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Chapitre II: Revue de la littérature

2.6 Le rôle de la perception de l’agressivité et sa mesure

Jansen et coll. (G. Jansen, Dassen, & Moorer, 1997) ont émis l’hypothèse qu’une des raisons pouvant expliquer la différence entre le taux d’utilisation des mesures coercitives sur les unités de soins était reliée à la perception du personnel quant à ce qu’il considérait comme étant un incident agressif ou perturbateur. Ils ont donc créé la « Perception of

Aggression Scale » (ou tout simplement POAS), une échelle de mesure de la perception de

l’agression dans laquelle plusieurs gestes qui pouvaient potentiellement être qualifiés d’agressifs devaient être catégorisés comme étant soit « acceptables » ou « inacceptables » par les membres du personnel. Cette échelle a été soumise à des évaluations psychométriques rigoureuses qui ont démontré une structure à deux facteurs soit : d’une part, un geste agressif est inacceptable et, de l’autre, un geste agressif est « normal » ou « justifiable » dans certaines circonstances. Le premier facteur est représentatif d’un jugement moral négatif par rapport à l’agressivité en général alors que le deuxième traduit l’idée que celle-ci peut être un élément normal du comportement humain et peut être même saine. Il est possible que ces deux facteurs influencent l’évaluation des infirmières quant à l’usage des mesures coercitives en psychiatrie, certaines infirmières démontrant plus de tolérance face aux comportements agressifs et perturbateurs, ce qui fait qu’elles seront moins portées à recourir à des mesures de contentions et d’isolement. À titre d’exemple,

l’attitude du personnel face aux patients souffrant d’un trouble de personnalité a longuement été étudiée et il semble que les infirmières qui ont une attitude positive à leur égard sont plus en mesure de gérer leurs propres réactions lorsqu’elles sont confrontées à des comportements agressifs ou perturbateurs ou au non-respect des règles de l’unité (Bowers et al., 2002). Ces professionnels sont plus aptes à désamorcer des situations tendues et transformer les conflits potentiels en séance thérapeutique. Cependant, ceux qui ont une attitude moins positive semblent utiliser ces méthodes à des fins punitives ou à titre de « conséquence » lors d’un comportement indésirable, et d’imposer des règles plus sévères et rigides aux patients (Bowers, Alexander, Simpson, Ryan, & Carr-Walker, 2004). En somme, il semble que la perception de l’agressivité (ses causes, ses conséquences) a une influence sur le comportement et la réaction du personnel soignant, c’est-à-dire la gestion des comportements agressifs. Arango et coll. (Arango, Calcedo Barba, Gonzalez, & Calcedo Ordonez, 1999) ont également constaté qu’un mauvais rapport entre les patients et le personnel était relié à l’agressivité; les patients perturbateurs étaient méfiants, hostiles, moins portés à respecter les règles, et moins portés à établir un bon rapport avec le personnel, créant ainsi un cercle vicieux.

Si une perception négative ou positive de l’agressivité peut avoir un impact sur la fréquence avec laquelle le personnel soignant va recourir aux mesures coercitives, le nombre de comportements agressifs sur une unité peut aussi moduler celle-ci. Même si cette variable peut sembler plus « quantifiable » à première vue, il n’en demeure pas moins que c’est la perception de ce qui est violent (et de ce qui ne l’est pas) qui va influencer le nombre de

gestes de cette nature que le personnel va rapporter (Brizer, Convit, Krakowski, & Volavka, 1987). Plus ces gestes sont perçus comme étant fréquents, plus l’on peut s’attendre à ce que l’unité fasse usage de mesures d’isolement et de contentions (Sailas & Wahlbeck, 2005). Dans cet ordre d’idée, Yudofsky et coll. (Yudofsky, Silver, Jackson, Endicott, & Williams, 1986) ont voulu créer une échelle qui mesure strictement la perception de la fréquence de ces incidents violents et perturbateurs en milieu hospitalier. L’« Overt Aggression Scale » (ou OAS) cherchait à déterminer la fréquence de quatre catégories de comportements agressifs : (i) la violence verbale, (ii) la violence non verbale, (iii) la violence physique contre autrui et (iv) la violence dirigée contre soi-même. En créant l’OAS, les auteurs cherchaient à mesurer le nombre d’événements perturbateurs et agressifs ponctuels et non pas ceux qui s’inscrivent davantage dans une hostilité chronique ou « caractérielle » de la part des patients. Au fil des années, cette échelle s’est modifiée afin que son usage soit plus facile dans des contextes cliniques, mais les quatre facteurs principaux ont été préservés. Puis, en 1991, Sorgi et coll. (Sorgi, Ratey, Knoedler, Markert, & Reichman, 1991) ont modifié l’OAS originale pour ne conserver que quatre questions pour chacun des facteurs; on parlera alors de la « Modified Overt Aggression Scale » (MOAS ou OAS-M).

Les deux échelles mentionnées ci-dessus ont été abondamment utilisées dans la littérature scientifique des dernières années, mais aucune version française n’a été soumise à une analyse factorielle rigoureuse. D’ailleurs, les outils visant justement le calcul de la perception de l’agressivité et qui pourraient transcender les différentes langues et cultures sont peu nombreux (G. J. Jansen, Dassen, & Groot Jebbink, 2005; Needham, Abderhalden,

Dassen, Haug, & Fischer, 2004) et ceux qui existent s’inspirent déjà des deux échelles susmentionnées (G. J. Jansen, Middel, & Dassen, 2005), sans pour autant offrir les mêmes avantages quant à la concision des questions et leur nombre. Ce fait empêche donc une étude approfondie des variables perceptuelles dans la gestion des comportements agressifs en milieu intrahospitalier et l’utilisation des mesures coercitives, en plus de rendre difficile l’étude simultanée d’un maximum de facteurs, qu’ils soient organisationnels ou propres au personnel soignant, qui y sont reliés. Une telle étude permettrait éventuellement de faire ressortir les facteurs ayant la plus grande influence sur la façon de gérer ces comportements et, dans un deuxième temps, d’élaborer des modèles de soins pouvant se substituer à l’utilisation des mesures coercitives et ainsi répondre au dilemme éthique qu’elles soulèvent encore.