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Rôle du décadentisme dans la naissance du symbolisme

Introduction : Du premier romantisme allemand au symbolisme français et russe

Chapitre 2 Rôle du décadentisme dans la naissance du symbolisme

Le terme décadentisme ne se distingue souvent pas de celui du symbolisme. En revanche, pour mieux comprendre l’origine du mouvement symboliste il est préférable de confronter ces deux notions. En outre, cela permettra de présenter le contexte socioculturel en France autant qu’en Russie de la fin du XIXème siècle. Avant d’aborder la question du décadentisme, comme notion, école ou style, nous nous arrêtons sur l’origine du terme de décadence.

§ 2.1. Origine du terme « décadence »

Le mot « décadence » est apparu dans la langue française aux XVIème et XVIIème

siècles. Il est formé à la base du substantif « decadentia », traduit du latin médiéval comme « le déclin ». Le mot « decadentia » est lui dérivé du verbe latin « decadere104 » (« s’affaiblir », « disparaître », « diminuer ») qui a été formé par l’ajout d’un préfixe au mot « cadere » (« tomber »). La notion de « chute » est déjà présente dans la racine du mot et va s’enrichir de nouvelles nuances au cours des siècles suivants.

Désiré Nisard a utilisé ce concept pour la première fois dans la sphère de la littérature dans ses Etudes de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence105

en 1834. Un an plus tard (1835), dans le Dictionnaire de l’Académie française, on lui donne cette définition officielle : « Commencement de dégradation, de ruine, de destruction <…> Il n’est presque plus d’usage au propre. Il se dit figurément de tout ce qui déchoit, de tout ce qui va en déclinant106. » Jusqu’en 1860, il n’y a pas eu de changements significatifs dans la connotation de « décadence ». À cette date, il faut noter l’emploi de ce terme par Maxime du Camp, l’ami de Théophile Gautier, dans ses pensées sur l’architecture du temple – « plaine de magnifiques décadences107. »

104 « Décadence », in Larousse : dictionnaire étymologique et historique du français, Paris, 1996, p. 208.

105 NISARD D., Etudes de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence, Bruxelles, L. Hauman, vol. 2/1, 1834.

106 Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Firmin-Didot frères, vol.1, 1835, p. 480.

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L’un des premiers à avoir utilisé le terme de « décadence » pour définir le style de l’époque fut Gautier (1811 – 1872), qui utilise notamment ce mot dans la préface du recueil des œuvres de Charles Baudelaire : « le style de décadence », « les idiomes de décadence », « poète de décadence ». Selon Gautier, le style de décadence « n’est autre que l’art arrivé à [un] point de maturité extrême <...> : style ingénieux, compliqué, savant, plein de nuances et de recherches, reculant toujours les bornes de la langue, empruntant à tous les vocabulaires techniques, prenant des couleurs à toutes les palettes, des notes à tous les claviers, s’efforçant à rendre la pensée dans ce qu’elle a de plus ineffable, et la forme en ses contours les plus vagues et les plus fuyants, <…> le dernier mot du Verbe sommé de tout exprimer et poussé à l’extrême outrance108. » Lorsqu’il parle des « idiomes de la décadence », Gautier paraphrase le poème de Baudelaire Franciscæ meæ Laudes : « Ne semble-t-il pas au lecteur, comme à moi, que la langue de la dernière décadence latine, – suprême soupir d’une personne robuste déjà transformée et préparée pour la vie spirituelle, – est singulièrement propre à exprimer la passion telle que l’a comprise et sentie le monde poétique moderne ?109..»

