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Droits humains et dimensions éthiques entourant l’utilisation des mesures d’isolement

Chapitre II: Revue de la littérature

2.4 Droits humains et dimensions éthiques entourant l’utilisation des mesures d’isolement

Être la victime ou le témoin d’un geste agressif ou avoir la perception qu’un tel geste va survenir ne peut faire autrement que créer un sentiment de peur ou d’appréhension. Ainsi, un dilemme éthique peut surgir chez le personnel soignant en ce qui a trait à l’usage des mesures coercitives en psychiatrie : d’une part, il y a le besoin légitime de se protéger et de protéger autrui des comportements agressifs ou qui pourraient aller jusque-là. De l’autre, il y a l’obligation de soigner et d’aider le patient, à prime abord en réduisant le plus possible les conséquences indésirables découlant d’une hospitalisation (Bowers, Alexander, Simpson, Ryan, & Carr-Walker, 2004, 2007; Cleary, Hunt, & Walter, 2010; Whittington, Bowers, Nolan, Simpson, & Neil, 2009).

La gestion des comportements agressifs en psychiatrie est une réalité clinique incontournable. Cependant, que l’on soit patient ou membre du personnel soignant, l’utilisation des mesures coercitives soulève bon nombre de questions déontologiques et éthiques (Wanda, 2010). Certaines de ces questions touchent les fondements mêmes de nos

sociétés de droit. À titre d’exemple, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, promulguée par l’Organisation des Nations Unies (ONU, 1948), stipulait dans ces deux premiers articles :

- « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits […], sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation. »

Ces articles démontrent bien le conflit éthique fondamental en psychiatrie quand on soulève la question de l’utilisation des mesures d’isolement et de contentions : le fragile équilibre entre l’autonomie du patient et son droit à l’autodétermination, d’un côté, et de l’autre, le droit de ce dernier à la sécurité et au traitement découlant de sa pathologie (Prinsen & van Delden, 2009). Par exemple, on pourrait tenter de justifier l’utilisation des mesures coercitives en affirmant ce qui suit (Wertheimer, 1993): (i) les mesures de contentions peuvent encourager et améliorer l’autonomie à long terme du patient, (ii) les préférences « irrationnelles » (alors que le patient est en proie à la maladie) peuvent différer de ses préférences rationnelles (lorsque les symptômes de la maladie sont absents), (iii) le patient ayant subi un changement psychologique important (ex.. à la suite de dommages au cerveau, d’une expérience particulièrement éprouvante, ou d’un processus démentiel) doit être protégé de lui-même. Cependant, malgré la légitimité des motifs invoqués pour justifier l’utilisation de mesures d’isolement et de contentions, les dangers reliés à leur utilisation à des fins punitives ou à l’abus de pouvoir de la part du personnel soignant ne peuvent être passés sous silence (O'Brien & Golding, 2003). Le simple fait de souffrir d’une maladie mentale ne peut, en soi, signifier qu’une personne est incapable de s’occuper d’elle-même

ou de gérer ses biens (P. S. Appelbaum, 2006; Breeze, 1998). En revanche, il ne faut pas perdre de vue le besoin tout à fait légitime des membres du personnel de vouloir se protéger et de protéger les autres patients d’une unité de soins, ces derniers étant eux aussi fragiles et vulnérables d’un point de vue psychique.

En 1978, la Commission des droits de la personne des Nations-Unies a adopté une résolution qui visait la protection des patients hospitalisés pour des raisons de santé mentale. En 1991, soit plus de 10 ans plus tard, cette résolution a été promulguée officiellement. Selon le onzième principe de cette résolution :

- « Le recours aux mesures de contentions ou d’isolement contre le gré du patient ne sera utilisé que suivant des méthodes officielles approuvées par les établissements psychiatriques et seulement lorsque c’est le seul moyen valable de prévenir tout danger immédiat ou imminent que le patient s’inflige ou inflige à autrui des sévices, laquelle période ne sera prolongée au-delà de la période jugée nécessaire à ces fins. Toutes instances d’isolement et de contentions, leurs motifs ainsi que leur nature seront consignés dans le dossier médical du patient. Un patient restreint ou isolé sera détenu dans des conditions humaines et sera sous les soins et sous la surveillance régulière et vigilante de membres qualifiés du personnel. Son représentant, le cas échéant, sera avisé expressément de l’utilisation de telles mesures. »

En plus de la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié en 2005 un livre intitulé « The

Resource Book on Mental Health, Human Rights and Legislation », à titre de guide pour les

législations sur la santé mentale à travers le monde. En référence à l’utilisation de mesures d’isolement et de contentions, l’OMS recommande la création d’une législation nationale visant à s’assurer que les mesures d’isolement et de contentions ne soient utilisées qu’en dernier recours. Des infrastructures et des moyens devront être mis en place afin d’éviter

que ces mesures ne soient utilisées que dans le but de remplacer un encadrement inadéquat ou par manque de moyens. L’utilisation de mesures d’isolement ne devrait être permise que dans des établissements certifiés et, là aussi, les détails de ces mesures devraient être consignés dans un registre. En 2005, le Conseil européen a adopté une série de recommandations qui allaient dans le même sens (Jones & Kingdon, 2005).

Aux États-Unis, plusieurs états ont leurs propres lois et règlements concernant les mesures d’isolement et de contentions (Tardiff & Lion, 2008). Toutefois, la situation est compliquée par la différence de critères touchant leur utilisation des deux principaux organismes régissant les soins de santé, soit le « Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS) » et le « Joint Commission on Accreditation of Health Care Organizations (JCAHO) », lesquels supervisent les établissements subventionnés par le fédéral dans tous les états américains. De plus, un rapport intitulé « The American Psychiatric Association (APA)

Revised Task Force Report on Seclusion and Mechanical Restraint » est toujours en voie

de préparation depuis 2003. La fonction principale de l’équipe de l’« APA Revised Task

Force » est de baliser les pratiques courantes, réviser les méthodes, de même que limiter la

durée des mesures d’isolement et de contentions. Cependant, cette nouvelle équipe déterminera les critères d’utilisation de mesures de contention de manière plus large que le CMS et le JCAHO, lesquelles se limitaient à encadrer l’usage de mesures de contention dans des contextes de risques imminents (Tardiff & Lion, 2008).

Au Québec, deux nouvelles lois sont venues récemment modifier l’encadrement des mesures d’isolement et de contentions dans le domaine de la santé. La première, la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé (L.Q. 2002, c. 33), donne à d’autres professionnels que les médecins le droit de décider de l’utilisation de la contention. Quant à la deuxième, la Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux (modifiant notamment l’article 118.1), elle renforce notamment le rôle du comité de gestion des risques dans les établissements en lui confiant certaines responsabilités qui ont un rapport étroit avec l’application des mesures coercitives (AHQ, 2000). En regard des orientations prévues par l’article de loi, le Ministère de la Santé et des Services sociaux a dévoilé en décembre 2002 ses « Orientations ministérielles relatives à l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle : contentions, isolement et substances chimiques », accompagnées d’un plan d’action (2002-2005) (Morin & Leblanc, 2003). Deux colloques, l’un issu des milieux associatifs (Morisette & Québec, 2000), l’autre des établissements publics témoignent de son impact et de l’urgente nécessité de développer tout un nouveau corpus de connaissances. Dans son plan d’action, le Ministère encourage notamment les établissements à être novateurs et créatifs en développant des mesures de remplacement qui feront en sorte de diminuer significativement, voire d’éliminer, l’utilisation des mesures de contentions et d’isolement.