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Les études du système neuromusculaire chez le chat (Huizar et al. 1977; Dum & Kennedy 1980; Zengel et al. 1985; Cope et al. 1986) et le rat (Bakels & Kernell 1993a; b) ont montré une remarquable correspondance entre les propriétés intrinsèques des motoneurones et les propriétés contractiles de leurs unités motrices. Dans ces espèces, la fréquence à laquelle les motoneurones commencent à décharger correspond à la fréquence à laquelle les contractions musculaires unitaires commencent à se sommer. La fréquence de décharge des motoneurones augmente ensuite linéairement par rapport à l'excitation qu'ils reçoivent tout au long de la zone primaire, jusqu'à fusion tétanique complète des contractions musculaires. Chez le chat, l'AHP est un facteur essentiel dans le contrôle de cette fréquence de décharge (Manuel et al. 2006, cf. Chapitre I, Partie D).

Dans chaque unité motrice, sa durée correspond à celle des contractions unitaires des fibres musculaires (Burke 1980, 1981 ; Kernell 2006). Elle permet ainsi la production d'une force minimale aux plus basses fréquences de décharge puis une gradation progressive et linéaire de la force musculaire développée par l'unité motrice lorsque la fréquence de décharge augmente.

a) Rôle des MMOs dans le recrutement de la force musculaire chez la souris

Les MMOs présentes dans les motoneurones de souris créent une situation particulière pour la gradation de la force développée par les unités motrices. Elles produisent une zone sous-primaire dans laquelle la relation fréquence-courant est très pentue et induisent une grande variabilité dans la fréquence de décharge. Cette zone sous-primaire précède la zone primaire classique qui ne présente pas de MMOs et où la fréquence de décharge est très régulière. Manuel & Heckman ont récemment montré (2011) que la gradation de la force développée par les unités motrices de souris s’effectuait majoritairement au cours de cette zone sous-primaire. Lors de l'application au motoneurone d'une rampe lente de courant, la sommation des contractions unitaires commençait dès les premiers potentiels d'action et leur fusion tétanique était atteinte lors de l'apparition de la zone primaire de décharge. Cela est dû à plusieurs facteurs. 1) Une contraction plus lente que l’AHP (Figure 18A ; Manuel & Heckman 2011) : bien que les oscillations sous-seuil prolongent les intervalles entre les premiers potentiels d'action dans les motoneurones de souris, la durée des contractions musculaires unitaires permet néanmoins leur fusion dès le début de la décharge. 2) Une augmentation rapide de la fréquence de décharge en zone sous-primaire : l'état de faible excitabilité duquel émergent les MMOs est également responsable d'un retard dans le recrutement des motoneurones (Figure 18B), mais la fréquence de décharge augmente ensuite rapidement lors de la disparition des oscillations. La forte accélération de la décharge en zone sous- primaire permet alors d'atteindre rapidement la fréquence de fusion tétanique musculaire. 3) La fréquence de transition entre les zones sous-primaire et primaire est proche de la fréquence de fusion tétanique (Figure 18C). Autrement dit l’essentiel de la gradation de la force s’effectue en zone sous-primaire, contrairement au chat où la gradation de la force s’effectue en zone primaire. Puisque la durée des contractions unitaires diffère selon le type physiologique des unités motrices, des études chez le chat ont montré que la fusion

tétanique complète était atteinte pour des fréquences de décharges plus faibles dans les motoneurones Slow que Fast (25Hz et 85Hz respectivement en moyenne ; Burke 1967). On retrouve cette large gamme de fréquences de fusion tétanique chez la souris (45- 100Hz ; Manuel & Heckman 2011) mais, dans cette espèce, la fusion tétanique est toujours atteinte à la transition entre la zone sous-primaire et la zone primaire (Figure 18C).

Figure 18 : Mécanismes permettant la gradation de la force en zone sous-primaire. A. Force musculaire (tracé du

haut) généré par la contraction unitaire d'une unité motrice de souris en réponse à l'injection d'un bref créneau de courant (tracé du bas). Le tracé du milieu correspond au potentiel membranaire du motoneurone. On y voit la base du potentiel d'action suivi de son AHP. Notez que la durée de relaxation de l'AHP est plus courte que la contraction unitaire. B. Courbe courant fréquence d'un motoneurone en réponse à une rampe ascendante de courant. La ligne pointillé oblique indique la trajectoire théorique de cette relation si le motoneurone ne présentait pas de MMOs et si à fréquence minimale de décharge correspondait comme, chez le chat, à l'inverse de la durée de l'AHP. C. Fréquence de transition entre la zone sous-primaire et la zone primaire en fonction de la fréquence de fusion tétanique pour 9 motoneurones de souris. La droite de régression est indiquée en pointillé (r=0,90 ; p=0,0005). Adapté de Manuel & Heckman 2011.