En tâchant d’approfondir l’idée qu’a Baudelaire sur le phénomène de « décadence », Gautier cite parallèlement ses « Notes nouvelles sur Edgar Poe » : « Il me semble que deux femmes me sont présentées » ; l’une représente la nature, « répugnante de santé et de vertu » ; « l’autre une de ces beautés qui dominent et oppriment le souvenir, unissant à son charme profond et original l’éloquence de la toilette, maîtresse de sa démarche110… », c’est-à-dire qu’elle représente la conscience. Dans cet extrait, Baudelaire (avant Gautier) trace l’opposition des styles « classiques » et « décadent ». Le dernier (« la belle ») nie les valeurs et les traditions antiques et classiques tout comme l’aspiration vers le primordial naturel. Il les remplace par l’artificialité magnifique, l’habilité, la forme extérieure. Baudelaire préfère le style décadent quand bien même les « sphinx pédagogiques [lui] reprocheraient de manquer à l’honneur classique111. »

Ainsi, la « théorie de la décadence » commence déjà à émerger dans les années 1860. Les principaux points et idées qui seront vingt ans plus tard au cœur de la polémique autour de cette notion sont déjà formulés. Pour la théorie de Gautier, comme précédemment mentionné, les idées de Baudelaire ont été fondamentales, notamment

108 GAUTIER T., « Charles Baudelaire », in Œuvres Complètes de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy frères, 1868, vol.1, p. 17-18.

109 BAUDELAIRE C., Les Fleurs du mal, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1857, p. 125.

110 GAUTIER T., « Charles Baudelaire », op. cit., p. 56.

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son opposition entre « classicisme » et « décadence » en tant que tendances opposées dans l’art (principalement en littérature). La décadence commence donc à être définie comme un style artistique avec son propre langage littéraire, son système d’images et ses auteurs.

Puis les années 1880, comme l’affirme l’historien Michel Winock dans son ouvrage récent Décadence fin de siècle, se caractérisent en France par la Grande Dépression. Selon lui, il y a deux manières de décrire cette période : « ou bien retracer la construction enfin réussie du régime républicain, ou alors inventorier les manifestations d’un sentiment largement partagé d’abaissement inéluctable112. » Il se produit l’explosion de la thématique décadente. Les contemporains distinguent la notion de déclin comme esprit du temps ; le « décadentisme » se définit en tant que tendance artistique et le mot « décadent » apparaît. En ce temps, à la connotation négative de « la décadence » s’oppose une perception positive et cela soulève des discussions parmi les contemporains.

L’analyse du développement sémantique du mot « décadence » en France a montré que, dès son apparition il a élargi au fur et à mesure sa signification. Nous observons le passage du sens littéral (le déclin de l’empire) au sens métaphorique (le déclin spirituel) ; ensuite pendant un siècle tout reste sans changements et en première moitié du XIXème

siècle devient possible le jeu du sens direct (le déclin), et du sens figuré (le déclin moral, la décadence de l’art) du mot « décadence ». Dès les années 1860 il s’emploie aussi pour la désignation du style de l’art et dix ans plus tard sa connotation commence à changer et les premières discussions apparaissent. Dans les paragraphes suivants nous essaierons de montrer le processus de la formation des décadences française et russe.

§ 2.2. La question de la définition des auteurs décadents en France

La fin du XIXème siècle se caractérise par la diversité du potentiel artistique des poètes de cette époque. Ils ont fait preuve de courage et d’audace, utilisant des mots nouveaux, des rimes embrouillées et de nouveaux mètres, permettant ainsi à la poésie de se développer. Il convient de noter que l’histoire du symbolisme en tant que tendance poétique est originaire de France, il est donc pertinent de commencer ce travail à partir

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de la position française. En se référant à la littérature française des vingt dernières années du XIXème siècle, nous rassemblons d’une part plusieurs courants notamment le symbolisme, la mouvance de « l’art pour l’art » ou la décadence. D’autre part, nous parlons des esthètes indépendants qui s’intéressent à l’irréel, à l’idéal et à l’illusoire. Il est possible de les unir sous la notion commune de « littérature fin de siècle ». Pour la plupart des contemporains, cette définition devint synonyme de « décadence » :

Je suis l’Empire à la fin de la décadence, Qui regarde passer les grands Barbares blancs En composant des acrostiches indolents D’un style d’or où la langueur du soleil danse.

Paul Verlaine. « Langueur »

Dans le présent paragraphe nous tâchons d’exposer l’esprit décadent en France durant cette période et son importance pour l’apparition du mouvement symboliste.

