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Patrick Mayen, Claire Tourmen

2. Un cadre à interpréter : obstacle ou facilitateur ?

2.2. Le rôle critique du président de jury

Il existe enfi n un obstacle dans la diffi culté à évaluer les acquis de l’expérience d’un candidat à partir de la des-cription de son parcours. Comment s’y prendre ? Quels indicateurs prélever ? Comment se former un jugement global ? Quels critères privilégier ? Comment estimer un niveau de connaissances à partir de l’expérience ? Autant de questions que les nouveaux membres de jury se posent et ont à résoudre. S’il existe des référentiels (formation, métier, compétences) qui peuvent guider l’identifi cation des compétences à évaluer, ils ne précisent que rarement les indicateurs à prélever et les critères à examiner, qui émergent de façon spontanée au cours des échanges du jury. Charge au président de les faire expliciter, discuter et de s’assurer que l’ensemble des indices possibles ont été pris en compte.

Ainsi, le président de jury joue un rôle important : en encourageant la discussion, il favorise l’explicitation et le débat des critères et indicateurs effectivement pris en compte pour évaluer les acquis d’un candidat.

Si l’on part des pratiques spontanées des jurys, la première constante qui se dégage est celle de l’énoncé d’impressions d’ensemble et de jugements globaux sur le candidat et sur son dossier. Ces jugements sont souvent énoncés en termes de niveaux et de proximité avec ce que nous appelons un modèle du

pro-l’ingénieur de l’école, il a le niveau, il n’a pas le niveau… ». Ce jugement est dégagé après une lecture qui peut être globale ou de détail. Les membres de jurys qui examinent des dossiers pour la première fois expriment leur diffi culté à le faire et la quantité importante de temps que cela leur a pris. Les habitudes de lecture des mémoires de fi n d’étude qui semblent permettre une lecture relativement rapide semblent inopérantes ici.

Il faut en fait une certaine stimulation de la part du président de jury à travers les consignes initiales ou en cours d’examen du dossier pour que chacun argumente son jugement d’ensemble. Argumenter revient à mettre en avant certains éléments du dossier qui justifi ent le jugement ou l’impression. L’énoncé d’arguments est porteur d’une dynamique des échanges au sein d’un jury. D’une part, cela conduit les autres membres du jury à aller consulter ces éléments dans le dossier pour les y situer et les examiner à leur tour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne les ont pas lus ou qu’ils ne les aient pas pris en compte, mais ces éléments trouvent ainsi une nouvelle fraîcheur du fait d’avoir été mis sur la table du débat et interprétés d’un certain point de vue. D’autre part, cela conduit les autres membres à avancer eux-mêmes des arguments complémentaires, soit pour renforcer, invalider, ou nuancer une évaluation énoncée. La dynamique argumentative qui se déploie dans les jurys correspond à une loi du fonctionnement conversationnel mise en avant en théorie des actes de langage : tout énoncé d’une assertion suppose que le locuteur puisse la justifi er et dispose donc des arguments pour le faire.

C’est ce qui explique que les interventions, même légères du président, engendrent des effets importants. Il se trouve évidemment des situations dans lesquelles la dynamique conversationnelle est bridée. Par exemple le président ne stimule pas les échanges, ou alors encore il est demandé aux membres des jurys de se servir d’une grille. Sur ce dernier point, il est utile de noter que, si les grilles de lecture des dossiers ou grilles critériées d’évaluation semblent stimuler et enrichir les capacités de lecture des jurys lorsqu’ils sont seuls face au dossier, elles semblent, à l’inverse, inhiber la dynamique des échanges. Or, celle-ci apparaît comme une condition de la qualité de l’évaluation.

Le président joue également un autre rôle : il s’assure que les membres du jury examinent un faisceau d’élé-ments qui portent sur l’ensemble de l’expérience d’un candidat, sans en méconnaître certains aspects. Il assure la mise en relation des indices prélevés et le test d’hypothèses sur les capacités d’un candidat. En effet, on peut établir une corrélation directe entre d’une part le nombre de critères et d’indicateurs traités par un jury, le fait qu’ils portent à la fois sur des éléments « microscopiques » des compétences et connaissances d’un candidat et des éléments plus « macroscopiques » (niveau ou non, profi l ou pas, ingénieur ou technicien, capable de prendre du recul ou non, capable d’analyse ou pas, etc.) et d’autre part la diversité des parties du dossier qui sont ainsi examinées (parcours, activité professionnelle, situation problème, activités bénévoles, formation, etc.). On peut alors faire le constat d’une certaine exhaustivité des éléments considérés par le jury, d’un cer-tain approfondissement, de la construction de relations entre dimensions globales et dimensions partielles des éléments de l’expérience. Enfi n, si chacun des jurys est porteur d’un certain type d’expertise, ce sont bien des regards croisés qui sont portés sur le dossier.

