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Rôle des métabolites secondaires fongiques

2. Le métabolisme secondaire

2.3. Rôle des métabolites secondaires fongiques

Chez les champignons, les métabolites secondaires ne sont pas produits constitutivement. Leur

synthèse peut être liée à certaines phases spécifiques de la différenciation morphologique (Calvo et al.,

2002) ou en réponse à des stimuli de l’environnement (Brakhage, 2012). Leur rôle est souvent

hypothétique ou difficile à démontrer. Il est généralement proposé que leur production procure un

avantage évolutif à l’organisme producteur et qu’ils pourraient notamment intervenir dans la survie

des champignons dans les différents environnements hostiles dans lesquels ils évoluent (Fox et

Howlett, 2008). Différents rôles des métabolites secondaires fongiques sont présentés ci-dessous.

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Pouvoir anti-appétant

2.3.1.

Dans leur environnement, les champignons sont fréquemment amenés à rencontrer des

organismes fongivores comme des amibes, des nématodes ou divers insectes. Plusieurs études tendent

à prouver que certains métabolites secondaires pourraient avoir un rôle anti-appétant vis-à-vis de ces

prédateurs. Une étude de Rohlfs et al. (2007) montre qu’un mutant d’Aspergillus nidulans délété dans

un gène codant un régulateur global du métabolisme secondaire fongique (LaeA, Cf. partie 4) est

préférentiellement consommé par rapport à la souche sauvage par l’arthropode Folsomia candida. Les

auteurs suggèrent que ce constat est directement lié au fait que la production de métabolites

secondaires est perturbée chez le mutant. Un autre exemple démontre l’implication d’un métabolite

secondaire dans la résistance vis-à-vis d’un prédateur mais cette fois dans le cas d’une symbiose.

Epichloë festucae est un agent mutualiste endophyte dont l’un des hôtes est le ray-grass (Lolium

perrenne). Cet agent fongique est capable de produire un métabolite dénommé péramine qui a été

démontré par Tanaka et al. (2005) comme ayant un rôle dissuasif vis-à-vis des insectes. Ainsi, un

mutant perA, délété dans le gène codant une NRPS impliquée dans la biosynthèse de péramine, ne

produit plus le métabolite. Les plantes inoculées avec le perA sont significativement plus

consommées par le charançon Listronotus bonariensis que celles inoculées avec la souche sauvage

d’E. festcae. L’interaction avec E. festucae confère donc un avantage au ray-grass qui est moins

attaqué par un ravageur grâce à la production de péramine par le champignon.

Activité anti-microbienne

2.3.2.

Dans les différents milieux dans lesquels ils vivent, les champignons sont confrontés à de

nombreux organismes compétiteurs comme des bactéries ou d’autres champignons. De nombreuses

études suggèrent que la production de certains métabolites a pour rôle l’inhibition de la croissance de

ces compétiteurs. La plus connue de ces molécules est probablement la pénicilline qui a été abordée

précédemment et qui a été démontrée comme étant produite par plusieurs espèces fongiques

(notamment Penicillium notatum et Aspergillus nidulans). De façon intéressante, la reconnaissance

d’une bactérie spécifique par un champignon peut conduire à l’induction de l’expression de certains

gènes du métabolisme secondaire tandis qu’un contact avec d’autres bactéries maintiendra ces mêmes

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gènes éteints. Cette observation suggère une reconnaissance spécifique par le champignon. Ainsi,

Schroeckh et al. (2009) ont mené une étude transcriptomique pour suivre l’expression des gènes lors

de la co-culture entre Aspergillus nidulans et pas moins de 58 espèces d’Actinomycètes. Ils ont ainsi

pu mettre en évidence qu’au contact de Streptomyces hygroscopius (qui est la souche type de l’espèce

Streptomyces rapamycinicus), plusieurs gènes du métabolisme secondaire sont induits chez le

champignon ce qui permet la production d’acide orsellinique et de trois de ses dérivés. De façon

surprenante, la production de ces métabolites n'est pas induite par les nombreux composés produits et

excrétés par Streptomyces. Au contraire, pour que la stimulation ait lieu, il faut un contact physique

intime entre les deux microorganismes (confirmé par microscopie électronique). Cette observation

soulève des questions, notamment au niveau de la transduction du signal chez le champignon.

