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Les différents types de métabolites secondaires fongiques

2. Le métabolisme secondaire

2.1. Les différents types de métabolites secondaires fongiques

D’après la base de données "Dictionary of Natural Products" 170 000 produits naturels

seraient identifiés. Cependant, il est parfois difficile de classer ces molécules et plusieurs méthodes ont

été mises en avant. Il est ainsi possible de regrouper des métabolites en fonction de leur nature

biochimique, leurs propriétés et leurs effets biologiques ou encore en fonction de leur origine

biosynthétique.

Dans la suite de cette partie, je vais principalement me focaliser sur le métabolisme secondaire

chez les champignons filamenteux.

2.1. Les différents types de métabolites secondaires fongiques

Comme il l’a été présenté précédemment, le règne fongique est estimé entre 1,5 et 5,1 millions

d’espèces dont seules 100 000 ont été décrites (Hawksworth, 2001; Kirk et al., 2008; Blackwell,

2011). Sachant que ces organismes produisent en moyenne plusieurs dizaines de métabolites, il est

probable que la quantité de métabolites non-identifiés s’élève à plusieurs centaines de milliers.

La biosynthèse des métabolites secondaires fongiques fait intervenir des enzymes spécifiques

qui permettent la formation de la structure core (de base, fondamentale) du métabolite à partir d’un

précurseur du métabolisme primaire. Ces enzymes sont dites « clé » car elles sont les premières à

intervenir dans la production des métabolites secondaires. On distingue chez les champignons quatre

grands types de métabolites secondaires résultant de leur action. Ces derniers sont détaillés ci-dessous.

Les polycétides (PK)

2.1.1.

Les polycétides sont produits via les polyketide synthases (PKS). Plusieurs types de PKS

existent :

- les PKS de type I sont de grosses enzymes multifonctionnelles composées de plusieurs domaines.

Parmi elles, on retrouve des PKS modulaires (chaque module n’intervient qu’une fois dans la

biosynthèse du métabolite) et des PKS itératives (qui ne contiennent qu’un module au sein duquel les

domaines interviennent plusieurs fois de façon cyclique dans le processus). Chez les champignons, les

PKS sont itératives. Parmi elles, on distingue les PKS non réductrices, les PKS partiellement

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réductrices et les PKS hautement réductrices en fonction de l’intervention de différents domaines (Fig.

6).

- les PKS de type II sont en fait un regroupement en complexe de plusieurs enzymes qui sont

monofonctionnelles et qui assurent donc chacune une réaction.

- les PKS de type III sont des PKS qui n’utilisent pas de domaine ACP.

Les métabolites secondaires fongiques résultent essentiellement de l’action des PKS de type I

itératives. Ces enzymes ressemblent aux synthases impliquées dans la synthèse d’acides gras et

contiennent des domaines identiques à ces dernières. La différence majeure entre la biosynthèse des

acides gras et des polycétides repose sur la réduction complète du β-cétoester obligatoire dans le

premier cas alors que cette étape n’est qu’optionnelle pour les polycétides.

Le mode d’action des PKS à fonctionnement itératif est quasi entièrement connu chez les

champignons. Trois domaines sont essentiels à l’action des PKS fongiques et représentent

l’équipement de base pour la synthèse de polycétides. Il s’agit des domaines acyltransférase (AT),

protéine porteuse d’acyle (ACP) et cétosynthase (KS). A l’inverse, l’intervention des domaines

cétoréductase (KR), déshydratase (DH) et énoyle réductase (ER) est optionnelle. La Fig. 6 présente le

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Fig. 6. Schéma du fonctionnement des PKS itératives fongiques.

Dans un premier temps, une amorce de type courte chaîne carboxylique (acetyl CoA ou malonyl CoA)

est chargée par le domaine SAT sur le domaine ACP (grâce une liaison thioester au niveau du

groupement thiol (-SH) du bras prosthétique 4’-phosphopantetheine de l’ACP). Cette même amorce

est ensuite transférée par trans-acylation au domaine KS (au niveau du groupement thiol d’un résidu

de cystéine). Une unité d’élongation (typiquement du malonyl CoA) est ensuite chargée à son tour sur

l’ACP par l’AT. Une réaction dite de Claisen se produit alors. Cette réaction correspond à la

décarboxylation de l’unité d’extension qui libère de l’énergie pour entrainer la condensation de

l’amorce sur l’unité d’élongation. Le domaine KS se trouve libéré tandis qu’au domaine ACP se

trouve le polycétide en cours de biosynthèse (il s’agit alors d’un β-cétoester). Ce dernier est de la

même façon que lors du premier cycle transféré sur le domaine KS et un nouveau cycle peut

