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Effets indésirables des antibiotiques sur le microbiote fécal

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II. Perturbations des communautés bactériennes fécales : le rôle des antibiotiques

2. Effets indésirables des antibiotiques sur le microbiote fécal

L’émergence de bactéries pathogènes résistantes aux molécules antibiotiques suit de peu leur introduction sur le marché. L’histoire de la streptomycine en est un bon exemple. Découverte en 1943, mise sur le marché en 1946, on décrit des résistances chez

Mycobacterium tuberculosis dès 1948 (110). L’augmentation de la production industrielle de

molécules antibiotiques au cours de la seconde moitié du XXème siècle, et l’élargissement de leur spectre d’hôtes aux animaux domestiques, ont été suivis d’une croissance de la proportion de bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques, et ce pour de nombreuses espèces bactériennes (111). Dès lors, il paraît évident, à première vue, que l’émergence de bactéries à la fois pathogènes et résistantes résulte de la sélection de mutants résistants au niveau d’un foyer infectieux, suite à la pression exercée par les molécules antibiotiques délivrées sur le site (112).

A côté de cette sélection directe au foyer infectieux, connue depuis bien longtemps, on a négligé durant des décennies l’ampleur de la pression de sélection que ces traitements exercent sur les microbiotes des individus traités. La résistance aux antibiotiques n’est vue comme un problème majeur de santé publique que depuis la fin du XXème siècle, qui marque la fin de la période prolifique en nouveaux antibiotiques mis sur le marché. Aujourd’hui, on comprend mieux le lien entre un traitement antibiotique et la sélection de souches résistantes à distance du site d’infection, où on attend qu’il exerce son activité. Grâce à l’avènement des méthodes de séquençage de nouvelle génération, l’étude de la dissémination de mécanismes de résistance au niveau d’un métagénome, c’est-à-dire l’ensemble des gènes présents dans une biocénose14, tel que le microbiote intestinal est devenu possible.

Le microbiote intestinal d’un individu peut être mis en contact direct avec un antibiotique de plusieurs manières. La voie la plus évidente est la voie orale, dans le cas d’infections localisées dans le tube digestif, ou pour la commodité d’administration. L’effet sur le microbiote dépend des propriétés pharmacocinétiques des molécules. Dans le cas d’une administration orale, une fraction de la dose non absorbée peut atteindre les communautés

49 microbiennes locales. Lors d’une administration parentérale, une fraction de la dose est éliminée par voie biliaire, possiblement sous une forme encore active, que ce soit sous la forme de la molécule mère ou de métabolites. Des molécules antibiotiques peuvent donc se retrouver à des faibles doses et de manière prolongée au contact des communautés microbiennes digestives, exerçant alors une pression de sélection non contrôlée sur ces communautés.

Le microbiote intestinal est constitué d’une communauté bactérienne dense et riche en taxa bactériens. On estime à environ 1010 à 1011 le nombre de cellules bactériennes contenues dans un gramme de matière fécale chez l’homme et l’animal. On suppose que l’ensemble des génomes des bactéries abrite un réservoir de gènes de résistance vaste et varié. Ainsi, la pression de sélection qu’exerce la fraction d’antibiotiques arrivant au niveau du tube digestif favorise les bactéries échappant à son mécanisme d’action et entraîne un effondrement des populations sensibles. De plus, cette densité phénoménale de bactéries dans un environnement confiné favorise les contacts directs entre cellules bactériennes, multipliant ainsi les possibilités d’échanges horizontaux de matériel génétique conférant une résistance (113). Cette dissémination de matériel génétique de résistance au sein du microbiote se fait principalement par transfert de plasmides15 (114).

Dès lors, l’acquisition de ces gènes de résistance par des bactéries pathogènes peut avoir lieu au sein de l’écosystème digestif de l’individu traité. Cette transmission au sein du tube digestif a été mise en évidence dès 1955, lors d’une épidémie de Shigellose au Japon. Akiba et ses collègues se sont rendu compte que les souches de Shigella dysenteriae responsables de la maladie et initialement sensibles étaient devenues résistantes à quatre familles d’antibiotiques au cours de l’épidémie (115). Ils font le rapprochement avec l’isolement de souches d’E. coli multi-résistantes dans les matières fécales de personnes travaillant dans des usines produisant de la tétracycline. Akiba a alors émis l’hypothèse que les souches d’E. coli multi-résistantes colonisant le tube digestif des humains pouvaient transférer leur résistance aux Shigelles quand elles coexistaient dans le tube digestif. Cette hypothèse a d’abord été confirmée par des mélanges de souches in vitro. Par la suite, Akiba a observé chez six patients, qui excrétaient dans leurs selles des E. coli antibiorésistants et des Shigella sensibles avant

15 Molécule d’ADN circulaire porteuse d’un ensemble de gènes et différente du chromosome. Un plasmide n’est

50 traitement, l’apparition de résistances chez Shigella quelques jours après l’induction d’un traitement antibiotique (115).

Une étude chez le volontaire sain a montré que lors de l’administration de quinolones, l’émergence de souches d’E. coli résistantes au sein du microbiote fécal était due soit à la présence à des niveaux indétectables de ces souches avant le traitement, soit à l’acquisition exogène de ces bactéries (116). Ainsi, l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques dans le microbiote fécal serait le fait d’un nettoyage de niche par les traitements antibiotiques plutôt que l’apparition de mutations suivie d’une sélection des mutants par les antibiotiques, contrairement à ce qui se passe au niveau d’un foyer infectieux (112).