Certaines espèces de Trichoderma utilisées dans le cadre de la lutte biologique produisent des

métabolites à l’activité antimicrobienne comme par exemple la viridine, la gliovirine ou encore la

tricholine qui ont montré un effet sur la croissance de souches antagonistes (Vey et al., 2001). Dans

certains cas, le degré de biocontrôle dépend directement de la production de ces métabolites. Un autre

exemple de métabolite à activité antimicrobienne est la production d’acide phoménoïque par

Leptosphaeria maculans qui a un effet inhibiteur sur Leptosphaeria biglobosa. Cette dernière est une

espèce présente au niveau des feuilles de colza et qui se trouve donc dans la même niche écologique

que L. maculans. Dans ce cas, le métabolite pourrait clairement jouer un rôle dans la compétition pour

l’espace (Elliott et al., 2013). Finalement, une étude a montré que les extraits issus de cultures de

différents Aspergilli présentaient plus d’activité antifongique lorsque les souches productrices avaient

été co-cultivées avec une autre souche d’Aspergillus (Losada et al., 2009). La compétition entraine

donc la production d’un ou plusieurs composés à activité antifongique.

Perturbation du quorum sensing

2.3.3.

Le quorum sensing est un système de communication bactérien qui permet la régulation de

l’expression de certains gènes notamment de virulence en fonction du nombre d’individus au sein

d’une population et qui s’effectue via la production de signaux moléculaires. Une étude menée par

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(notamment la patuline et l’acide pénicillique) qui sont capables d’interférer avec le quorum sensing

mis en place par des espèces de Pseudomonas. Ainsi, le traitement avec de la patuline de souris

infectées au niveau pulmonaire par Pseudomonas aeruginosa a mené à une éradication de la bactérie.

Acquisition du fer

2.3.4.

Dans les différents milieux dans lesquels ils évoluent et dans les différentes conditions

auxquelles ils sont confrontés, les champignons doivent lutter pour leur survie et accomplir leur cycle

de vie. Pour cela, la compétition pour le fer est un paramètre important. Cet élément qui est primordial

pour le métabolisme fongique est un des plus abondants sur Terre mais n’est que peu biodisponible

dans l’environnement aérobie (pas plus de 10-18 M d’après Neilands, 1995). En effet, dans ces

conditions le fer est majoritairement sous forme oxydée et forme des colloïdes (particules agrégées)

d’oxyhydroxyde de fer qui ont une faible solubilité et qui sont par conséquent bioindisponibles. Ainsi,

pour assimiler et monopoliser le fer environnant, les champignons produisent des molécules (NRP)

nommées sidérophores. Il s’agit de métabolites ayant une très forte affinité pour le fer (sous sa forme

ferrique ; fe3+). L’acide harzianique produit par l’espèce Trichoderma harzianum qui est couramment

utilisée dans le cadre de la lutte biologique a par exemple montré une forte affinité pour les ions fe3+

(Vinale et al., 2013). La sécrétion de sidérophores dans le milieu permet de solubiliser le fer

environnant et de le chélater. Par des mécanismes d’acquisition spécifiques (Haas et al., 2008) les

organismes producteurs peuvent assimiler le fer présent au niveau des sidérophores. C’est le cas

d’Aspergillus fumigatus qui produit deux sidérophores extracellulaires capables de chélater le fer

(Haas, 2014). Il s’agit de la fusarine C et de la triacétylfusarine C (TAFC). La production de ces deux

molécules fait intervenir une NRPS nommée SidD. Une fois que les sidérophores sont liés au fer

extracellulaire, le couple sidérophore-fer est importé vers la cellule grâce à des transporteurs nommés

SIT (Siderophore-Iron Transporters).

Certains organismes possèdent également des systèmes d’acquisition originaux qui leur

permettent d’acquérir et d’utiliser le fer chélaté exclusivement par des sidérophores produits par

d’autres microorganismes. Par exemple, A. nidulans peut assimiler la férrirubine produite par

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Streptomyces (Haas, 2003). Ces mécanismes pourraient ainsi avoir évolué dans le cadre de

compétitions interspécifiques.

