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Lorsque les courants synaptiques dépolarisent suffisamment le motoneurone, celui- ci génère un potentiel d’action. Les conductances responsables de ces potentiels d’action ont été décryptées dès les premiers enregistrements de motoneurones en voltage imposé. Ces enregistrements font états d’un courant entrant rapide responsable de la phase de dépolarisation du potentiel d’action, suivi d’un courant sortant responsable de sa repolarisation (Araki & Terzuolo 1962; Nelson & Frank 1964). Les travaux de Barrett (Barrett et al. 1980; Barrett & Crill 1980) ont par la suite permis de décrire ces mécanismes plus en détail: le courant dépolarisant provient d’une conductance sodique à inactivation rapide, sensible à la tétrodotoxine et le courant hyperpolarisant est médié par une conductance potassique à rectification retardée. Les potentiels d’action sont également suivis par une phase d’hyperpolarisation plus lente et de grande amplitude (Brock et al. 1952; Coombs et al. 1957; Eccles et al. 1958) appelée « afterhyperpolarisation » (AHP). De nombreux modèles théoriques ont été créés afin de modéliser la décharge répétitive des motoneurones (Kernell 1968; Kernell & Sjöholm 1973; Baldissera & Gustafsson 1974a; b; Traub 1977; Traub & Llinás 1977). Dans ces modèles, les potentiels d’action sont déclenchés lorsque le potentiel membranaire dépasse un certain seuil de voltage et la trajectoire du voltage après le potentiel d’action dépend principalement des conductances de fuite et des conductances potassiques lentes responsables de l’AHP. A chaque fois, la conductance d’AHP a été décrite par ces modèles comme un facteur important de la régulation de la décharge du motoneurone.

Le courant d’AHP est un courant potassique dont l’activation est indépendante du voltage mais dépend de l’entrée de calcium dans le neurone (McLarnon 1995; Rekling et al. 2000). Il est réduit en absence de calcium extracellulaire (Viana et al. 1993a) ou lorsque les conductances calciques sont bloquées par des cations bivalents (Hounsgaard & Mintz 1988; Nishimura et al. 1989; Chandler et al. 1994). De la même façon, l’injection dans le motoneurone de chélateurs de calcium comme l’EGTA ou le BAPTA par iontophorèse le réduisent drastiquement (Krnjević et al. 1978; Zhang & Krnjević 1988; Viana et al. 1993a). Il a été montré que l’application extracellulaire d’apamine permet également de bloquer complètement ce courant d’AHP dans les motoneurones spinaux de chat (Zhang & Krnjević 1987), les motoneurones trigéminaux de cochon d’Inde (Chandler et al. 1994) ou les motoneurones trigéminaux de rats nouveau-nés (Viana et al. 1993a). Cette sensibilité à l’apamine indique que le courant d’AHP est médié par les canaux potassiques SK (Small potassium, en comparaison des canaux BK, Big potassium; Rudy 1988) de faible conductance unitaire inférieure à 20pS (Zhang & Krnjević 1986; Viana et al. 1993a; Chandler et al. 1994; Kobayashi et al. 1997). Il a été démontré dans les motoneurones hypoglossaux de rats nouveau-nés que l’entrée de calcium responsable de l’activation du courant d’AHP pendant la décharge se faisait uniquement par des canaux calciques à haut seuil de types « N » et « P », recrutés lors de la phase de dépolarisation des potentiels d’action et sensibles à l’omega-conotoxin et à l’omega-agatoxine (Viana et al. 1993B ; Umemiya & Berger 1994). L’insensibilité de la conductance d’AHP au blocage des autres types de canaux calciques suggère que l’activation des canaux SK est dépendante de concentrations calciques très locales et qu’il existe une forte proximité entre eux et les canaux calciques « N » et « P » dans les motoneurones. La relaxation de la conductance d’AHP peut se décrire par une fonction quasi-exponentielle ne dépendant que du temps (Baldissera & Gustafsson 1974b). L’évolution de cette exponentielle est liée à la constante de temps de fixation du calcium sur les canaux SK mais surtout aux dynamiques du calcium intracellulaire dont sa diffusion, son excrétion hors de la cellule et sa fixation par les tampons calciques (Sah 1996; Abel et al. 2004). Bien qu’environ 98% des ions calcium intracellulaires semblent être liés aux molécules tampons dans les neurones (Lips & Keller 1998; Palecek et al. 1999), la concentration intracellulaire de ces tampons calciques est relativement basse dans les motoneurones par rapport à d’autres cellules de même taille (Lips & Keller 1998). Or l’amplitude et la relaxation des influx calciques intracellulaires sont directement proportionnelles aux capacités de tampon des cellules (Neher 1995); il a donc été proposé par Lips & Keller (1998) que la faible capacité