2.2.1. La formation de la décadence

Au milieu des années 1880, des cercles de jeunes poètes aux noms étranges se forment : les Hirsutes, les Hydropathes, les Zutistes. Ils ont leur habitude dans différents cafés du Quartier Latin. Outre les jeunes, des poètes de la génération précédente s’y manifestent aussi : Maurice Rollinat (1846 – 1903), Émile Goudeau (1849 – 1906), Laurent Tailhade (1854 – 1919).

Le club littéraire le plus célèbre était celui des Hydropathes, créé par Goudeau. Les participants n’y buvaient que de l’eau (sans toutefois refuser l’absinthe). Leurs rencontres se sont tenues de 1878 à 1880 dans différents cafés et salles. Dès 1879, ils ont publié le journal L’Hydropathe. Noël Richard dans son livre À l’aube du Symbolisme113 propose une liste des poètes et écrivains qui participaient à ces rencontres. Nous pouvons noter Léon Bloy (1846 – 1917), Paul Bourget (1852 – 1935), Gustave Kahn (1859 – 1936), Jules Laforgue (1860 – 1887), François Coppée (1842 – 1908), Jean Moréas (1856 – 1910) ou Charles Cros (1842 – 1888, qui sera un des initiateurs du cercle des Zutistes), etc. Plusieurs

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noms de cette liste ont aussi fait partie d’autres cercles ou sociétés. La raison d’existence des réunions des Hydropathes était de permette aux jeunes poètes de présenter leurs œuvres en public, il ne s’agissait pas d’une doctrine ou d’un manifeste. Ces poètes tentaient de renouveler et de secouer la réalité environnante et de s’affranchir d’une littérature obsolète de leur point de vue. La « décadence » a reflété l’esprit de la société moderne, incapable de « lire les longs romans d’aventures avec des descriptions qui ne finissent pas114 », comme l’affirme Anatole Baju dans L’école décadente (1887). Dans le même esprit de contemporanéité, de nombreuses revues de l’époque avaient l’adjectif « moderne » dans leur nom : La vie moderne (avril 1879), Paris moderne (mars 1881), L’Art moderne (décembre 1882), La revue moderniste (décembre 1884), etc. Néanmoins, à cette époque, aucune nouvelle école n’a été créée et la nécessité d’en fonder une ne s’est pas fait sentir. Cependant, les nouveaux poètes, réunis en petits groupes, ont mené la lutte contre les idées de l’art établi, naturalisme et Parnasse en tête. La première action collective a été une collection de huit sonnets publiée dans La Revue wagnérienne en 1886 où « Hommage » de Stéphane Mallarmé et « Parsifal » de Paul Verlaine occupaient les premières places.

Au début des années 1880, le problème de la compréhension de la « décadence » comme phénomène revêt une importance particulière. L’un des événements les plus importants de cette période a été l’édition du livre Essais de psychologie contemporaine (1883) de l’écrivain et essayiste Paul Bourget. Dans ce livre, les thèmes majeurs de l’esthétique décadente ont été décrits. C’est sans doute pour cette raison que l’œuvre a servi de révélateur pour la compréhension de la « décadence » comme mouvement esthétique. Dans le chapitre sur Baudelaire, Bourget insère une partie consacrée à la « Théorie de la décadence ». En analysant le style et les principaux motifs des œuvres de Baudelaire, l’auteur dégage une théorie de la décadence comme tendance littéraire et phénomène particulier de l’époque. Il établit un lien entre le déclin social en France en 1860 et l’apparition de ce nouveau style poétique : avec la « désintégration » morale et la dégradation des conditions de vie dans le pays, « la désintégration » de la langue a suivi.

Une attention particulière doit être accordée au sens que Bourget donne au mot « décadence » : « Par le mot décadence, on désigne volontiers l’état d’une société qui produit un trop petit nombre d’individus propres aux travaux de la vie commune115… » Il utilise aussi une métaphore, comparant la société à un organisme et l’individu à une

114 BAJU A., L’école décadente, Paris, L. Vanier, 1887, p. 10.

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cellule. Pour qu’un organisme travaille efficacement et correctement, il faut que ses organes (de plus petits organismes) soient actifs. Les cellules constituant ces organes doivent donc fonctionner vigoureusement. Cependant, leur activité se doit d’être encadrée – les normes de la sociabilité les y obligent. Quand l’individu devient social mais se distingue de l’organisme en raison de la cohérence qui l’unit avec tel ou tel organe, l’organisme entre en décadence ou en « décomposition » car les organes ne subordonnent plus leurs énergies. En revanche, si les cellules entrent en déclin et deviennent indépendantes des organes, une sorte d’anarchie se met en place. Ce processus entraîne le déclin de l’organe et puis de l’organisme.