Les sidérophores peuvent aussi jouer un rôle de stockage du fer au sein des cellules fongiques

(Matzanke et al., 1987). A. fumigatus produit deux sidérophores intracellulaires de ce type : (i) la

ferricrocine qui est impliquée dans la distribution et le stockage du fer dans les hyphes et (ii)

l’hydroxyferricrocine qui joue un rôle dans les conidies (Haas, 2014).

La lutte pour l’acquisition du fer environnant n’a pas uniquement lieu entre les champignons

mais également avec les plantes. Ainsi, le pouvoir pathogène de certains agents repose sur la

production de sidérophores. C’est par exemple le cas chez Cochliobolus heterostrophus. Une souche

délétée dans le gène NPS6 codant une NRPS impliquée dans la production d’un sidérophore s’avère

affectée au niveau de l’agressivité sur maïs (Oide et al., 2006).

Protection vis-à-vis de différents stress

2.3.5.

Parmi les métabolites secondaires fongiques, on retrouve de nombreux pigments, facilement

reconnaissables à leur couleur caractéristique. Le plus connu de ces métabolites est la mélanine qui est

caractérisée par sa couleur brune à noire. Ce métabolite de poids moléculaire important résulte de la

polymérisation oxydative de précurseurs phénoliques (Riley, 1997) et peut être synthétisé via deux

voies distinctes chez les champignons. La première voie consiste en la polymérisation de composés

phénoliques provenant de l’environnement ou de voies métaboliques. C’est par exemple le cas de la

pyomélanine chez Aspergillus fumigatus qui est synthétisée à partir de composés issus de la voie de

dégradation de la tyrosine (Schmaler-Ripcke et al., 2009). Ce type de mélanine est dénommé DOPA

(dihydroxy phenylalanine) mélanine. L’autre voie possible pour la synthèse de mélanine implique la

synthèse de novo du composé phénolique nommé 1,8-dihydroxynaphthalene (DHN) par une PKS.

S’ensuivra une polymérisation qui mènera à la production de DHN-mélanine (Henson et al., 1999).

La mélanine est présente dans différentes structures fongiques et notamment les structures de

dissémination comme les conidies ou de résistance / protection comme les sclérotes. Il est

généralement admis que la mélanine a un rôle de protection vis-à-vis des rayonnements UV, la

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dessiccation ou encore les températures extrêmes en raison de sa forte résistance à la dégradation.

Ainsi, les microsclérotes non-mélanisées de souches mutantes de Verticillium dalhiae sont plus

sensibles aux rayonnements UV que les microsclérotes de la souche sauvage (Bell et al., 1976). De

même, chez Alternaria alternata, la mélanine est impliquée dans la résistance des conidies aux UV

(Kawamura et al., 1999). Un autre rôle de la mélanine a été mis en évidence, notamment chez M.

oryzae et des espèces du genre Colletotrichum. Pour pénétrer la paroi végétale, ces champignons

produisent des appressoria. Ces cellules se différencient et de la mélanine s’accumule au niveau des

parois excepté dans la zone de contact avec l’hôte. Ce dépôt permet de résister à la pression de

turgescence énorme engendrée (entre 5 et 8 MPa) par l’accumulation de glycérol (environ 3 M) qui

attire l’eau par osmose (de Jong et al., 1997). Ces structures permettent donc aux champignons de

pénétrer mécaniquement la paroi de leur hôte sans que des enzymes lytiques n’interviennent. Ainsi,

des souches mutantes de M. oryzae ou de Colletotrichum spp. déficientes dans la production de

mélanine perdent la capacité de pénétrer leurs hôtes (Henson et al., 1999). La mélanine est aussi

nécessaire au pouvoir pathogène d’A. fumigatus lors de l’infection de souris (Heinekamp et al., 2013).

La mélanine contient aussi des radicaux libres stables qui lui permettent de jouer un rôle protecteur

vis-à-vis des ROS. C’est le cas chez A. fumigatus chez qui la pyomélanine est impliquée dans la

résistance aux ROS (Schmaler-Ripcke et al., 2009).

Pouvoir pathogène et infection

2.3.6.

Dans de nombreux cas, la production de métabolites secondaires a été démontrée comme

ayant un rôle dans le pouvoir pathogène fongique. Ainsi, la production de toxines qu’elles soient

hôte-spécifiques ou non hôte-hôte-spécifiques permet au champignon d’induire des symptômes.

