation des atouts de Compostelle ait été un élément important du développement territorial des communautés autonomes traversées par le chemin, c’est à

l’effort commun et concerté des acteurs institutionnels, étatiques, ecclésiastiques, sociaux, et locaux que la croissance économique du nord-ouest de l’Espagne est due.

1.3.1 L’Église

L’Église a toujours tenu un rôle d’une grande importance politique en Espagne. Selon une analyse historique de documents d’époque pour un travail de maîtrise, dont le Codex Calixtinus12, le Liber Sancti Jacobi13, et l’Historia Compostellana14, Kevin Medeiros (2014) met en lumière les luttes entre l’Église de Compostelle, et celle de Tolède (Église wisigothique). La première tente de placer Saint-Jacques au centre de la montée du christianisme justifiant du coup la place de l’archidiocèse à Compostelle. La seconde octroie la prédication de l’Espagne aux disciples de Saint-Jacques minimisant ainsi le rôle de l’apôtre et la place de Compostelle dans l’histoire tout en défendant le diocèse de Braga créé en 1095, sous dépendance directe du Saint-Siège. C’est en 1123 que le pape Calixte II exhorte les chrétiens d’Europe à venir combattre les Sarrasins « pour le chemin d’Espagne » (De itinere Yspanie), chemin tracé par Charlemagne vers Compostelle. L’utilisation de la figure de Charlemagne accorde une influence aux pouvoirs situés en dehors de la péninsule ibérique et évince du coup l’Église de Tolède.

Selon la version de 1110 de l’Historia Compostellana, l’Espagne aurait été christianisée avant la Galice. Dans la version du pape Calixte II, plus adaptée aux exigences de Rome,

12 Comme vu auparavant, ce manuscrit est la compilation de cinq livres à la gloire de saint Jacques le Majeur servant à la promotion de Compostelle. Il est daté de 1140. Il est aussi nommé le Guide en référence au Livre V du même nom.

13 Ce manuscrit est la copie du Codex Calixtinus retrouvée en plusieurs exemplaires à travers toute l’Europe.

14 Cet écrit est un récit partisan de la tenure de l’évêque et ensuite premier archevêque de Compostelle, Gelmirez (1100 à 1140), qui établit la fondation de la légende de Santiago de Compostela.

trouvée dans le prologue du Livre de translation (Livre III du Codex Calixtinus), ce pape réaffirme la prédication de Saint-Jacques en Galice, faisant de cette communauté autonome le foyer du christianisme toujours redevable à l’apôtre. Il élève l’Église à Compostelle au rang d’archevêché par la bulle de 1120. Finalement en 1140, le récit de Calixte II est choisi par l’Église de Compostelle pour la production du manuscrit du Codex Calixtinus.

C’est en 1884, à la suite de la redécouverte des reliques de Saint-Jacques à Compostelle, que Leon XIII invite les chrétiens à se rendre en pèlerinage à Compostelle. La publication et la distribution du Guide (5e livre du Codex Calixtinus) par les ecclésiastiques d’Espagne accompagnée de la copie de la lettre Deus Omnipotens attestant de l’authenticité des reliques de saint Jacques sont à l’origine d’une reconstruction planifiée du territoire de la Galice15. Des cartes indiquant les chemins parcourus par des pèlerins du Moyen-âge sont alors distribuées. À partir de renseignements tirés du Codex Calixtinus, l’Église reprend le récit selon lequel des chemins menant à Compostelle auraient été foulés par des milliers de pèlerins qui auraient été hébergés dans des hospices ou autres établissements créés spécifiquement pour les recevoir tout au long du parcours (Id.). Quoiqu’aujourd’hui démystifiées, ces données sont maintes fois reprises dans les dépliants touristiques, les récits et mêmes dans les articles scientifiques (Coleman & Eade, 2004; González, 2013; Lopez, 2011;

Luik, 2012). De concert avec le gouvernement de l’époque franquiste, l’Église, omniprésente sur la scène politique confortait l’image de la ville sainte en instaurant les

15http://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php?id=1110 Léon XIII relance le « saint voyage » à Compostelle

célébrations des Jubilaires de 1954 et de 1965. Du coup, la sainte institution redorait son blason utilisant, chiffre à l’appui, l’engouement pour « le Chemin » comme preuve de la renaissance de la foi catholique (Herrero, 2008, p. 136; González, 2013, p. 19). À preuve de cette dévotion grandissante, jusqu’en 2014, les personnes ayant accompli au moins les 100 derniers kilomètres à pied présentaient leur crédentielle au Bureau d’accueil des pèlerins de la cathédrale et se déclaraient mues par la dévotion en cochant la case appropriée sur le formulaire devant être rempli avant de recevoir leur certificat. Le certificat était remplacé par une lettre d’attestation souvenir pour ceux ayant déclaré un autre but. Cette pratique a pris fin en 2014 et le diplôme rédigé en latin est remis à tous ceux et celles ayant parcouru la distance réglementaire sans distinction de la raison les ayant conduits à le faire. Cependant, les formulaires où les raisons « religieuse »,

« spirituelle » et « autre » sont cochées, elles sont toutes compilés sous le premier item.