Pour Bourget, dans le style de décadence, le même phénomène se produit avec le texte : « …l’unité du livre se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l’indépendance du mot116. » La « décomposition » du fonctionnement de la société, et parallèlement celle du livre, constitue l’essence même du phénomène de la décadence. On peut résumer sa pensée par le fait que la « décadence » n’est pas uniquement le « déclin » de la société (et par extension de l’œuvre), mais surtout sa « décomposition » en plusieurs éléments indépendants qui conduisent à la destruction des modèles habituels. L’originalité de l’approche de Bourget dans le traitement du phénomène de la décadence est qu’il lui attribue néanmoins une influence positive sur la littérature. Selon Bourget, la décadence met l’accent sur les particularités de chaque artiste et est source de nombreux chefs-d’œuvre : « Si les citoyens d’une décadence sont inférieurs comme ouvriers de la grandeur du pays, ne sont-ils pas très supérieurs comme artistes de l’intérieur de leur âme117 ? » – pose Bourget la question rhétorique, appelant les écrivains modernes à suivre Baudelaire qui, pour lui, a su allier la pensée et la forme. Cette « décomposition », selon l’écrivain, est un fait, un phénomène de l’époque qu’il est impossible d’éluder.

Ainsi, nous pouvons considérer le livre de Bourget comme la première « théorie de la décadence » et le vrai manifeste de son esthétique qui a eu un écho. D’une certaine manière, Bourget a esquissé le héros-décadent que nous retrouverons en Jean des Esseintes, le personnage principal du roman À rebours (1884) de Joris-Karl Huysmans (1848 – 1907). Nous renverrons à cette importante référence au paragraphe suivant.

116 Ibid.

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2.2.2. L’esprit décadent

Pourquoi l’identité des décadents est-elle si peu connue ? Voici quelques pistes permettant de répondre à cette question. Premièrement, les œuvres des auteurs de cette période sont difficiles à classer ou à délimiter, car de nombreux poètes changeaient leur vision du monde ou n’appartenaient à aucun courant poétique. Deuxièmement, les écrivains de cette génération ont été rarement pris au sérieux. Ils révélaient la misère de l’homme, le privaient de sa transcendance divine (sous l’influence de la philosophie d’Arthur Schopenhauer et La Philosophie de l’inconscient de Karl von Hartmann), en remettant en question la hiérarchie des valeurs. Dans sa lettre du 13 novembre 1872, à l’époque de l’apparition de ces nouveaux esprits, Gustave Flaubert (1821 – 1880) écrivait à Ivan Tourguéniev (1818 – 1883) : «…mes cause personnelles de chagrin, l’état social macabre. <…> J’ai toujours tâché de vivre dans une tour d’ivoire. Mais une marée de merde en bat les murs, à la faire crouler. Il ne s’agit pas de politique, mais de l’état mental de la France118. » Parmi les artistes, une sensibilité semblable apparaît souvent. Nous pouvons également citer les paroles au sujet des jeunes poètes, nommés les symbolistes, prononcées bien plus tard, en 1891, par Émile Zola dans l’interview à Jules Huret :

« Mais que vient-on offrir pour nous remplacer ? Pour faire contre-poids à l’immense labeur positiviste de ces cinquante dernières années, on nous montre une vague étiquette “symboliste” recouvrant quelques vers de pacotille. Pour clore l’étonnante fin de ce siècle énorme, pour formuler cette angoisse universelle du doute, cet ébranlement des esprits assoiffés de certitude, voici le ramage obscur, voici les quatre sous de vers de mirliton de quelques assidus de brasserie119...» Il est possible de confirmer que les nouveaux poètes (décadents et symbolistes) se heurtent à une critique âpre pendant des années. Ainsi, la réaction des contemporains souligne l’énergie de leur lecture. Autrement dit, les commentaires montrent que la nouvelle poésie intéresse le public et provoque des réactions.

