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Résumé

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V. Dynamique quotidienne des populations commensales d’E coli chez des bovins adultes

1. Résumé

A l’heure actuelle, les fluctuations des populations commensales d’E. coli chez les bovins domestiques en l’absence de toute perturbation de nature anthropique sont mal connues, et leur impact sur la présence et la persistance de souches d’intérêt pour la santé humaine reste à caractériser. Dans ce premier travail, l’objectif était de fournir une description approfondie des variations quotidiennes des populations fécales d’E. coli chez des bovins adultes exposés à une pression anthropique faible. L’étude s’est déroulée dans le village de Magoli, aux abords du parc national de Hwange au Zimbabwe. Dans cette zone, la production agricole est essentiellement une agriculture de subsistance basée sur la culture du maïs et du sorgho et l’élevage de bovins et de caprins. Les exploitations sont de petites tailles, avec une moyenne de cinq têtes par troupeau. Le bétail se déplace durant la journée sous la conduite d’un vacher pour trouver des pâtures sur lesquelles se nourrir, et rentre à la nuit tombée dans un enclos pour limiter les risques de prédation par la faune sauvage (Figure 6).

Figure 6. Troupeau de vaches de race Nguni rentrant après une journée de pâturage en liberté.

a. Matériel et méthodes

(i) Récolte des échantillons

Dans le cadre d’un projet collaboratif avec le docteur Alexandre Caron du Cirad, j’ai effectué une mission au Zimbabwe. J’y ai prélevé les fèces de quatre vaches domestiques de

76 race Nguni pendant 25 jours, tous les jours à la même heure (Figure 7). Nous avons choisi les vaches présentant le plus de similarités compte-tenu des conditions de terrain : elles appartenaient au même troupeau, avaient vêlé deux mois auparavant, et n’avaient pas reçu de traitement antibiotique durant les trois mois précédant l’étude. Trois vaches étaient âgées de quatre ans, la dernière avait 13 ans.

Figure 7. Les quatre vaches dont les populations fécales d’E. coli ont été suivies pendant 25 jours. Les vaches étaient désignées sous les numéros C765 (en haut à gauche), C767 (en haut à droite), C1403 (en bas à gauche) et C1458 (en bas à droite).

(ii) Comptages bactériens et isolement des souches d’E. coli

Nous avons estimé le nombre d’E. coli dans chaque échantillon par des séries de dilutions et étalements sur milieu sélectif des entérobactéries. Une colonie d’E. coli était prélevée au hasard pour chaque prélèvement. Puis, les comptages aux 2ème, 15ème et 25ème jours ont été répétés quatre fois. Sur ces étalements supplémentaires, nous avons prélevé cinq colonies d’E. coli par boite.

Résistance aux antibiotiques

Trois protocoles ont été mis en place pour étudier la résistance aux antibiotiques. Dans un premier temps, la sensibilité de chaque isolat à l’amoxicilline, au chloramphénicol, à la kanamycine, à la streptomycine, aux sulfamides, à la tétracycline et au triméthoprime a été testée à l’aide de la méthode de diffusion en gélose. Ces sept antibiotiques sont les plus fréquemment utilisés en médecines humaine et animale dans le district de Hwange (données personnelles suite à une prospection que nous avons réalisée dans les centres de soins et postes de santé vétérinaire durant la mission). Dans un second temps, nous avons recherché

77 la présence de souches résistantes aux pénicilles et à la tétracycline en étalant les fèces sur milieux sélectifs des entérobactéries contenant une pénicilline ou de la tétracycline. Enfin, nous avons recherché les déterminants génétiques de la résistance à la tétracycline, aux pénicillines et au triméthoprime par PCR et séquençage.

(iii) Phylogénie des souches d’E. coli isolées, sérotypage et recherche des gènes stx

Nous avons établi une phylogénie entre les isolats en combinant trois méthodes de typage génétique à partir de leur ADN : tout d’abord, leur groupe phylogénétique a été identifié par PCR (170). Ensuite, nous avons déterminé l’allèle du gène trpA d’après la base de données de « Multi Locus Sequence Typing » (MLST) de l’Institut Pasteur par séquençage Sanger. Enfin, nous avons réalisé une amplification aléatoire d’ADN polymorphe par PCR (« Random Amplified Polymorphic DNA » PCR, ou PCR RAPD), qui consiste en une amplification aléatoire de l’ADN génomique des souches, suivie d’une électrophorèse des fragments amplifiés, qui conduit à un profil propre à chaque génome.

Par ailleurs, nous avons recherché la présence des gènes caractéristiques des E. coli producteurs de toxines de Shiga stx1, stx2 et eae et leurs sérogroupes principaux par PCR.

