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Résumé faisant suite au mémoire de Maîtrise de Déborah Tailleur, dirigé par Boris Valentin et soutenu à l’Université Paris 1 en septembre

Découvert en l'an 2000 par l'un de nous (A. B.), le gisement a livré environ 800 pièces lithiques, conservées au Muséum d'histoire naturelle du Havre. Le silex est le seul matériau qui soit parvenu ; les matières périssables, telles que le bois ou l'os, ont disparu du fait de l'acidité du sol. Cette série de surface a été collectée sur la petite commune de Yainville, au lieu-dit Le Petit Trou, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Rouen et au nord de la Forêt de Jumièges (Seine-Maritime), sur le versant gauche de la vallée morte de l'Austreberthe. A l'origine, cet affluent se jetait dans la Seine à proximité de Yainville ; mais, le recul d'un méandre du fleuve a entraîné la capture de l'Austreberthe plus en amont, au niveau de Duclair, laissant une vallée sèche entre la « presqu'île de Jumièges » et le plateau cauchois. Cette zone de confluence particulière constitue un endroit favorable à l'implantation humaine, notamment par sa richesse en matière siliceuse : les rognons et les galets de silex du Turonien et du Coniacien — de couleur bleu, noir et gris, translucide — sont abondants et d'excellente qualité dans les deux vallées (Tailleur, 2004 ; Tailleur, Watté, Bouffigny, 2004).

On note d'emblée la présence d'une patine plus ou moins prononcée de teinte blanc-bleu caractéristique régionalement du Paléolithique supérieur final. Cet indice, corrélé par l'étude typo- technologique, permet d'attribuer cet ensemble lithique à l'extrême fin du Tardiglaciaire, et plus précisément à la transition entre le Dryas III (ou Dryas récent) et le Préboréal.

Vers 10 000 BP, après l'épisode tempéré de l'Alleröd, un retour du froid modifie l'environnement des groupes humains. Le couvert forestier semble se stabiliser, voire reculer et perdre de l'altitude sur les versants de montagne ; les taxons voient leurs effectifs changer : le pin perd du terrain au profit du bouleau et des herbacées qui augmentent à nouveau. De même, après une importante remontée vers les territoires froids de la Scandinavie pendant la phase tempérée, les populations de rennes redescendent jusqu'en Belgique. Cependant, la position géographique du site incite à nuancer ces données : la Manche et l'Océan Atlantique, très proches, tempèrent favorablement le climat régional ; ces influences océaniques apportent une humidité plus importante et des températures moins froides que dans les terres. Il est donc permis d'imaginer une survivance de nombreux bosquets d'arbres et d'une faune forestière, avec des espèces comme le sanglier. Le Préboréal marque ensuite l'installation

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Bassin parisien) que se distingue le Belloisien, appelé encore « faciès à éléments mâchurés », ou Long

Blade Technology par les Anglo-Saxons (Barton, 1989 ; Bodu, Hantaï, Valentin, 1997 ; Dumont,

1997 ; Fagnart, 1997 ; Fagnart, Coudret, 2000 ; Teyssandier, 2000 ; Valentin, 1995, 1999).

La série lithique de Yainville s'apparente aux industries de cette dernière tradition culturelle par ses aspects technologiques et typologiques. Les diverses séquences de la taille montrent un débitage élaboré, qui n'est pas toujours exécuté avec un souci d'économie de la matière — de nombreux nucléus présentent un dos cortical, voire un ou deux flancs partiellement recouverts de cortex. Après un éventuel nettoyage rapide des irrégularités, la mise en forme des blocs est souvent importante et consiste en l'élaboration d'une ou plusieurs crêtes destinées à ouvrir une table de débitage. L'exploitation de cette surface se fait dans la grande majorité des cas grâce à deux plans de frappe opposés. L'utilisation d'un percuteur minéral tendre est suggéré par la présence, autant sur les nucléus que sur les produits débités, de stigmates et de caractères particuliers : les supports détachés portent très souvent des rides fines et serrées sur le bulbe et des esquillements ; la morphologie et le profil des lames et lamelles de plein débitage montrent une forte régularité. Deux étapes se retrouvent au sein de la série des lames et lamelles :

- la production a débuté par l'obtention de lames grossières, épaisses et très irrégulières — restes de cortex, de négatifs d'enlèvements transversaux liés à l'établissement des crêtes, de convexités… — qui ont probablement pour rôle de régulariser la surface de débitage en installant des nervures parallèles.