en tampons des motoneurones était responsable d’événements calciques de grande amplitude mais possédant une relaxation très rapide lors d’une décharge rythmique. Ceci est incompatible avec la cinétique lente de l'AHP observée dans les motoneurones et suggère que des mécanismes indépendants du calcium (conductances potassiques NA+ dépendantes par exemple) pourraient participer à cette cinétique (Andrade et al. 2012).

Les caractéristiques de l’AHP sont très hétérogènes parmi les motoneurones: chez le chat, son amplitude est comprise entre 1 et 20mV, sa durée varie de 40 à 200ms (Gustafsson & Pinter 1984ab; Zengel et al. 1985; Manuel et al. 2005) et sa conductance de 0.3 à 1.4µS (Manuel et al. 2005). Ces paramètres sont en réalité répartis selon la taille des motoneurones (Zwaagstra & Kernell 1980) et leur type physiologique (Kernell 1983). L’amplitude de l’AHP est en moyenne plus importante pour les motoneurones de type S (4.9 ± 0.6mV), intermédiaire pour les motoneurones FR (4.3 ± 0.4mV) et plus faible pour les motoneurones FF (3.0 ± 0.2mV) (Zengel et al. 1985). De la même façon, la durée de l’AHP est fortement corrélée aux valeurs de résistance d’entrée des neurones (Gustafsson & Pinter 1984a). La raison de ces différences dans les caractéristiques de l’AHP n’est pas connue avec précision. Gustafsson & Pinter (1985) ont suggéré que la cinétique de la conductance d’AHP soit la même pour tous les motoneurones mais que la plus grande conductance Ih des motoneurones F leur procure un courant entrant qui diminue la durée

de l’AHP. Cependant cette théorie n’explique pas les différences d’AHP mesurées lors d’un train de potentiels d’action alors même que la conductance Ih est en grande partie

inactivée par la dépolarisation. Il a également été montré que la cinétique du courant Ih

n’était pas assez rapide pour affecter la conductance d’AHP (Manuel et al. 2005). Ces différences pourraient finalement êtres dues à une hétérogénéité, selon le type physiologique du motoneurone, des concentrations en tampons calciques.

Le contrôle des paramètres de décharge des motoneurones est extrêmement important puisque la fréquence de cette décharge va déterminer la force que va produire l’unité motrice. Les facteurs qui définissent les fréquences de décharge des unités motrices sont de fait intimement corrélés aux propriétés contractiles de leurs fibres musculaires. Comme vu plus haut, la durée de l’AHP varie entre les différents types de motoneurones. Ces variations jouent un rôle fonctionnel important dans le contrôle de la décharge puisque l’AHP définit une période réfractaire après chaque potentiel d’action en éloignant le potentiel membranaire de son seuil d’activation. Le groupe de Kernell a

montré chez le chat que lorsqu’un faible courant était appliqué au motoneurone pour atteindre la décharge répétée de fréquence minimale, l’intervalle entre chaque potentiel d’action était égal à la durée de l’AHP (Kernell 1965). Les motoneurones S, possédant un AHP plus longue, ont donc une fréquence minimale de décharge plus basse que celle des motoneurones F, ce qui correspond aux propriétés biomécaniques de leurs fibres musculaires (Kernell 2006). Lors de l’injection d’un créneau de courant, on observe que les intervalles entre les premiers potentiels d’action sont plus courts que les intervalles suivants et que l’amplitude de ces potentiels d’action diminue dans le même temps (Figure 4A) Ce phénomène d’adaptation rapide de la fréquence de décharge a été décrit aussi bien dans les préparations in vivo (Granit et al. 1963) qu’in vitro (Mosfeldt-Laursen & Rekling 1989; Chandler et al. 1994). Les travaux d’Ito & Oshima (1965) montrent que ce phénomène est en partie lié à une sommation des courants d’AHP: lors du premier potentiel d’action, seule une fraction du courant d’AHP est recruté; lors du second potentiel d’action une autre fraction est recrutée se sommant à la première et retardant d’autant plus le troisième potentiel d’action et ainsi de suite jusqu’à atteindre une amplitude stable du courant d’AHP et une fréquence stationnaire de décharge. D’autres conductances contribuent probablement aussi à cette adaptation rapide de la fréquence de décharge: Miles et al. (2005) suggèrent qu’une inactivation lente des canaux sodiques responsables des potentiels d’action serait également à l’œuvre et expliquerait la diminution d’amplitude des potentiels d’action concomitante à la diminution de leur fréquence. Une fois la phase stationnaire atteinte, la fréquence de décharge des motoneurones est particulièrement stable. Burke a montré (1970) que cette caractéristique était particulièrement importante pour la physiologie des unités motrices puisque la force produite par les fibres musculaires pouvait être profondément altérée même par de petites variations de la fréquence de décharge. Le blocage des conductances d’AHP augmente la fréquence de décharge mais rend aussi la décharge très irrégulière (Figure 4C) prouvant l’importance de l’AHP dans la régularisation de la décharge (Manuel et al. 2006).

