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A fin que notre analyse de la prononciation des voyelles italiennes par des étudiants marocains soit valable, nous avons décidé de combiner les deux interprétations des données: qualitative et quantitative.

Pendant l’analyse, nous avons remarqué que toutes les erreurs de prononciation repérées sont attribuables à des difficultés phonologiques, dues à une absence de distinction entre les couples vocaliques /e/-/i/ et /o/-/u/. Les résultats obtenus révèlent que les deux langues qui interfèrent sur la prononciation, lorsqu’un étudiant réalise une production spontanée, sont le français et l'arabe.

L'interférence de la langue française est moins importante et elle se produit uniquement dans le cas de deux mots qui ont le même aspect graphique mais sans aucun changement de sens. Etant la langue maternelle de tous les étudiants, l'arabe est de loin la langue qui influe le plus sur la prononciation des voyelles italiennes.

Comment se produit l'interférence de l'arabe? Cette question peut exciter la curiosité du lecteur. La réponse classique que nous trouvons dans divers manuels de didactique de l'italien pour les apprenants d'origine arabe, est toujours la même: les arabophones confondent les couples vocalique de la langue italienne /e/-/i/ et /o/-/u/ car l'arabe a seulement trois voyelles /i, a, u/.

Selon les conclusions de notre étude, cette réponse n’est pas convaincante. En effet, nos résultats concernant le système vocalique arabe montrent que les trois phonèmes vocaliques de ce dernier correspondent à six vocoïdes fonctionnelles. Par conséquent les arabophones peuvent prononcer les voyelles italiennes. Mais

nous pouvons nous demander, si c’est le cas, pourquoi ils continuent à les

confondre?

Nous pouvons répondre à cette question en analysant le comportement des voyelles et des consonnes de la langue arabe et du dialecte marocain. Les deux langues révèlent qu’elles se caractérisent par une deuxième articulation dite emphase qui modifie le timbre de la consonne qui, à son tour, affecte le timbre de la voyelle qui l’entoure. Cela veut dire qu’au contact avec une consonne emphatique, le timbre des voyelles changent: le /u/ il est articulé comme [o] e le

dépendant en partie de la consonne qui la précède ou qui la suit, à la différence de la langue italienne dans laquelle l'articulation des voyelles est plus indépendante du contexte consonantique.

En retournant à l'analyse des productions orales nous avons trouvé 98 types d'erreurs de prononciation réparties entre trois groupes, dont 6 dues à

l'interférence de la langue française, tandis que 92 sont dues à l'interférence de

l’arabe.

Le plus grand nombre d'erreurs commis a été constaté chez les étudiants de première année (51 erreurs de prononciation) alors qu’il est moins important dans le cas de ceux en deuxième année (24 erreurs de prononciation). Les étudiants de troisième année ont, cependant, commis le moins d'erreurs de prononciation (23 erreurs de prononciation). Ce résultat peut être expliqué par le fait que ces derniers ont effectué plusieurs années d'études de plus que ceux de la seconde et de la première année. Dans tous les cas, le nombre d'erreurs diminue progressivement de la première à la troisième année et de manière évidente à partir de la première à la deuxième année grâce à l’introduction de la linguistique italienne pendant cette année.

Globalement, il a été enregistré pendant les trois années d'apprentissage de la langue italienne une diminution de la quantité d'erreurs, et les étudiants ont confirmé que leur niveau s’améliore au fur et à mesure de leur progression dans l'apprentissage.

La conclusion que nous avons tirée de cette analyse nous confirme que le principal type d’erreur de prononciation due à l'interférence de la langue

maternelle est l’échange vocalique entre /e-i/ et /o-u/ qui entraîne un changement de sens. Toutes les voyelles mal produites ont été analysées profondément sans tenir compte du fait qu’elles sont atones ou toniques, ouvertes ou fermées. Nous avons décidé de négliger les deux derniers aspects pour la simple raison que, très souvent, les natif italiens eux-mêmes ne les distinguent pas. C’est pour cela que nous avons décidé de nous concentrer uniquement sur ce qui fait la différence entre les natifs italiens et les arabophones: l'échange de la voyelle /i/ avec /e/ et /u/ avec /o/ et vice-versa.

Dans ce résumé nous nous limitons à la présentation de quelques exemples uniquement dans le but de montrer comment les étudiants marocains transfèrent les habitudes articulatoires de l’arabe à l’italien. Parmi les erreur repérées,

quelques-unes sont dues à l’emphase présente en arabe (comme par exemple le mot “affitto” (location) qui a été réalisé trois fois [af'fetto] (affection), tandis que “affetto” a été réalisé deux fois [af'fitto]). La consonne italienne /t/ quand elle est suivie d’une voyelle postérieure médiane /o/ correspond en arabe à une consonne

emphatique /tˤ/ qui:

Fait partie des véritables emphatiques qui n’ont besoin d’aucun contexte

emphatisant pour exister. Elle a un double point d’articulation: dental (mais pas

alvéolaire) et vélaire; elle a un pouvoir emphatisant sur les voyelles ou consonnes environnantes. L’existence de ce /ṭ/ interdit à /t/ d’être emphatisable, sous peine

de se confondre avec lui ” (Caubet 1993, p. 8).

