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Le rôle des perturbations liées au pâturage peut être prépondérant pour la construction de l’hétérogénéité spatiale des communautés végétales.

3.1 Utilisation hétérogène de la ressource par les herbivores et formation de patrons spatiaux de la végétation

L’influence du pâturage sur l’hétérogénéité spatiale de la végétation provient du fait que les herbivores n’utilisent pas la ressource de manière uniforme mais peuvent la sélectionner. Les herbivores font des choix alimentaires visant à maximiser leur ingestion énergétique (théorie de l’approvisionnement optimal, Charnov, 1976) et s’alimentent ainsi préférentiellement sur la végétation la plus riche en azote, aux tissus jeunes et à forte digestibilité (Jefferies et al., 1994; Parsons et al., 1994). Ceci, depuis l’échelle du paysage (choix des communautés) jusqu’à celle de la bouchée au sein des patchs choisis (Senft et al., 1987; WallisDeVries et al., 1999). Ces choix alimentaires peuvent être une des causes principales de la formation de patrons spatiaux dans la végétation des prairies pâturées. En effet, la qualité nutritive de la végétation est souvent améliorée dans les zones pâturées (McNaughton, 1979; McNaughton, 1984; Jefferies et al., 1994), de part une réduction de la quantité de matériel sénescent et le maintien des plantes dans des stades phénologiques jeunes par la défoliation (Richards et al., 1962; Hobbs, 1999) ou également par l’augmentation des nutriments dans le sol via les déjections (Holland and Detling, 1990). La mise en place d’un tel rétrocontrôle positif entre le pâturage et la végétation peut entraîner la formation d’un patron spatial dans la végétation composé de l’alternance de patchs de haute et médiocre qualité fourragère. Le pâturage préférentiel des patchs de bonne qualité fourragère entretient et renforce ce patron dans le temps, ce qui entraîne de fort contrastes entre les différents patchs et ainsi une forte hétérogénéité de la végétation. Les contrastes s’expriment en terme de physionomie du couvert (e.g. hauteur) et de qualité fourragère (i.e. digestibilité, matières azotées totales) mais

aussi en terme d’assemblages d’espèces et de traits (Bakker et al., 1983; Ring et al., 1985; Cingolani et al., 2005; Olofsson et al., 2008). Ainsi les espèces des patchs pâturés portent des traits leur permettant une repousse rapide alors que les espèces des patchs non pâturés sont souvent caractérisées par des traits liés à la conservation efficace des nutriments (i.e. stratégies ‘acquisitive’ vs. ‘conservative’, Diaz et al., 2001; Cingolani et al., 2005). Aussi la pression de pâturage forte au sein des patchs pâturés favorise des espèces de petite taille ou au port prostré et, plus largement, ayant des traits leur permettant de résister à la défoliation (Briske, 1996).

3.2 Influence du milieu et des pratiques

La mise en place d’un tel rétrocontrôle positif entre la végétation et les herbivores, induisant un scénario de pâturage ‘cyclique’ (McNaughton, 1979), a une plus forte probabilité d’apparaître dans des milieux productifs car il requiert la repousse rapide, au cours de la même saison de végétation, des plantes dans les patchs pâturés (Hobbs and Swift, 1988). De plus, dans ces systèmes, ce scénario sera facilité par l’accumulation d’une forte quantité de biomasse de faible qualité fourragère dans les patchs non pâturés. D’autre part, les pratiques pastorales peuvent limiter l’expression de la sélectivité des herbivores et ainsi ce scénario. La conduite en troupeaux du pâturage contraint par exemple les herbivores à consommer la végétation sur des surfaces choisie par le berger et pouvant être relativement restreintes (Adler

et al., 2001). Egalement un chargement trop élevé des herbivores diminue la ressource

disponible et peut conduire à la disparition de patrons spatiaux des patchs pâturés et non pâturés qui sinon s’exprimeraient à des chargements inférieurs (Berg et al., 1997, Figure 12). Enfin, la nature des herbivores influence également la formation de patchs de végétation, chaque herbivore ayant des capacités morphologiques (e.g. dentition) et physiologiques différentes (Illius and Hodgson, 1996; Kiehl et al., 1996; Ménard et al., 2002) qui influent sur leurs choix alimentaires.