(iv) Analyses statistiques

Nous avons utilisé un modèle linéaire à effets mixtes pour décrire la dynamique des quantités d’E. coli au cours du temps. Nous avons testé des polynômes de temps de degrés 0 à 4 afin de détecter la présence d’une tendance dans l’évolution des quantités d’E. coli. Nous avons introduit comme covariable dans le modèle le nombre de cycles de congélation/décongélation qu’avaient subi les échantillons. Afin d’évaluer la trajectoire spécifique des quantités de chaque vache, un effet aléatoire de la vache sur l’ordonnée à l’origine et dans le temps a été introduit.

b. Résultats et discussion

(i) Les populations d’E. coli sont multiclonales et dominées par les groupes phylogénétiques A et B1

Trois cent dix-neuf souches ont été isolées à partir de 98 échantillons. Les groupes phylogénétiques les plus fréquents étaient A et B1 (respectivement 48,9% [43,5 ; 54,4]IC95% et 37,6% [32,5 ; 43,1]IC95% des isolats). Parmi les 319 souches d’E. coli, nous avons distingué 32 clones. Sept, huit, neuf et onze clones ont été détectés chez chacune des vaches sur

78 l’ensemble de la période d’échantillonnage. Aux 2ème, 15ème et 25ème jours, nous avons constaté que plusieurs clones cohabitaient au sein de chaque vache, et dont l’un était dominant, c’est-à-dire représentant plus de 50% des isolats de l’échantillon dans la plupart des cas.

(ii) La composition des populations dépend de l’hôte mais l’expression de leur dynamique temporelle est similaire

Seuls trois clones étaient partagés par deux vaches et aucun n’était partagé par trois ou quatre vaches. Par ailleurs, quelle que soit la vache considérée, aucun clone dominant aux 2ème, 15ème et 25ème jours n’a été trouvé dominant sur l’ensemble de ces trois jours.

(iii) Les clones résistants aux antibiotiques sont rares et sous-dominants

Aucun des clones isolés sur milieu sans antibiotique ne présentait de résistances aux molécules testées. Des résistances à la tétracycline, aux pénicillines, et au triméthoprime ont été observées chez trois clones ayant poussé sur milieu contenant des antibiotiques. Ces clones ont été isolés chez deux vaches. Les gènes de résistance identifiés étaient tet(A), et

tet(B) pour la tétracycline, blaTEM pour les pénicillines et dfrA14 et dfrA17 pour le triméthoprime. Leur isolement s’est fait de façon intermittente et toujours à des niveaux faibles (de l’ordre de 100 à 200 UFC/g). Deux des clones ont été isolés plusieurs fois, l’un trois fois sur une période de six jours, et l’autre trois fois sur une période de 13 jours.

L’absence de résistance chez les clones dominants et sous-dominants, la présence de clones résistants aux antibiotiques en faible nombre, à des niveaux faibles, et sur des périodes bien inférieures à la période d’échantillonnage illustrent la faible valeur sélective des clones résistants, cohérent avec l’absence de traitement antibiotique chez ces vaches et plus largement dans le troupeau.

(iv) Les clones producteurs de toxines de Shiga sont répandus et capables de persister plusieurs semaines à bas niveaux

Les gènes stx1 et stx2 ont été retrouvés chez cinq clones ayant poussé sur milieu ne contenant pas d’antibiotiques. Aucun ne présentait le gène eae et aucun des sérotypes classiques d’E. coli entérohémorragiques n’a été retrouvé. Toutes les vaches étaient porteuses d’au moins un clone producteur de toxines de Shiga. Ces clones ont été isolés de façon

79 intermittente sur des périodes allant d’un à vingt-quatre jours, et l’un d’eux était présent chez deux vaches le même jour.

Bien que rarement isolés et excrétés à des niveaux faibles, les clones producteurs de toxines Shiga étaient présents chez toutes les vaches et certains étaient capables de persister sur plusieurs semaines.

(v) La taille des populations d’E. coli est stable au cours du temps

Les quantités d’E. coli étaient différentes entre les vaches, avec une moyenne sur l’ensemble de la période allant de 102,6 UFC/g pour la vache ayant la charge la plus faible, à 104,6 UFC/g pour celle ayant la plus forte charge.

Le meilleur modèle décrivant les quantités observées d’E. coli ne comportait pas d’effet significatif du temps. Le seul effet retenu dans le modèle final était le nombre de cycles de congélations/décongélations, associé à une diminution significative de la quantité d’E. coli. Dans ce modèle, la quantité d’E. coli était estimée à 103,84 UFC/g [3,06 ; 4,62]

IC95%. La variabilité observée entre les comptes d’E. coli était due principalement aux variations inter- individuelles.

c. Conclusion

Les résultats de ce travail ont permis dans un premier temps de confirmer qu’à un jour donné, les populations commensales d’E. coli de vaches sont des populations constituées de plusieurs clones appartenant principalement aux groupes phylogénétiques A et B1, avec un ou deux clones dominants. Dans un second temps, ils ont permis de montrer que la quantité d’E. coli chez le bovin adulte était constante d’un jour à l’autre en l’absence de perturbations du régime alimentaire ou de traitements antibiotiques. La diversité clonale de ces populations chez les vaches était spécifique de leur hôte, malgré certains traits communs dans leur dynamique et d’autres propres à chaque vache. On observe une succession de clones dominants au fil des jours, ce qui suggère des changements rapides dans les relations de dominance au sein de la flore. Ceci pourrait expliquer les profils individuels uniques et très dynamiques de ces populations bactériennes. Nous avons observé un portage intermittent et à bas niveaux des clones d’E. coli producteurs de toxines de Shiga ou résistants aux antibiotiques. Les fluctuations globales associées à la faible valeur sélective de ces clones d’intérêt chez des bovins d’un même troupeau pourraient diminuer la sensibilité des études

80 dont le but est la recherche d’associations épidémiologiques entre le portage de ces clones et certains facteurs environnementaux ou caractéristiques de l’hôte.

L’ensemble de ce travail a fait l’objet d’une publication dans Applied and Environmental

Microbiology en 2017.

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