- le plein débitage fournit ensuite des lames assez longues, mais surtout larges et minces, puis de petites lames ou lamelles étroites ; ces deux types de produits sont eux très réguliers, c'est-à-dire que les bords et les nervures de l'avers sont parallèles et espacés de façon homogène.

L'entretien des plans de frappe est réalisé par l'intermédiaire du détachement de tablettes de ravivage, transversalement à la table de débitage, parfois seulement par des éclats peu envahissants et répétés. D'autre part, les convexités de la table (carène et cintre) doivent être suffisamment maintenues afin de garantir un nombre restreint d'accidents de taille (réfléchissements, outrepassements, élargissement des produits trop marqué…). Pour cela, les tailleurs ont, soit détaché des éclats transversaux s'étalant vers le centre de la table de débitage, soit utilisé la bipolarité des surfaces débitées ("auto-entretien"). De plus, des néo-crêtes ont parfois été produites afin de contrôler au maximum l'onde de choc : ces "crêtes d'entretien" présentent, à partir de leur nervure centrale, des petits enlèvements, le plus fréquemment développés sur un pan, qui contribuent à guider cette onde dans la longueur de la table (la nervure centrale est alors rectifiée) (Tailleur, 2004 ; Tailleur, Watté, Bouffigny, 2004).

L'outillage du fonds commun est pour plus de la moitié constitué de grattoirs (22 pièces), façonnés à partir de produits des premières étapes du débitage (éclat de mise en forme, lames grossières). Ceux-ci sont majoritairement des pièces longues dont le front présente soit une retouche lamellaire et convergente, soit une retouche aux enlèvements plus larges et sub-parallèles. Il convient également de signaler un grattoir double. Les autres catégories d'outils sont présentes à titre anecdotique : burins dièdres, retouchoir, outil composite, fragment de pointe à dos… ; en outre, certaines pièces sont affectées par une retouche partielle ou irrégulière : il est difficile de faire la part des "couteaux" et des denticulés véritables par rapport aux objets écaillés accidentellement.

Bien présents cette fois, les éléments mâchurés représentent 25 % de l'outillage. Ils se retrouvent sur des lames robustes, de gros éclats ou des nucléus, qui montrent sur leurs bords ou leurs extrémités différents degrés de mâchuration, allant de l'esquillement à l'écrasement du tranchant (Tailleur, 2004 ; Tailleur, Watté, Bouffigny, 2004).

Enfin, de nombreuses pièces brûlées sont présentes au sein de la série : elles sont parfois partiellement endommagées, mais près de 60 % de ces pièces restent typologiquement impossibles à reconnaître du fait de l'extension des cupules thermiques. Bien que l'on puisse être fortement tenté d'y voir l'indice de la présence de foyers, il convient de rappeler le contexte de la découverte du gisement : en situation de prospections pédestres, il ne peut être exclu que les pièces entièrement brûlées soient beaucoup plus récentes (Tailleur, 2004 ; Tailleur, Watté, Bouffigny, 2004).

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En Haute-Normandie, peu d'habitats de la fin du Paléolithique ont été étudiés. La découverte d'un nouveau site belloisien permet déjà de préciser l'extension des cultures de cette époque en Seine- Maritime (Fosse, 1990, 1997 ; Watté, Allais, Bouffigny, 1994 ; Watté, Bouffigny, Niel, 1997, 2001 ; Watté, Bouffigny, 2003) mais aussi dans l'ouest du Bassin parisien. L'importance numérique de la série et les témoins de combustion laissent augurer la possibilité de mettre au jour les restes d'un habitat structuré : l'organisation d'une fouille doit maintenant être envisagée.

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