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La coloration affective de l’expérience n’est pas un simple corrélat du processus de réduction

Conditions et processus de réduction de l’expérience tout au long du parcours de VAE

6. La coloration affective de l’expérience n’est pas un simple corrélat du processus de réduction

Tout ceci serait cependant trop objectif pour rendre compte de ce qu’est l’expérience de la VAE si nous n’abor-dions pas, enfi n, sa tonalité affective.

L’expérience de la VAE, à tout moment du parcours, peut briser des continuités vécues, limiter ou empêcher des continuités imaginées et espérées : les expériences peuvent ne pas avoir été de qualité suffi sante pour corres-pondre au niveau attendu pour la validation ou bien il peut arriver qu’aucun titre ou diplôme ne corresponde à un type d’expérience ou à une somme d’expériences diversifi ées. L’expérience peut encore ne pas pouvoir être reconnue au niveau espéré ou bien être jugée obsolète.

Si l’expérience est émotion, c’est à la fois dans le processus, autrement dit le temps de la construction de l’ex-périence et dans le produit. On retrouve ce constat dans les activités qui composent le travail d’élaboration du candidat. Événements marqués par des affects négatifs et résultant de souffrances professionnelles ou personnelles, déceptions et frustrations, empêchements d’agir, fatigue, ennui, stress, jugements professionnels explicites ou non portés sur la personne ou sur son action. Événements marqués par des affects positifs et résultant de réussites et promotions, marques de reconnaissance, sentiment du travail bien fait, d’effi cacité, problèmes délicats résolus, jugements d’utilité et de beauté (Dejours 1995) exprimés par l’entourage. La construction du sens attribué à l’ex-périence en est fortement marquée. La valeur des éléments de l’exl’ex-périence ou de sa totalité en dépend.

C’est à cela aussi que se heurtent les professionnels chargés de l’orientation et de l’accompagnement. Se sou-venir ou pas, accepter ou non d’en parler, développer ou minimiser, réorganiser une hiérarchie des expériences du point de vue de leur valeur pour le référentiel de diplôme et non pour le référentiel du milieu professionnel ou pour le référentiel personnel construit tout au long de la vie ne sont que quelques-unes des diffi cultés en-gendrées par l’indissociabilité de l’émotion et de la cognition. Un candidat élimine ainsi huit années d’expé-rience professionnelle, parce qu’il les considère comme un simple moyen sans véritable intérêt ni valeur pour accumuler le capital lui permettant de réaliser le projet professionnel qui lui tenait à cœur. Un autre refuse de parler d’une période douloureuse. Un autre encore réussit, malgré les conseils de son accompagnatrice, à faire savoir combien sa valeur est reconnue dans son milieu, au cours de l’entretien avec le jury, même si cette valeur ne correspond pas à ce qui est attendu pour ce diplôme. Les impasses faites sur certaines activités, les développements trop importants, les preuves décalées ne sont pas le seul fait d’une incompréhension des exigences du jeu social de la VAE.

L’émotion et les affects insistent pour s’exprimer. Ils sont aussi le crible par lequel les candidats estiment la validité de l’évaluation, une fois celle-ci notifi ée par le jury. De nombreux jurys refusent d’annoncer les ré-sultats de leurs délibérations directement aux candidats car ils craignent des réactions négatives et agressives.

Sentiments de justice ou d’injustice, d’avoir ou non été entendu, compris et reconnu, d’avoir enfi n réussi ou d’avoir encore échoué nourrissent les réactions après-coup des candidats.

Cela ne peut se comprendre que parce que l’expérience est composée d’une succession d’attributions de valeur.

Au cours de l’expérience, les événements, les situations, les positions, ont été l’objet d’attributions de valeur, d’abord par les autres, personnes ou institutions, par les événements tels qu’ils ont été interprétés, ensuite par chacun, mais toujours référencée, en quelque sorte aux yeux, aux mots, aux jugements des autres. Tel ou tel pan de l’expérience a ainsi acquis une valeur, plus ou moins positive pour l’individu et cette valeur agit et infl uence le comportement de chacun lorsqu’il élabore son expérience : passer sous silence ce qui paraît sans valeur ou privilégier ce qui paraît en avoir beaucoup, revendiquer la reconnaissance de compétences parce que les résultats de l’action, du traitement d’un événement ont été estimés réussis, parce que l’on exerce son travail avec des collègues au statut reconnu et au diplôme obtenu, parce que les clients ou les hiérarchiques ont souhaité vous conserver à leur service. Autant de validations sociales de l’expérience qui peuvent tout à fait entrer en confl it avec les critères de validation d’un diplôme. Il se trouve, en effet, que les situations sont trompeuses. Tel résultat peut être obtenu en déployant une activité de type procédural, sans que des activités plus complexes de diagnostic, de compréhension des phénomènes ait pu être mobilisée. On a pu agir dans un empan temporel où les conditions n’ont pas évolué vers des situations à risque ou très dégradées exigeant un plus haut niveau de raisonnement ou une plus grande variété des modes de traitement. Mais il se peut tout simplement que les critères de reconnaissance, d’attribution de valeur soient différents d’un univers à l’autre.