2.3.6.1. Les toxines hôte-spécifiques

Les toxines hôte-spécifiques (HSTs) sont considérées comme des effecteurs produits par des

agents pathogènes qui induisent la maladie uniquement sur quelques cultivars de certaines espèces qui

possèdent un gène de susceptibilité. Ce type d’interaction peut alors être considéré comme l’inverse du

modèle gène pour gène de Flor (1942). Pour que l’interaction soit dite compatible et que la maladie

soit provoquée, il faut à la fois que le champignon possède le gène permettant la synthèse de la HST et

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que la plante exprime un gène de susceptibilité. Le pouvoir pathogène de ces champignons repose

parfois sur la seule capacité à produire ce genre de métabolites. Les HSTs miment souvent l’effet

d’une attaque par le champignon producteur et peuvent être actives à des concentrations comprises

entre 10 pM et 1 µM (Walton, 1996). Par exemple, Cochliobolus carbonum produit la HC-toxine

essentielle pour l’infection de cultivars de maïs qui possèdent le gène de susceptibilité Hm (Brosch et

al., 1995). Ce gène code une HC-toxine réductase et lorsque les cultivars de maïs sont homozygotes

récessifs à ce locus la maladie a lieu (Meeley et Walton, 1991). Dans ce cas, il a été montré que la

HC-toxine va interférer avec l’acétylation réversible des histones qui est impliquée dans des processus

cellulaires importants comme le cycle cellulaire ou l’expression de gènes (Brosch et al., 1995).

Un autre exemple très connu de HST est la T-toxine produite par Cochliobolus heterostrophus

qui attaque le maïs. Ce métabolite cible la protéine mitochondriale nommée URF13. Cette interaction

mène à un changement de conformation de la protéine et crée un pore dans la membrane de l’organite.

Ce phénomène entraine une altération de la phosphorylation oxydative et de la respiration ainsi qu’une

fuite de nutriments et de calcium (Turgeon et Baker, 2007).

La totalité des HSTs mises en évidence à ce jour sont produites par des champignons

appartenant à un groupe taxonomique restreint (ordre des Pleosporales de la classe des

Dothideomycetes). On y retrouve par exemple des espèces de Cochliobolus, d’Alternaria et de

Pyrenophora. Friesen et al. (2008) suggèrant que ces agents pathogènes doivent avoir une propension

conservée pour acquérir les gènes permettant la synthèse de HSTs par transfert horizontal.

2.3.6.2. Les toxines non hôte-spécifiques

A l’inverse des HSTs, certains champignons pathogènes produisent des toxines non

hôte-spécifiques (NHSTs) qui ont un rôle seulement partiel dans leur pouvoir pathogène. Elles sont souvent

dispensables mais sont présumées conférer un avantage sélectif au champignon (Howlett, 2006).

Plusieurs de ces toxines ont été démontrées comme induisant la mort cellulaire programmée chez

l’hôte. C’est par exemple le cas de la fumonisine B produites par des espèces du genre Fusarium.

Cette toxine entraine une diminution de la présence d’ATP dans le milieu extracellulaire et mène à

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l’observation d’une mort cellulaire programmée chez Arabidopsis thaliana (Chivasa et al., 2005).

L’ajout exogène d’ATP supprime l’effet de la toxine, ce qui confirme que la mort cellulaire entrainée

par certaines NHSTs peut être due à une diminution de la concentration en ATP dans le milieu

extracellulaire.

Une autre NHST est la sirodesmine PL produite par L. maculans (Elliott et al., 2007). Une

souche mutante déficiente dans la production de cette toxine engendre des nécroses similaires à celles

de la souche sauvage sur colza. En revanche, le mutant s’avère deux fois moins agressif au niveau des

tiges, ce qui semble suggérer que ce métabolite pourrait être impliqué dans les phases tardives de

l’infection (nécrose du collet) et pas dans les phases précoces (infection des cotylédons) (Howlett,

2006).

Le pouvoir pathogène de B. cinerea repose en partie sur la production de deux NHSTs qui sont

le botrydial et l’acide botcinique (Dalmais et al., 2011). Ces deux métabolites ainsi que leurs dérivés

respectifs sont au cœur du sujet de ce manuscrit et seront donc plus largement présentés plus loin dans

ce document.