De plus, l’Église a à de maintes occasions utilisé la route de Compostelle comme symbole de l’unité européenne (Herrero, 2008, p. 136).

1.3.2 L’État

Quoique Franco, à la fin de la guerre civile, n’ait pas utilisé de stratégie visant spécifiquement le développement de Compostelle, le programme d’excursions appelé

« Routes de Guerre » avait pour but un développement touristique régional basé sur l’histoire (Castro-Fernandez & González, 2006, p. 169). Ce programme destiné au tourisme étranger et développé par le Service national du tourisme a contribué à l’essor d’hôtels et d’auberges formant le Réseau de Paradors, dont un « Hôtel de Charme » au pied de la cathédrale de Santiago. Castro-Fernandez et González (2006) font le lien entre

la publicité déployée pour l’inauguration de l’hôtel et l’intérêt politique en soulignant la présence de Franco le jour de son ouverture.

Les plans de la réforme de 1959 ont permis d’améliorer les routes et les transports, incluant les routes menant à la ville sainte. Le programme comprenait aussi un programme d’excursions qui mettait en avant l’utilisation des établissements hôteliers.

De plus, la ville sainte bénéficia en 1964 du programme de restauration architecturale et d’aménagement urbain basé sur des plans de développement économique nationaux (Ibid.). Cependant, durant le règne franquiste (1936-1977), la Galice a connu de grandes périodes de répressions politiques, de négligence sociale et a vu sa capacité de développement économique réduite (Rash, 2014, p. ii).

Dès la fin de l’ère franquiste, une nouvelle organisation des territoires d’Espagne prit place. C’est sous la Constitution de 1978 que la Galice, située au nord-ouest de la péninsule ibérique, devient l’une des 17 communautés autonomes d’Espagne. Les statuts de la Constitution de 1978 permettent la décentralisation des pouvoirs administratifs vers une territorialisation régionale.

Toutefois, la notoriété de Compostelle ne s’est pas bâtie sur la seule renommée de son pèlerinage éponyme. Dès le XVe siècle, l’important centre universitaire de la ville faisait déjà sa réputation. C’est grâce à l’avènement de la démocratisation de l’enseignement en 1960 que Compostelle a connu une « phase d’expansion universitaire et urbaine » (Castro-Fernandez & González, 2006, p. 162). En 1985, la ville accueillait jusqu’à 35 000 nouveaux étudiants. Communauté estudiantine à laquelle s’est greffé le

personnel enseignant et administratif nécessaire au bon fonctionnement de l’institution.

Puis en 1981, la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle, qualifiée de « bijou monumental et historique »(Id., p. 163) est élue capitale administrative de la Galice. Par la suite en 1985, sa renommée grandissant, elle est ajoutée à la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO.

1.3.3 L’UNESCO

Cette reconnaissance est en ligne directe avec la stratégie d’unification européenne. À ce propos, Herrero (2008) apporte :

On the one hand, the route is used to represent and legitimise a European identity. [...] On the other hand, tourist promotion of the route is meant to compensate for the impact of European economic policies on traditional economic sectors like fishing and agriculture in underdeveloped regions like Galicia. (pp. 136-137)

Puis en 1987, les Amigos de Los Pazos présentent devant le Conseil de l’Europe une demande de reconnaissance du Chemin de Saint-Jacques en tant que « bien culturel de l’Europe ». Il est alors déclaré Premier itinéraire culturel européen du Conseil de l’Europe (Castro-Fernandez et González, 2006). Quelques années plus tard, soit en 1993, l’UNESCO inscrit le camiño francès au patrimoine mondial, ce qui entraîna la participation massive de 100 000 pèlerins la même année.

Cette popularité n’a cessé de croître depuis transformant du coup le cadre macro-économique et favorisant une croissance macro-économique ainsi qu’un développement territorial basés sur la valorisation du potentiel local. Les stratégies gouvernementales mises en place ont favorisé un développement endogène régional et local où « l’espace

devient porteur d’un contenu enrichi de valeurs socioculturelles et de traces historiques » (Moulaert et Nussbaumer, 2008, p. 18). C’est dans le contexte compétitif de la globalisation que les nationalités infranationales et régionales ont profité de l’opportunité offerte pour mettre en valeur les atouts historiques de leur territoire, l’origine de leur royaume médiéval ainsi que leurs spécificités culturelles, participant du coup au nouvel élan économique apporté par la route du pèlerinage de Compostelle (Castro-Fernàndez et González, 2006, p. 176; González, 2013, p. 19). En somme, la coopération entre les gouvernements régional et central, les administrations et institutions locales et même internationales ainsi qu’ecclésiastiques est essentielle au succès du développement territorial (González et Medina, 2003, p. 455) et au maintien de la croissance économique actuelle.

Dans ces dynamiques de développement, l’agent de l’action – le pèlerin effectuant le pèlerinage – tient une place importante, tout comme l’action elle-même et la route par laquelle se déroule le périple.

Dans le document U NIVERSITÉ DU Q UÉBEC EN O UTAOUAIS (Page 28-34)