Nous avons recensé l’ensemble des critères et indicateurs qui peuvent être le plus couramment pris en compte par un jury de VAE. Ils portent sur 3 dimensions de l’expérience d’un candidat :

• les situations qu’il a rencontrées dans son parcours (emplois occupés, missions confi ées, etc.) qui sont examinés selon des critères d’adéquation aux emplois visés par le diplôme, de niveau de complexité et d’adaptabilité du candidat à travers son parcours ;

• les activités qu’il a menées dans ces situations, qui sont examinées selon des critères de richesse de l’activité (périmètre d’actions plus ou moins étendu, etc.), de réussite (par des indicateurs indirect du type reconnaissance par les supérieurs ou par les pairs, etc.) et de niveau de complexité (par l’étude des raisonnements menés, etc.) ;

• les acquis spécifi ques développés dans ces activités en situation, examinés selon le niveau de connais-sance d’un candidat (inféré des termes techniques ou scientifi ques utilisés, etc.), la capacité de recul d’un candidat sur son expérience (notamment à travers le dossier) et la globalité des acquis au regard du diplôme (est-ce que le candidat possède l’ensemble des acquis essentiels au regard du diplôme et des fonctions visées ?).

Il est utile de souligner que le parcours de formation est aussi un élément de l’expérience qui doit être pris en compte, de même que les expériences extraprofessionnelles ; de plus, les signes indirects de réussite et de reconnaissance des activités menées peuvent étayer un jugement (être embauché et promu, voir ses tâches évoluer, etc.), partant du principe que les compétences du candidat ont déjà été, à leur manière, évaluées à de multiples reprises au cours de son parcours par ses employeurs, ses pairs, etc. Enfi n, l’expérience peut permettre de développer des connaissances pragmatiques qui peuvent être aussi voire plus pertinentes que les connaissances dites « théoriques » transmises en formation (Métral & Mayen 2008).

Ces constats montrent qu’il peut être utile de sensibiliser les membres de jury à la variété des indicateurs qu’ils peuvent prélever, des critères qu’ils peuvent examiner et à la nécessité de leur explicitation/confron-tation par les débats. Leurs jugements spontanés et initiaux ne sont pas forcément justes et ils peuvent être amenés à les réviser au cours d’un jury à l’occasion des échanges, de pondérer certains critères par rapport à d’autres, etc. Ce temps de travail sur les critères et indicateurs possibles permet aussi de décomplexer certains membres de jury : s’ils n’observent pas directement ni ne testent une compétence de visu, ils peu-vent prélever un faisceau d’indices et les croiser, ceci afi n d’avoir une certaine confi ance dans le jugement produit. Il peut par exemple être intéressant de faire s’exercer les membres de jury à la lecture d’un dossier, pour montrer la richesse des regards possibles et la nécessité d’expliciter ses impressions spontanées, de les étayer sur des indices précis.

Conclusion

Ce que nous venons de développer nous conduit à penser que la pratique de jurys de VAE ne s’apprend pas seulement par expérience. Une intervention formative courte mais fondée sur une analyse de cette situation nouvelle peut assurer une continuité productive avec les expériences antérieures. Les membres de jury de VAE peuvent puiser dans leurs expériences antérieures des manières de penser et d’agir utiles pour la tâche d’évaluation en VAE.

Selon nos observations, l’apprentissage que les jurys ont à réaliser porte principalement sur deux dimen-sions : d’une part la compréhension des règles du jeu de la construction et de la discussion collective du jugement (règles d’échange et de débat, etc.), qui assure une partie de la réussite du jury, d’autre part la compréhension de la nouveauté de l’objet à évaluer, de la nécessité de le considérer d’une certaine façon, au besoin de revoir ses conceptions sur l’expérience, les compétences, les connaissances et la formation, et se doter d’indicateurs précis permettant d’observer et d’inférer les compétences à partir d’un dossier et d’un discours.

Bibliographie

Anzieu D. & Martin D. (1975), La psychologie des groupes restreints, Paris, PUF.

Habermas J. (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard.

Leplat J. (1997), Regards sur l’activité en situation de travail, Paris, PUF.

Mayen P. (2005), « Culture et formes d’action dans l’activité d’évaluation des jurys de VAE », Les dossiers des sciences de l’éducation, 13, p. 55-66.

Mayen P. (2006), « Évaluer avec l’expérience », in G. Figari et L. Mottier-Lopez (eds), Recherches sur l’évaluation en éducation, Paris, L’harmattan, p. 25-33.

Mayen P. (2007), « Quelques repères pour analyser les situations dans lesquelles le travail consiste à agir pour et avec un autre », Recherche en éducation, 4, p. 51-64.

Mayen P., Mayeux C., Savoyant A. (2006), « Le travail des jurys VAE une double activité pour réaliser une nou-velle tâche », in A. Estrella, P. Alves, G Figari, P. Valois, A avaliaçao de competencias, Lisboa, Universidade de Lisboa, p. 77-88.

Mayen P. (2008), « L’expérience dans les activités de validation des acquis de l’expérience », Travail et appren-tissages, 1, p. 58-75.

Metral J.-F. & Mayen P. (2008), « La notion de compétence dans les activités de validation des acquis de l’ex-périence », Formation Emploi, 101, p. 183-198.

Vial M. (2001), « Évaluation et régulation », in G. Figari et M. Achouche, L’activité évaluative réinterrogée, Bruxelles, De Boeck, p. 68-78.

L’accompagnement en validation des acquis de l’expérience :