commencer avec le chargement d’une nouvelle unité d’extension. En fonction des domaines présents

au sein de l’enzyme (et donc de sa nature par exemple partiellement réductrice), la chaîne

polycétidique en cours de formation peut subir différents niveaux de réduction via l’action des

domaines cétoréductase (KR ; qui réduit le groupement β-céto en hydroxyle), déshydratase (DH ; qui

réduit les groupements hydroxyles en groupement énoyle) et énoyle réductase (ER ; qui réduit les

groupements énoyle en groupements alkyles). Les PKS hautement réductrices peuvent aussi contenir

des domaines qui ajoutent des groupements méthyle (domaine méthyltransférase ; MT) ou acétyle

(acétyltransférase ; CacT). Lorsque le polycétide est synthétisé entièrement après un nombre défini de

cycles (fonctionnement par itération des domaines), le polycétide est transféré du domaine ACP au

domaine thioestérase (TE) qui va catalyser l’hydrolyse de la liaison reliant le polycétide à l’enzyme et

donc le relâcher. Dans certains cas, une réaction de cyclisation a lieu (grâce au domaine cyclase de

type Claisen (CLC) pour donner naissance à un métabolite aromatique. Récemment, l’existence d’un

domaine « product template » (PT), fréquemment retrouvé chez les PKSi non-réductrices, a été mis en

évidence. Il interviendrait dans le repliement et la cyclisation des poly-β-cétoester (Crawford et al.,

2009).

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Le nombre de cycles, la nature de l’amorce et des unités d’extension ainsi que l’intervention

des différents domaines optionnels sont à l’origine de l’impressionnante diversité des polycétides

fongiques. Ils peuvent être linéaires, aromatiques, courts, longs, ramifiés ou encore plus ou moins

réduits. Les mécanismes qui dictent le nombre de cycles chez les PKS fongiques demeurent inconnus.

On ne peut donc pas faire de prédictions contrairement aux PKS modulaires de type I que l’on

retrouve chez les bactéries.

Les peptides non-ribosomiques (NRP)

2.1.2.

Les peptides non-ribosomiques sont des peptides synthétisés grâce à l’action d’enzymes

géantes (appelées synthétases de peptides non ribosomiques, soit NRPS pour Non Ribosomal Peptide

Synthetase) sans intervention des ribosomes et via l’utilisation d’ATP. Ces NRPS sont souvent

multi-modulaires. Chacun des modules comporte plusieurs domaines qui vont assurer des activités

enzymatiques différentes. Les NRPS vont ainsi permettre l’assemblage progressif d’acides aminés

dans le but de produire le peptide final. Comme pour les PKS, des domaines de base doivent être

présents pour assurer la production du métabolite. Ainsi, un module de NRPS est composé au

minimum des domaines d’adénylation (A), de thiolation (T) (aussi appelé protéine porteuse de

peptidyle (PCP)) et de condensation (C) (Mootz 2002, Schwarzer et Marahiel 2001). Le

fonctionnement d’une NRPS trimodulaire de Penicillium chrysogenum (ACV synthétase impliquée

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Fig. 7. Fonctionnement de la NRPS trimodulaire ACV synthétase.

La NRPS ACV (δ -( L - α -aminoadipyl) L -cysteinyl- D –valine) catalyse la première étape de la voie

de biosynthèse de la pénicilline et de la céphalosporine. Chaque acide aminé est reconnu et activé par

le domaine d’adénylation (A) correspondant et attaché en tant que thioester au niveau du

4’-phosphopanthenine (4’PP) du domaine de transport du peptidyl (P). Ce groupement 4’PP résulte d’une

modification post-traductionnelle ajoutée sur une sérine dans une région très conservée du domaine T

(Balibar 2005, Stack 2007). Les liaisons peptidiques sont formées grâce au domaine de condensation

(C). Le tripeptide final est attaché au domaine P du dernier module (Cter) est libéré par le domaine

thioestérase (TE). Durant cette étape, la L-valine est isomérisée en D-valine. Le tripeptide est par la

suite cyclisé en isopénicilline N. Illustration tirée de Keller et al. (2005).

