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Popularité vs authenticité

Dans le document U NIVERSITÉ DU Q UÉBEC EN O UTAOUAIS (Page 24-28)

Chapitre 1 - Compostelle – objet d’étude

1.2 Le mythe comme instrumentalisation du territoire

1.2.1 Popularité vs authenticité

Bien que Compostelle soit sans conteste un modèle de réussite de développement territorial, elle pourrait devenir victime de sa propre popularité. La situation est, en bien des points, similaire à celle entourant le somin Volcan de l’Île-de-la-Réunion. Ce que Germanaz (2013, p. 402) décrit comme le processus de l’évolution du tourisme culturel semble pouvoir s’appliquer en partie au phénomène de Compostelle. Ce processus se développe en trois étapes : la première est celle de la fabrication du site, la deuxième celle du désenchantement et la troisième celle du réenchantement.

L’instrumentalisation du phénomène de Compostelle dans une visée de développement territorial, bien que déjà utilisée dans la période franquiste, a été renouvelée dans les

7SaintJacquesInfo-Présentation URL : http://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php?id=914

années 1980. Depuis, les acteurs politiques et institutionnels ont su exploiter le mythe de saint Jacques et l’attraction que procure la sensation d’un retour au passé en offrant la possibilité de marcher dans les pas des anciens et en faisant revivre la légende de saint Jacques par une « capitalisation des écrits » existants. On peut ici apporter en exemple la réédition du Codex Calixtinus et sa traduction par les autorités ecclésiastiques à des fins de distribution. À ce document, s’ajoutent tous les dépliants publicitaires et documents médiatiques et touristiques faisant état de la légende de saint Jacques de Compostelle adaptés selon la clientèle, soit pèlerine ou touristique. Le procédé de fabrication du mythe de Compostelle s’applique d’une part, à la ville sainte et d’autre part aux itinéraires y conduisant.

Contrairement au processus établi pour l’évolution du somin Volcan, dans le cas de Compostelle, la première phase de l’évolution du tourisme culturel est tout de suite suivie par la troisième, soit celle du « réenchantement ». C'est-à-dire, que jusqu’à environ 2010, la phase d’enchantement s’est poursuivie et s’est amplifiée. Les stratégies de développement gouvernementales consistant à mettre en valeur de nouveaux chemins, dont le del Norte et le Primitivo en Espagne ainsi que d’autres voies à partir de France, et la patrimonialisation de la ville de Santiago de Compostela et de son camiño par l’UNESCO, ont causé la densification du flux de visiteurs, du nombre de touristes et de pèlerins. Tout comme dans le cas du somin Volcan, des « possibilités de parcours » ont été ajoutées au réseau des routes existantes sur le territoire européen agrandissant du coup l’espace menant à la destination. Comme l’explique Germanaz (2013), le chemin ou la destination est alors consommé comme un grand spectacle. La remise en état des

infrastructures des communautés autonomes du nord-ouest de la péninsule, rendue possible par les programmes gouvernementaux, ont favorisé l’accroissement du nombre de pèlerins tout en permettant de diversifier les options d’itinéraire. Les touristes parviennent alors au but de leur voyage en empruntant différents parcours et par des moyens de transport divers, dans un espace-temps contracté. Cependant, le nombre accru de touristes dans la ville de Compostelle, tout comme le consumérisme sont dénoncés par les Associations pèlerines et les pèlerins eux-mêmes (Herrero, 2008, p. 146).

Fait à noter, avant 1980, la plupart des touristes arrivaient à Compostelle en utilisant les moyens de transport offerts et non à pied (Idem, p. 132). Quant à la fréquentation du lieu touristique, les statistiques officielles de 2004 indiquent que 179 944 pèlerins ont réclamé la compostelana8 à leur arrivée à la cathédrale, de ce nombre 76 % étaient d’origine espagnole. En comparaison, les dernières données compilées pour l’année 2014 démontrent une nette augmentation de la fréquentation des chemins avec 237 983 pèlerins, ainsi qu’une augmentation du nombre d’étrangers par rapport aux pèlerins d’origine espagnole qui ne comptent plus que pour 47 % des marcheurs9. Les camiños sont sans conteste de plus en plus populaires.