Les expériences sur le chat (Kernell 2006), les primates (Palmer & Fetz 1985) et l'humain (Hornby et al. 2002) ont montré que la gradation de la force développée par un muscle était contrôlée par une combinaison du recrutement de ses motoneurones et de la modulation de leur fréquence de décharge. Chez la souris, l'état de faible excitabilité des motoneurones et les MMOs qui en émergent définissent une gamme étroite de courant pour laquelle la majeure partie de la force musculaire est générée. En conséquence, les unités motrices de souris pourrait être recrutées en « tout ou rien », ne laissant qu'un faible rôle à la modulation de la fréquence de décharge dans la gradation de la force. La seule stratégie pour augmenter la force musculaire développée par la souris serait alors de recruter plus d'unités motrices.

b) Courants entrants persistants et recrutement des unités motrices

Nos expériences sur les motoneurones de souris ont principalement été réalisées dans des conditions d'anesthésie aux barbituriques, réduisant considérablement les courants entrants persistants. Or nous avons montré que le courant sodique persistant avait tendance à réduire la zone sous-primaire en augmentant l'excitabilité des motoneurones (Article 1, Figure 4). Cette zone sous-primaire pourrait donc être absente durant le comportement normal des motoneurones dans lesquels les courants entrants persistants sont activés autour du seuil de décharge (Kuo et al. 2006). Les travaux de Marin Manuel à Chicago ont cependant montré que les MMOs et la zone sous-primaire étaient toujours présents dans les motoneurones sacro-caudaux in vitro même en l'absence d'anesthésie (Article 2 Figure 8). Une étude récente (Meehan et al. 2010) a également montré leur présence in vivo chez la souris anesthésiée au fentanyl/midazolam, et ce malgré une activation claire des courants entrants persistants. L'action conjointe de la faible excitabilité des motoneurones de souris et des courants entrants persistants pourrait renforcer leur recrutement en « tout ou rien ». L'activation des courants entrants persistants pourrait faire passer rapidement la décharge en zone primaire et donc permettre le développement de la force maximale des unités motrices dès leur recrutement.

c) Décharge des unités motrices dans le comportement de posture

Une étude de Ritter et al. (Ritter et al. 2014) remet en cause ce scénario en analysant la décharge des unités motrices de souris adultes durant le comportement normal, en l'absence d'anesthésie. Leurs enregistrements de signaux EMG dans le muscle gastrocnémien latéral ont révélé que les unités motrices de souris déchargeaient sur une large gamme de fréquence allant de 10 à 70Hz en moyenne au cours du comportement postural. Ces valeurs sont en partie comprises dans la gamme de fréquences rencontrées dans la zone sous-primaire des motoneurones (Figure 18C), même pour les plus excitables (présumées Slow et majoritairement recrutées dans le comportement postural), suggérant qu'une décharge stable dans le temps et une modulation de sa fréquence est possible en zone sous-primaire. Les plus hautes

fréquences de décharge observées correspondraient quant à elles à des unités motrices déchargeant en zone primaire et ayant atteint leur fréquence musculaire tétanique.

La plus grande variabilité de la fréquence de décharge due aux MMOs n'a pas été retrouvée dans cette étude : la variabilité était la même pour les unités motrices déchargeant aux plus basses fréquences que pour celles déchargeant aux plus hautes fréquences. Ceci pourrait s'expliquer par une absence complète de la zone sous-primaire liée l'activation des courants entrants persistants par les systèmes neuromodulateurs, mais cette explication n'est pas compatible avec les faibles fréquences de décharge observées. L'absence de diminution de la variabilité de la décharge pour les plus hautes fréquences pourrait en revanche être expliquée par l'augmentation de la variabilité en zone primaire à cause du bruit synaptique inhérent à l'état d'éveil du système.

d) La zone sous-primaire dans les autres espèces

Une zone de décharge sous-primaire précédant la zone primaire a récemment été observée dans les motoneurones de rat (Turkin et al. 2010). Chez le chat, bien que la décharge sur rampe commence dans la plupart des cas par une zone primaire linéaire, quelques potentiels d'action à plus basse fréquence précèdent parfois la zone primaire (Grillner & Udo 1971). Une zone sous-primaire semble enfin être exprimée par les motoneurones chez l'humain (Kudina & Alexeeva 1992; Kudina 1999), mais elle pourrait être causée par des fluctuations du bruit synaptique plutôt que par les mécanismes que nous avons révélés chez la souris.

2 / Diminution de l'excitabilité membranaire dans les souris SOD1-G93A