Comme c’est le cas pour les PKS, des domaines optionnels peuvent être présents au sein des

modules des NRPS. Ils permettent des modifications de l’acide aminé activé comme la méthylation

(par le domaine méthyltransférase ; M) ou l’épimérisation (par un domaine épimérase ; E). De plus, la

plupart des NRPS fongiques ne possèdent pas de domaine TE mais un domaine de réduction (R) qui

réduit la liaison thioester pour former un aldéhyde ou un alcool (Sims et Schmidt 2008). Enfin d’autres

constituants inhabituels peuvent être ajoutés lors de la synthèse du métabolite (Schwarzer 2003). Il

pourrait être admis que le nombre de modules détermine la taille du peptide produit. Néanmoins, il y a

des évidences qui semblent indiquer que certains domaines au sein de modules pourraient être utilisés

de façon itérative (Glinski 2002, Mootz 2002). Ainsi, la diversité là encore très riche des NRP

fongiques provient notamment des acides aminés qui les composent A l’inverse des ribosomes qui

n’utilisent qu’une vingtaine d’acides aminés pour la production de protéines, les NRPS peuvent

utiliser des acides aminés dits non protéinogènes. On en compte au moins 140 connus pour être

ajoutés aux protéines classiques lors de modifications post-traductionnelles. L’utilisation de ce type

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d’acides aminés augmente considérablement le nombre de métabolites pouvant être synthétisés par ce

processus. De plus, la diversité des NRPS provient aussi du fait que les acides aminés puissent subir

différentes modifications (méthylation), qu’ils soient plus ou moins réduits ou que le produit final soit

linéaire ou cyclique.

Les terpènes

2.1.3.

Les terpènes sont composés de plusieurs unités isoprènes (C5H8). Les différents types de

terpènes produits par les champignons sont présentés en Fig. 8. Les terpènes sont des métabolites qui

peuvent être linéaires ou cycliques, saturés ou non saturés ou être modifiés de différentes façons. Les

terpènes synthases sont les enzymes clés impliquées dans la production des terpènes. Elles sont

fréquemment appelées terpènes cyclases car elles mènent à l’obtention de composés

cycliques/aromatiques dans la plupart des cas (Davis et Croteau, 2000). Elles catalysent des réactions

complexes pour former des molécules qui comportent généralement un ou plusieurs cycles (il existe

cependant des terpènes linéaires). En fonction du produit auquel elles aboutissent, ces enzymes sont

par exemple nommées sesquiterpènes cyclases, diterpènes cyclases ou autres. Elles ne possèdent pas

de domaines très conservés en dehors des sites de liaison au magnésium. Ceci les rend difficiles à

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Fig. 8. Voies de biosynthèse des terpènes fongiques.

Les terpènes fongiques sont produits à partir de la condensation du précurseur

isopentényl-pyrophosphate (IPP) avec son isomère diméthylallyl-isopentényl-pyrophosphate (DMAPP). Des enzymes

nommées prényltransférases sont responsables de la condensation d’IPP et de DMAPP pour former

des prényl-pyrophosphates comme le géranyl-pyrophosphate (GPP), le farnésyl-pyrophosphate (FPP)

ou encore le géranylgéranyl-pyrophosphate (GGPP). Ce sont à partir de ces prényl-pyrophosphates

que les terpènes synthases synthétisent les terpènes. Les deux précurseurs (DMAPP et IPP) sont

composés de 5 atomes de carbone (C5), les terpènes possèdent donc généralement un nombre

d’atomes de carbone qui est un multiple de 5. Les monoterpènes (C10) sont ainsi synthétisés à partir

de GPP (qui provient de la condensation d’un isopentényl-pyrophosphate et d’un

diméthylallyl-pyrophosphate). Les sesquiterpènes (C15) proviennent du FPP et les diterpènes (C20) du GGPP

(Davis et Croteau, 2000). Le FPP et le GGPP peuvent également être assemblés pour donner naissance

à des terpènes encore plus importants comme les tri- et tétraterpènes (C30 et C40 respectivement). Les

terpènes synthases sont fréquemment appelées terpènes cyclases car elles mènent à l’obtention de

composés cycliques/aromatiques dans la plupart des cas. Elles catalysent des réactions complexes pour

former des molécules qui comportent généralement un ou plusieurs cycles (il existe cependant des

terpènes linéaires). Une oxydation du terpène mène à un métabolite que l’on appelle alors terpénoïde

ou isoprénoïde.

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Les alcaloïdes

2.1.4.

Les alcaloïdes sont définis par la présence d’un ou plusieurs atomes d’azote se trouvant dans

un ou plusieurs cycles (on parle alors d’hétérocycles puisqu’il y a la présence d’atomes d’au moins

deux éléments différents, soit C et N). Ces atomes proviennent généralement d’acides aminés. A

l’inverse des PK ou des NRP, les alcaloïdes ne sont pas produits grâce à un seul et même type

d’enzymes. Chez les champignons, on retrouve des diméthylallyl tryptophan transférase (DMATS) qui

sont capables d’intégrer un acide aminé tryptophane au DMAPP. Ce type d’enzyme est notamment

impliqué dans la production de l’ergotamine (Fig. 9) produite par Claviceps purpurea (Tudzynski et

al., 1999).