L’emphase est partie du coté droit pour étendre son effet sut tout le mot en emphatisant la voyelle /i/ qui devient [e].

Un phénomène notable a été constatée concernant la quantité d'erreurs commises par des étudiants dans les mots contenant une voyelle /e/ précédés de la consonne /l/ comme dans le mot “leone” (lion) dans lequel la voyelle /e/ a été fait réaliser [i]. Par contre le mot “Lione”a été bien réalisé par tous les étudiants.

Mais comment peut-on expliquer ce résultat? Pour répondre à cette question, nous allons voir comment la consonne /l/ se comporte dans la langue arabe. Les grammairiens arabes considèrent /l/, que ce soit en arabe classique ou en arabe marocain, comme une consonne non emphatique (muraqqaqa) quand elle est suivie par la voyelle kasra (/i/ ou /e/). Même la recherche menée par Gouma (2013) a montré qu’en arabe la consonne /l/ suivie par kasra se prononce toujours sans emphase. Cela confirme que les locuteurs arabophones transmettent les habitudes articulatoires de /l/ de leur langue maternelle à celle de l'italien sans se préoccuper de savoir si elle est suivie par /i/ ou /e/. Nous sommes convaincu que c’est pour cette raison que les étudiants arabophones prononcent la syllabe /le/ comme [li].

Durant l’analyse nous avons remarqué que dans la plupart des mots contenant la consonne /r/, précédée ou suivie d'une voyelle postérieure, la voyelle /u/ se transforme en [o] par l’effet de la consonne /r/ qui a un caractère emphatique. Ghazali (1977) suggère l'existence en arabe d'un /r/ emphatique qui est conditionné par le contact avec une voyelle postérieure (/u/ ou /o/) ou basse /a/.

C’est pour cette raison que tous les étudiants ont prononcé “russo” (russe) comme

['rosso] (rouge), “ruba” (il/elle vole) comme ['rƆ:ba] (chose) etc.58

Dans toutes les erreurs repérées nous avons remarqué que les étudiants réalisent les consonnes italiennes en fonction des caractéristiques de celles de l’arabe (LM) qui, à leur tour, affectent le timbre des voyelles adjacentes. Nous avons supposé que la vraie cause de toutes ces erreurs est due à des modalités emphatiques présentes dans la langue maternelle.

Pour valider notre hypothèse, nous avons décidé de confronter les étudiants à deux nouveaux tests appelés respectivement fréquence des mot et économie articulatoire59: l’objectif du premier est de savoir si la prononciation des mots est reliée à la fréquence des mots ou pas; le seconde, est utilisé pour vérifier si les apprenants prononcent les syllabes des mots italiens en utilisant les mêmes gestes articulatoires qui sont très souvent utilisés dans l’articulation des mots de l' arabe. Par exemple, dans le mot “leone” (léon) qui est plus fréquent que le mot “Lione” (Lyon), la voyelle /e/ a été prononcée [i]. Par contre, dans “Lione” la prononciation de la voyelle /i/ n’a pas été changée. Donc, les deux mots ont été prononcés par tous les dix-huit étudiants avec la même voyelle /i/. Ce résultat suggère que les mêmes gestes articulatoires employés dans la réalisation de la consonne /l/ en arabe ont été utilisées dans la production de celle de la langue italienne.

Puis nous avons supposé que les deux mots “Lione” (Lyon) et “leone” (Leon) se référent à la même réalité; nous avons demandé aux étudiants de choisir le mot qui leur semble plus confortable à prononcer sans utiliser aucun effort articulatoire comme s’ils parlaient en arabe marocain. Ce test nous a fourni des résultats surprenants: en effet, tous les dix-huit étudiants sondés ont préféré la prononciation de [lione] (Lyon) à celle de [leone] (lion). Pour ces derniers, il est plus confortable de prononcer [li] non emphatique que [le] emphatique, parce qu’en arabe la consonne /l/ suivie par kasra (/i/ ou /e/) est toujours prononcée sans emphase. Ce test a été effectué sur tous les mots formant des paires minimales. Donc, le mot qui a le plus grand nombre de réalisations incorrectes coïncide avec la prononciation préférée par les mêmes étudiants. Cela signifie que le principe

58 Pour tester notre réponse nous avons analysé des spectrogrammes relatifs aux mots de l’arabe marocain contenant les mêmes syllabes, dans lesquels nous avons obtenus presque les mêmes valeurs des Formants 1 et 2.

qui gouverne toute l'activité de phonation est celui de l' économie articulatoire ou effort minimal (Martinet 1955) qui conduit à des productions souvent inappropriés donnant lieu à des erreurs phonologiques.

En conclusion, ce travail confirme que ce qui influe sur la prononciation des voyelles italiennes sont les modalités emphatiques présentes en arabe qui

modifient le timbre de la consonne qui, a son tour, affecte le timbre de la voyelle adjacente.

9.

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