On conçoit alors à quel point l’explication et la justifi cation des décisions des jurys, la mise en évidence de ce qui est acquis et de la valeur de l’expérience, même si celle-ci ne donne pas lieu à toute la reconnaissance et toute la validation attendues, sont nécessaires. De même, l’intérêt de relativiser en situant le candidat parmi les autres candidats, l’intérêt de restreindre la portée de l’évaluation au cadre de l’obtention du diplôme visé et aux exigences, nécessairement limitées, d’un référentiel qui ne dit pas tout de la valeur professionnelle ou humaine.

Encore, l’intérêt de souligner la spécifi cité de la forme d’évaluation et la part d’inadéquation entre celle-ci (dossier, entretien ou même mise en situation professionnelle) et l’expérience, qui n’a peut-être pas permis au candidat de faire valoir tout ce qu’il a effectivement acquis. Enfi n, préciser que ce sont ces traces, ce donné reconstitué qui sont évalués et non la totalité de l’expérience et des capacités ou de la personne elle-même.

L’émotion et la subjectivité ne sont donc pas des restes de l’élaboration de l’expérience. Pour leur part, les accompagnateurs sont placés en situation d’avoir à étayer une sorte de désubjectivation pour que le candidat réélabore l’expérience et la reconstruise à des fi ns certifi catives avec son cortège d’attentes. Ils sont placés en même temps en position de laisser, voire de faire, s’exprimer la subjectivité et les émotions pour les aborder et agir sur elles avec les candidats : travail subtil de désubjectivation et de resubjectivation donc, au sens où il

Conclusion

L’analyse que nous venons de proposer de ce qui constitue l’engagement et l’action dans la succession des situations qui composent un parcours de VAE n’a pas pour but de faire la preuve d’une complexité outrancière qui rendrait l’épreuve impossible à réaliser. Elle tente seulement de montrer que s’engager et agir en VAE cor-respond à une forme de travail spécifi que avec l’expérience. D’une part, elle demande à ce que les institutions et les professionnels chargés d’encadrer les candidats reconnaissent le niveau et l’importance des activités requises et réalisées. D’autre part, elle demande à ce que les modes d’organisation ne compliquent pas les cho-ses mais cherchent à les faciliter autant qu’il est possible. Enfi n, elle demande à ce que l’on prenne au sérieux l’exigence de professionnalisme des dispositifs et des professionnels chargés d’aider les personnes, à chacune des étapes. On pourrait dire à ce propos que si le professionnalisme des dispositifs et des professionnels est assuré, alors les personnes se débrouilleront bien de ce qui leur incombe. Ils feront leur affaire de la VAE. Dans une étude (Mayen 2007) que nous sommes en train de réaliser qui s’intéresse à ce que vivent des personnes ordinaires dès lors qu’elles s’engagent dans le dispositif de VAE, une proposition importante des personnes que nous avons rencontrées expriment un ressenti plutôt inattendu : d’une part, comme nous l’avons déjà énoncé plus haut, elles attendent les moments où elles auront enfi n le sentiment d’être dans la démarche et non pas dans un interminable parcours « administratif ». D’autre part, elles estiment que la construction du dossier de VAE et le travail d’élaboration de l’expérience est certes diffi cile, mais beaucoup moins que le parcours du combattant qui les a amenées jusque-là.

Bibliographie

Dejours C. (1995), Le facteur humain, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? ».

Dewey J. (1968), Expérience et éducation, Paris, Armand Colin.

Honneth A. (2007), La réifi cation, Paris, PUF.

Mayen P. & Daoulas C. (2006), L’accompagnement en VAE, Dijon, Éditions Raison et Passions.

Mayen P & Perrier D. (2006), Pratiques d’information conseil en VAE, Éditions Raison et Passions.

Mayen P. (2007), Le conseil en VAE, entre préoccupations des personnes et confusions des systèmes de certi-fi cation, Actes du congrès de l’AREF-AECSE, 30 août-1er septembre 2007, Strasbourg.

Mayen P. (2008), « Un cadre théorique et méthodologique pour une recherche sur l’activité de personnes or-dinaires dans des parcours de VAE », Symposium : reconnaissance et validation des acquis de l’expérience.

Actes du XX° Colloque de l’Admee-Europe, Université de Genève, Genève, 9-11 janvier 2008.

Olson D. (1998), Le monde de l’écrit, Paris, Retz.

Olson D. (2005), L’école, entre institution et pédagogie, Paris, Retz.

Vygotski L.V. (1985), « La méthode instrumentale en psychologie », in B. Schneuwly & J.-P. Bronckaert (dir.), Vygotski aujourd’hui, Paris, Delachaux et Niestlé, p. 39-48.

CÉREQ

Dépôt légal 4e trimestre 2009 Imprimé par le Céreq

Marseille