Or, la littérature du courant décadent offrait au lecteur contemporain de multiples découvertes. Sans former d’école, sans leader, le décadentisme était ouvert à de nouvelles sensations et à de nombreux styles, ce qui renvoie à l’instabilité de l’idée créatrice et de

118 ZVIGUILSKY A. (dir.), Gustave Flaubert - Ivan Tourguéniev. Correspondance, Paris, Flammarion, 1989, p. 123.

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l’art en général. Cependant, les décadents créaient leur propre réalité en opposant la réalité « authentique », créée par l’art, à la réalité empirique. Le décadentisme littéraire a débuté vers 1884, avec la parution du roman de Joris-Karl Huysmans À rebours. Ces cinq années ont été ainsi marquées par la parution de plusieurs œuvres décadentes : nous allons en examiner quelques-unes.

La publication du roman de Huysmans À rebours révèle le moment crucial pour l’histoire de la notion de « décadence ». Ce texte continue à être considéré comme le manifeste littéraire du décadentisme. Tout en reflétant les tendances du processus historique et culturel des dernières années, le roman en offre également une analyse détaillée. L’histoire du duc des Esseintes est devenue l’histoire de toute une génération avec ses aspirations, sa grandeur et ses incertitudes. Bien que le mot « décadent » ne soit pas directement appliqué au personnage du roman, la décadence de Jean des Esseintes était exprimée implicitement, laissant le lecteur découvrir l’essence complexe et subtile du décadent français des années 1880.

Si Paul Bourget dans ses Essais de psychologie contemporaine a regroupé et analysé dans ses essais les principales tendances du décadentisme, l’auteur du roman À rebours a fait le même travail d’une façon artistique, en créant l’image du décadent typique, le duc des Esseintes. En même temps, Bourget, mais probablement aussi Huysmans, perçoivent la décadence non seulement comme ambiance et humeur de la société, mais aussi comme un style de vie et de littérature. Tous les deux croient que la décadence est une étape naturelle et nécessaire de l’histoire de la civilisation. Pour mieux illustrer cette confirmation il est préférable de citer Huysmans :

« En effet, la décadence d’une littérature, irréparablement atteinte dans son organisme, affaiblie par l’âge des idées, épuisée par les excès de la syntaxe, sensible seulement aux curiosités qui enfièvrent les malades et cependant pressée de tout exprimer à son déclin, acharnée à vouloir réparer toutes les omissions de jouissance, à léguer les plus subtils souvenirs de douleur, à son lit de mort, s’était incarnée en Mallarmé, de la façon la plus consommée et la plus exquise120. »

Comme style littéraire, le décadentisme est riche, raffiné et reflète les tendances de l’époque sans être « déclinant ». Même si en 1891, dans l’Enquête d’Huret, Huysmans apparaît parmi « Les Naturaliste », par ce livre il rompt avec la tradition du naturalisme.

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La popularité immédiate du roman de Huysmans a encouragé le développement de la littérature sur le décadentisme. Ainsi, l’année 1884 a été marquée par la parution d’un autre livre très important, Le Vice suprême de Joséphin Péladan (1858 – 1918). Ce roman consacré au phénomène du décadentisme est à la fois un article philosophique et une œuvre d’art. Il s’agissait du premier des vingt-un volumes de l’éthopée La Décadence latine de Péladan. Le roman est entièrement consacré à la description et à l’analyse critique des états d’esprit, des idées, des modèles des comportements sociaux et des relations de l’époque. Péladan a représenté son siècle comme celui de la « décadence », c’est-à-dire la stagnation et la dégradation morale imminente et irréversible, qui mène inévitablement à la destruction de la culture des peuples occidentaux, à finis latinorum. Par la « décadence », il sous-entendant l’état de la société européenne qui se caractérisait essentiellement par la « perversité121 » de la pensée. Elle entraînait la perversion des notions de pudeur et de fierté, confondait « le vice » et « la vertu », « le bien » et « le mal », menant ainsi à la régression de l’art. Cependant, selon l’affirmation du professeur Michel