3.3 Sélection de la ressource à différentes échelles spatiales

La sélectivité des herbivores peut s’exprimer à différentes échelles. La sélection de la ressource à une échelle large est souvent contrôlée par l’hétérogénéité à échelle large du milieu telle que des variations de topographie (Senft et al., 1987). A une échelle intra-communauté, les herbivores choisissent les patchs ou tâches de végétation les plus appétents et, au sein des patchs choisis, ils peuvent de nouveau choisir les bouchées selon la répartition des espèces les plus appétentes. Cependant, des études ont montré qu’à une échelle qui est fine par rapport à la taille des herbivores, la sélection de la ressource pouvait être aléatoire (WallisDeVries et al., 1999). Ainsi au sein d’un patch choisi, l’application des bouchées est très susceptible d’être un phénomène stochastique (Schwinning and Parsons, 1999; Parsons and Dumont, 2003). En effet, à des échelles qui sont fines par rapport aux herbivores, la ressource est perçue comme homogène par les animaux, ce qui favorise un scénario de pâturage de type ‘homogène’ décrit par (Adler et al., 2001, Figure 13). Ce scénario est prédit atténuer l’hétérogénéité spatiale de la végétation à cette échelle. Dans les milieux où la maille d’hétérogénéité de la végétation est fine par rapport à l’échelle de prélèvement des animaux (i.e. la bouchée), comme dans les prairies naturelles très diversifiées, ce type de scénario peut aussi se rencontrer à des échelles plus larges que le patch de végétation choisi. Egalement, le comportement grégaire des animaux pâturant en troupeaux peut faire diminuer le degré de sélectivité des herbivores et favoriser ce type de pâturage non sélectif (Augustine and McNaughton, 1998).

Figure 12. Création de patchs de Festuca rubra de hauteur contrastée

selon le chargement animal dans un pré salé en Belgique. L’absence de pâturage ou le pâturage intensif conduisent à des couverts de hauteur spatialement homogène alors que des chargements intermédiaires entrainent de l’hétérogénéité de la hauteur du couvert (D’après Berg et al. 1997).

3.4 Pâturage et hétérogénéité spatiale pré-existante des communautés végétales

Le pâturage n’est pas toujours créateur d’hétérogénéité spatiale au sein des communautés, il a même parfois été montré que le pâturage tendait à l’homogénéisation du couvert végétal (Collins and Smith, 2006). Adler et al. (2001) montrent en effet, qu’indépendamment du milieu, de la nature ou du chargement des herbivores, la résultante de l’effet du pâturage sur l’hétérogénéité spatiale de la végétation provient de l’interaction entre la réponse du pâturage à l’hétérogénéité spatiale pré-existante de la végétation et cette dernière (Figure 12). A une échelle donnée, si le pâturage a lieu de manière aléatoire par rapport à l’organisation spatiale de la végétation, dans ce cas il risque d’atténuer l’hétérogénéité intrinsèque de la végétation (i.e. liée aux facteurs endogènes des plantes et/ou aux conditions abiotiques hétérogènes). Si le pâturage est en revanche calqué sur les patches de végétation (e.g. patches appétents et non appétents), il peut renforcer l’hétérogénéité spatiale de la végétation.

Figure 13. Schéma représentant

les prédictions des effets du

pâturage sur l’hétérogénéité

spatiale de la végétation. Dans les

dessins schématiques, les

différents niveaux de gris

représentent les motifs de

végétation, tandis que les points noirs représentent la distribution du pâturage. Le schéma de gauche, montre un patron spatial du pâturage indépendant de celui de la végétation (pâturage ‘homogène’),

qui est susceptible de faire

diminuer la végétation sauf s’il est lui-même distribué en patchs et s’il forme des contrastes plus forts dans la végétation. Dans le schéma de droite, le patron de pâturage est calqué sur les patchs préexistants

et peut faire augmenter

l’hétérogénéité de la végétation dans le cas où il maintient les contrastes entre végétation pâturée et non pâturée. Le schéma de gauche montre aussi comme le patron du pâturage dépend de l’échelle d’observation : une échelle large d’observation révèle un pâturage par

patchs, alors qu’une échelle confinée dans une zone pâturée (indiquée par le carré) perçoit un pâturage homogène (Adler et al., 2001).

3.5 Actions du pâturage induisant de la variabilité spatiale à échelle fine

Trois actions majeures associées au pâturage, que sont la défoliation, le piétinement, et les dépôts d’urine et de fèces, peuvent créer de la variabilité des conditions biotiques et abiotiques à une échelle fine. Ces différentes actions ont lieu de manière localisée (patch d’urine, bouchées...) et introduisent de la variabilité spatiale (i.e. contraste et variété) des conditions abiotiques et effets compétitifs entre plantes au sein de la communauté (Jaramillo and Detling, 1992; Steinauer and Collins, 1995; Rietkerk et al., 2000; Augustine and Frank, 2001; Kohler et al., 2006). Les trouées et autres niches de régénération ainsi créées peuvent être recolonisées par dispersion de graines ou de propagules d’origine clonales (Kohler et al., 2006) ce qui augmente la mobilité des espèces (van der Maarel and Syskes, 1993) et ainsi la variabilité spatiale en terme de composition floristique mais aussi fonctionnelle : des espèces portant des traits variés (e.g. espèces nitrophiles, héliophiles…) peuvent bénéficier de la création des niches (Dupré and Diekmann, 2001; Pierce et al., 2007).

Dans les communautés prairiales pâturées, les perturbations introduites par les herbivores sont ainsi très susceptibles de créer de la variabilité spatiale à une échelle fine, ainsi que de conduire à la formation de patrons spatiaux de tailles, formes et agencements variés à l’échelle où leur sélectivité alimentaire s’exprime.