Fig. 9. Représentation de la structure chimique de l’ergotamine de Claviceps purpurea.

L’image a été extraite de PubChem (https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/).

Les composés hybrides

2.1.5.

Certains composés produits par les champignons ne peuvent pas être classés dans les

catégories abordées ci-dessus. En effet, certains métabolites fongiques sont des hybrides entre

plusieurs types de molécules. Par exemple, on retrouve au sein des génomes fongiques des gènes

codant des enzymes comportant à la fois les domaines minimum requis pour la synthèse des PK et des

NRP. Ces enzymes sont appelées PKS-NRPS (Fig. 10) et produisent des molécules provenant non

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plusieurs acides aminés. Une des caractéristiques des PKS-NRPS fongiques repose sur le fait qu’aucun

domaine ER intact n’est présent dans la PKS. Ce domaine peut ne pas être nécessaire à la formation du

métabolite ou intervenir en trans grâce à une autre protéine codée par un autre gène. Chez les

champignons, plusieurs PKS-NRPS ont été caractérisées mais peu de métabolites résultant de leur

action ont pour le moment été isolés (Boettger et Hertweck, 2013; Fisch, 2013).

Fig. 10. Schéma de l’organisation des domaines des PKS-NRPS fongiques et de la production des

hybrides résultant de leur action.

Les domaines du module PKS sont représentés en gris clair et les domaines du module NRPS en gris

foncé. Ici, le domaine ER est présent et agit en trans. D’après Boettger et Hertweck (2013).

2.2. Utilisation et importance des métabolites secondaires fongiques pour l’Homme

C’est en 1928 que l’intérêt pour les métabolites secondaires a réellement pris toute son

importance suite à la découverte d’un antibiotique qui a changé le cours de l’Histoire : la pénicilline.

Durant cette année, Alexander Fleming découvre, ou plutôt redécouvre 31 ans après Ernest Duchesne

(un médecin Français), l’effet antibactérien d’une culture de Penicillium notatum qu’il appelle alors

pénicilline. Il publie ces travaux en 1929 (Fleming, 1929). Ce n’est que dans les années 1940 à

l’Université d’Oxford qu’Howard Florey, Ernst Chain et Norman Heatley réussissent à isoler la

molécule (la 2-pentenylpeniciilin = penicillin I) et à en faire une substance stable et utilisable. La

production de pénicilline en grande quantité a permis de sauver d’innombrables vies, notamment

pendant la seconde guerre mondiale et en particulier au cours du débarquement. Fleming, Florey et

Chain ont reçu pour leurs travaux le prix Nobel de Médecine en 1945. Néanmoins, une autre souche

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de Penicillium (P. chrysogenum) produisant une molécule un peu différente de celle identifiée

précédemment (benzylpenicillin = penicillin II) mais en plus grande quantité lors de fermentation en

milieu liquide fut utilisée pour la production industrielle d’antibiotique. Devant le constat de l’action

et de l’utilité de la pénicilline, la recherche et la production industrielle d’antibiotiques sont devenues

des priorités pour les compagnies pharmaceutiques. De nos jours, cette recherche continue dans le but

de trouver de nouvelles molécules présentant différents modes d’action sur les bactéries en raison du

nombre important de phénomènes de résistance (Bbosa et al., 2014; Nathan et Cars, 2014). D’autres

effets d’intérêt pour l’Homme ont été mis en évidence parmi les métabolites secondaires. Par exemple,

la lovastatine (PK) produite par Aspergillus terreus est utilisée dans le cadre de la lutte contre le

cholestérol (Manzoni et Rollini, 2002). Un autre métabolite, un NRP nommé cyclosporine, s’est avéré

avoir un rôle immunosuppresseur et est couramment utilisé dans le cadre de transplantations (greffes)

afin de limiter les phénomènes de rejet (Borel, 2002). Cette molécule a été isolée à partir du

champignon Ascomycète Tolypocladium inflatum. D’autres métabolites fongiques sont également

utilisés pour la lutte contre certains cancers ou la maladie d’Alzheimer (Demain et Martens, 2016).

Cependant, en parallèle de la découverte de ces actions bénéfiques pour l’Homme, l’étude à haut débit

des métabolites secondaires a permis de mettre en évidence l’action néfaste de certaines molécules.

Notamment, il a été mis en évidence que diverses toxines produites par les champignons pouvaient

avoir une action toxique pour les plantes, les animaux ou les Hommes. Les plus connues de ces

toxines sont les aflatoxines et les trichothécènes.