L’acquisition de gènes de résistance par des bactéries pathogènes peut également se faire en dehors des communautés microbiennes où ces gènes de résistance sont sélectionnés, après dissémination vers d’autres individus ou dans l’environnement proche. Ainsi, un individu peut aussi être infecté par des bactéries pathogènes déjà résistantes, sans avoir été exposé à l’antibiotique concerné. Par exemple, dans un hôpital de San Francisco, il a été observé que le nombre global d’infections du tractus respiratoire à germes résistants au cotrimoxazole avait manifestement augmenté à la suite de l’augmentation de l’utilisation de cette molécule uniquement chez des patients atteints du SIDA en prévention d’infections parasitaires (117).

L’exposition des flores commensales aux molécules antibiotiques est répandue dans les populations humaines et animales, puisqu’à chaque fois qu’un antibiotique est donné, que ce soit en prophylaxie ou en thérapeutique, une sélection au niveau de la flore commensale peut avoir lieu, et ce quel que soit l’état de santé de l’individu. A ceci s’ajoute l’absence de moyens préventifs à disposition du prescripteur, qu’il soit médecin ou vétérinaire, qui permettrait de limiter l’effet des antibiotiques prescrits sur ces flores. Un signe pathognomonique de ce dénuement est l’absence d’études systématiques sur les conséquences des schémas posologiques sur les flores commensales au moment du développement des médicaments antibiotiques. Malheureusement, les études menées à l’échelle des populations et des pays montrent clairement la corrélation forte entre la résistance des entérobactéries commensales et celles des entérobactéries pathogènes (118).

Le transfert de matériel génétique conférant résistance et l’émergence de bactéries pathogènes résistantes n’est pas le seul effet négatif des traitements antibiotiques sur le

51 microbiote d’un individu. De par l’effondrement des populations sensibles, les effets des antibiotiques sur le microbiote peuvent être multiples.

b. Les autres effets collatéraux sur la composition du microbiote fécal

La diminution de la diversité du microbiote fécal est l’un des effets secondaires les plus fréquemment rencontrés dans les études sur les effets d’une antibiothérapie sur le microbiote d’un individu. Cet effet peut se traduire par une diminution du nombre de taxa bactériens présents, ou de la surabondance de quelques genres, voire d’un seul, ou encore d’une combinaison de ces deux phénomènes (119). Cela a été montré chez plusieurs espèces hôtes (21, 120, 121). Une fois le traitement mis en place, la diminution est rapide et peut persister longtemps après l’arrêt du traitement (119). Elle est souvent rapportée avec la diminution de genres particuliers. Par exemple, chez le veau, l’exposition aux antibiotiques aurait un impact négatif sur les genres Clostridium, Collinsella, Dorea, Eubacterium, Faecalibacterium,

Lactobacillus, Papillibacter, Peptostreptococcus, Prevotella, Roseburia et Streptococcus (19,

21, 122). Une autre étude menée chez le veau rapporte un retard de colonisation de bactéries dégradant des fibres dans le microbiote fécal de veaux soumis à une pression antibiotique (22).

Les perturbations induites par les traitements antibiotiques modifient l’homéostasie du microbiote et favorisent la colonisation de l’hôte par certains pathogènes entériques. Il a été montré chez la souris qu’une seule injection de streptomycine en amont d’une infection expérimentale à Salmonella enterica serovar Typhimurium multipliait par 10 les quantités retrouvées dans le côlon (123). La streptomycine induit la production par l’hôte de galactarate et de glucarate, qu’est capable de métaboliser Salmonella enterica (123). En induisant la production d’un substrat métabolisable par Salmonella enterica, le traitement à la streptomycine lui confère un avantage compétitif favorisant son expansion au sein du tube digestif. En supprimant certaines espèces commensales, les traitements antibiotiques peuvent augmenter la sensibilité de l’hôte à une infection par Clostridium difficile, comme par exemple la suppression de Clostridium scindens, capable de produire des molécules inhibant

C. difficile à partir des sels biliaires (124). Il a également été montré que l’association entre les

genres Coprobacillus, Akkermansia et Blautia, mise à mal lors d’un traitement à la clindamycine, protégeait de l’infection à C. difficile (41).

52 Les antibiotiques ont également un effet sur le phageome fécal. Le phageome fécal est l’ensemble des phages contenus dans les fèces d’un individu, et sont très nombreux dans le microbiote fécal. Ils peuvent apporter aux cellules qu’ils infectent des gènes leur conférant un avantage compétitif, en échange de leur propre survie et propagation dans le microbiote. Ainsi, il est probable que les phages jouent un rôle important dans l’adaptation des flores commensales à des stress environnementaux, tels que les antibiotiques. Une étude menée chez la souris a montré qu’après un traitement antibiotique donné par voie orale, le phageome s’enrichissait en gènes codant pour des enzymes impliquées dans le métabolisme de carbohydrates, comme par exemple l’amidon, la cellulose, et le lactose (125). Une autre étude a montré une augmentation du nombre de gènes codant pour une intégrase16 dans le phageome fécal de porcs traités par voie orale, ce qui suggère que les antibiotiques induisent l’intégration des prophages au sein des génomes bactériens de la flore (125, 126). Dans la mesure où un grand nombre de bactéries commensales possèdent un spectre d’enzymes métaboliques spécifique, l’acquisition de gènes augmentant leurs sources de carbohydrates depuis le phageome pourrait conférer un avantage sélectif et modifier les relations de compétition pour les ressources au sein de l’écosystème intestinal.

Le caractère à la fois commensal et pathogène d’E. coli, associé à sa grande plasticité génomique en font une espèce centrale dans l’émergence de la résistance aux antibiotiques au sein des communautés bactériennes digestives.

16 Protéine dont le gène est codé par un virus et dont l’expression permet l’intégration du génome viral à celui

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3. Effets indésirables des antibiotiques sur les populations

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