Figure 4 : Effets de l'AHP sur la fréquence de décharge. A1. Décharge d'un motoneurones de chat anesthésié (trace

du milieu) et fréquence instantanée (trace du haut) en réponse à l'injection d'un créneau de courant dépolarisant (trace du bas). A2. Réponse du même motoneurone lorsque sa conductance d'AHP est augmentée par Dynamic clamp de 0,9µS. Notez que que la fréquence de décharge est réduite, notamment pour les premiers potentiels d'action (symboles vides), et plus stable qu'en condition contrôle. A3. Agrandissement du début de la décharge en condition contrôle (trace fine) et après augmentation de la conductance d'AHP par Dynamic clamp de 0,1µS (trace épaisse) La trace du milieu montre la sommation temporelle de la conductance d'AHP imposée par Dynamic clamp. Les flèches indiquent les élongations des intervalles entre les premiers potentiels d'action. B. Relations courant-fréquence pour différentes valeurs de conductance d'AHP. Les fréquences moyennes de décharge ont été mesurées sur la partie stationnaire de la décharge (symboles pleins des fréquencegramme en A) en réponse à des créneaux de courants dépolarisants de différentes intensités. C1. Décharge d'un motoneurone en réponse à l'injection d'un créneau de courant dépolarisant et en présence de BAPTA, réduisant la disponibilité du calcium nécessaire à l'ouverture des conductances d'AHP. Notez la haute fréquence et l'irrégularité de la décharge par rapport à la décharge en A1. C2. Réponse du même motoneurone lorsque sa conductance d'AHP est augmentée par Dynamic clamp de 0,7µS. La fréquence de décharge est diminuée et retrouve sa stabilité. Adaptée de Manuel et al. 2006.

Lorsqu’un courant d’amplitude croissante est appliqué dans un motoneurone (cas d’une rampe de courant), la fréquence de décharge augmente progressivement suivant une relation courant-fréquence linéaire de pente faible, définissant la « zone primaire » de décharge. La gamme de fréquence explorée au cours de la zone primaire permet la gradation progressive de la force musculaire produite par une unité motrice jusqu’à sa

valeur maximale. Comme l’ont montré les expériences de modulation pharmacologique du courant d’AHP dans le motoneurone ainsi que les modèles théoriques (Viana et al. 1993a; Hounsgaard & Mintz 1988; Nishimura et al. 1989; Sawczuk et al. 1997; Chandler et al. 1994; Meunier & Borejsza 2005; Manuel et al. 2005; 2006), la pente de la relation linéaire courant-fréquence (gain) des motoneurones dans cette zone primaire est essentiellement dirigée par l’AHP. Chez le chat, une fois une certaine fréquence atteinte la relation courant-fréquence devient moins régulière et plus pentue, zone définie comme la « zone secondaire » de décharge. Lors de la transition entre les zones primaire et secondaire, la trajectoire de la relaxation de l’AHP est modifiée suggérant qu’elle puisse y jouer un rôle (Schwindt & Calvin 1972; 1973; Schwindt 1973). Chez le chat, la durée de cette AHP est précisément adaptée aux propriétés contractiles des fibres musculaires innervées: pour chaque unité motrice, elle définit une fréquence de décharge minimale pour laquelle les contractions unitaires commencent tout juste à se sommer et, après gradation lisse et progressive, une fréquence de décharge maximale pour laquelle les contractions sont totalement fusionnées (Kernell 2006). L’AHP permet donc d’adapter la fréquence de décharge des motoneurones (Figure 4) et, par extension, d’assurer le contrôle de la force musculaire développée par les unités motrices.

E / courants entrants persistants