Néanmoins, les pèlerins ne représentent en fait qu’un faible pourcentage des touristes qui se rendent à la ville sainte soit entre 8 et 12 %. Selon les données recueillies par

8Compostelana ou Compostela : document délivré par la cathédrale de Compostelle certifiant que la personne a parcouru les 100 derniers kilomètres à pied ou à cheval, ou les 200 derniers kilomètres à bicyclette, avant l’arrivée à Compostelle.

9Oficina de Acogida al Peregrino URL: http://peregrinossantiago.es/esp/servicios-al-peregrino/informes-estadisticos/

González et Medina (2003, p. 449), la moyenne calculée en 2002 établissait le nombre de visiteurs entre trois et quatre millions par année. Ce nombre connaît une forte augmentation pendant les années jubilaires10. Celui de 2004 a attiré plus de 6,5 millions de touristes à Compostelle (Herrero, 2008, note 10, p. 132) dont près de 180 000 pèlerins11. Herrero (2008, p. 137.) souligne que l’asymétrie qui existe entre le nombre de pèlerins et celui des visiteurs se reflète aussi dans les revenus générés par chacun de ses groupes. Cependant, « ...the image of the pilgrim is very useful for the promotion of the government’s interests in so far as it demonstrates the contemporary relevance of the values associated with the Pilgrim’s Way. » (Ibid.).

La forte augmentation du nombre de touristes et de pèlerins sur les routes et dans la ville sainte occasionne depuis quelques années, ce que Germanaz (2013) décrit comme la phase de « désenchantement » causée par la banalisation du voyage occasionnée par la

« massification des flux ». C’est ainsi que Luik (2012, p. 40) relate son expérience personnelle lors de son arrivée à la Cathédrale de Compostelle et son désenchantement face à la foule de la cathédrale et son besoin déçu, tout comme pour les personnes interrogées, de se sentir spécial dans leur pèlerinage, d’où sa décision de quitter la ville sainte dès le lendemain pour poursuivre son chemin jusqu’à Finisterre afin d’y retrouver

« the simplicity and the peacefulness of my pilgrimage » (Ibid.). De son côté, Slavin (2003, p. 13), souligne que plusieurs des participants à son étude appréhendaient leur arrivée à Santiago et qu’ils percevaient dans les signes annonciateurs de la

10 Année jubilaire survient chaque fois que la fête de saint Jacques, le 25 juillet, tombe un dimanche, ce qui se produit quatre fois tous les vingt-huit ans. La prochaine année jubilaire sera en 2021.

11 Statistiques provenant du bureau d’accueil des pèlerins de la cathédrale de Compostelle URL : http://ultreia.pagesperso-orange.fr/stats1.htm

modernité (affiches publicitaires, offres de services, sentiers construits) à l’approche de la ville, que la route se résumait à une opportunité touristique pour les gouvernements local et provincial.

Contrairement à certains pèlerins, la massification est bien acceptée par les administrations locales puisqu’elle contribue à la croissance économique. González et Medina (2003, p. 457) soulignent le « changement morphologique des villes » qui se traduit par « les nouveaux centres de culture et de récréation ». La massification des flux occasionne aujourd’hui un désenchantement pour une partie des pèlerins qui affaiblit l’authenticité de l’expérience pèlerine.

Par ailleurs, le développement territorial de nord-ouest de l’Espagne a connu depuis la fin de la période franquiste des changements importants de gouvernance. La nouvelle Constitution espagnole de 1978 établit la réorganisation territoriale en dix-sept communautés autonomes (communidades autònomes) comprenant au total 50 provinces.

Les communautés autonomes du Pays basque, de la Navarre, de la Rioja, de Castille-et-León ainsi que de la Galice ont misé sur l’atout distinct qu’offre le chemin de Compostelle en faisant revivre son mythe. Cette stratégie s’est révélée plus qu’efficace.

Dans le document U NIVERSITÉ DU Q UÉBEC EN O UTAOUAIS (Page 24-28)