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CHAPITRE 4 : ESTIMATION DE LA RIGIDITE AXIALE A L’ECHELLE

II. M ICROSCOPIE A MODULATION DE FORCE

II.2. Résultats – discussion

Les courbes d'amplitude de résonance en fonction de la fréquence ont été enregistrées en 12 points de la paroi d'une fibre (4 points sur la couche G, 4 sur la S2, 2 sur la S1 et 2 sur la lamelle mitoyenne). Les pics de résonances sont présentés sur la figure 99.

550 600 650 700 750 -2 -1.9 -1.8 -1.7 -1.6 -1.5 -1.4 -1.3 -1.2 -1.1 -1 Frequence (kHz) Log10(amplitude) S2 ~ 60 GPa G ~ 90 GPa S1 ~ 50 GPa LM ~ 15 GPa 690 620 LM S2 S1 G

figure 99 : spectres de résonance sur les di fférentes couches de la paroi cellulaire

On remarque une bonne homogénéité des fréquences de résonance au sein d'une couche d'une cellule avec une dérive vers des valeurs plus hautes de fréquence quand on part des couches externes vers les couches internes (LM vers G). Ceci donne dans un premier temps une information qualitative sur les rigidités : la couche G étant la plus rigide et la lamelle mitoyenne la moins rigide avec entre les deux, la couche S2 plus rigide que la couche S1. Ceci est conforme à ce que l'on attend vu la proportion de cellulose et de l'angle des microfibrilles dans ces différentes couches.

Connaissant le rayon de courbure de la pointe et les caractéristiques géométriques et mécaniques du levier, on peut faire correspondre à une fréquence de résonance une rigidité pour la couche observée si l'on connaît la force appliquée.

La force appliquée est la somme de trois composantes ; deux termes constants : la force de flexion du levier (puisqu'on travaille à "flexion constante" non nulle) et la force d'adhésion (capillarité) et un terme sinusoïdal : la force électrostatique issue de la tension sinusoïdale appliquée au porte-échantillon.

La force de capillarité est généralement supposée grande devant la force de flexion du levier. Elle est approximativement de l'ordre de grandeur du rayon de courbure de la pointe qu'on suppose de 20 nm pendant l'expérience.

La force électrostatique dépend de l'épaisseur de l'échantillon (que nous avons mesuré par focalisation optique égale à 540 µm) et de la constante diélectrique du matériau traversé.

Plusieurs études ont porté sur les propriétés diélectriques du bois, nous retiendrons notamment les travaux de Norimoto (Norimoto 1976 ; Norimoto et al. 1978) et la synthèse de Torgovnicov (Torgovnikov 1993) dans lesquelles nous retrouvons les résultats suivants :

Constantes diélectriques de la cellulose (//): εr = 6,4 à 1000 kHz et 6,8 à 100 kHz. Constantes diélectriques de la lignine εr = 3,96 à 1000 kHz et 4,06 à 100 kHz.

Norimoto en déduit par un modèle, la constante diélectrique de la paroi cellulaire (S2) parallèle et perpendiculaire aux microfibrilles (εr// = 5.3 et εr- = 4,8) et donne pour un angle des microfibrilles de 13° une constante diélectrique pour la matière ligneuse de 5,2 suivant L et 4,7 suivant R ou T.

Ces résultats nous permettent de donner de bons ordres de grandeur des constantes diélectriques autour de la fréquence de travail (650 kHz) suivant L dans les différentes couches : G : εr = 6,4 ; S2 : εr = 5,2 ; S1 : εr = 4,6 ; LM : εr = 4,0. dans les lumens, la constante diélectrique de l'air est εr = 1,0.

La force étant appliquée sur toute la longueur du levier (100 µm), il passe au-dessus de 8 à 10 cellules. On ne s'intéresse donc pas à la constante diélectrique de telle ou telle couche mais à la constante diélectrique moyenne ou macroscopique de l'échantillon.

Les éléments étant en parallèle, on peut faire la moyenne pondérée des constantes diélectriques (Norimoto et al. 1978) :

εr macro = xGεrG + xS2εrS2 + xS1εrS1 + xS1εrS1+ xlumenεr air

avec xG = 0,47 ; xS2 = 0,34 ; xS1 =0,14 ; xLM = 0,05 et xlumen = 0,01 (calculé d'après une image de la zone observée).

Ainsi, εr macro = 5,6.

εr 6,4 4,0

figure 100 : A droite : dessin à l'échelle du levier sur une portion d'échantillon. A gauche : zoom sur la portion entouré avec en dessous une schématisation des constantes diélectriques des différentes couches. Le calcul de la force électrostatique (de l'ordre de 0,1 nN) montre que celle-ci est finalement négligeable devant les forces statiques.

Dans ces conditions, le calcul réalisé nous donne les modules de rigidité des différentes couches : LM ~ 15 GPa ; S1 ~ 50 GPa ; S2 ~ 60 GPa ; G ~ 90 GPa. Même si l'on attendait des valeurs plus faibles pour S1 (20 GPa) et plus fortes pour G (cellulose cristalline ~ 134 GPa et cellulose amorphe ~ 110 GPa), ces résultats sont dans le bon ordre de grandeur de ce qui est attendu d'après la modélisation (Harrington et al. 1998 ; Watanabe et Norimoto 2000).

Ces valeurs sont tout de même à considérer avec précaution, il semblerait en effet, d'après l'étude des courbes de force à l'approche de la pointe sur l'échantillon, que dans le cas du bois, les forces de capillarité soient faibles (probablement lié à la nature très hydrophile de la paroi). Dans ce cas, la force de flexion ne serrait plus négligeable.

Ces résultats n'ont pas pu être confirmé par des mesures sur des échantillons étalons car nous sommes encore aujourd'hui à la recherche de matériaux homogènes pour lesquels les propriétés nanoscopiques seraient comparables aux propriétés mesurées macroscopiquement. Ces matériaux doivent être à la fois, homogène (excluant la plupart des polymères), diélectiques (excluant les métaux) et de rigidités comparables à celle de la matière ligneuse et notamment de rigidité inférieure à la rigidité de la pointe (Silicium). Des collaborations sont en cours avec le Laboratoire des Verres de l'Université Montpellier 2.

Après obtention des spectres de résonance des différentes couches (figure 99), deux fréquences ont été choisies pour faire des images de l'amplitude de vibration du levier (le principe d'acquisition des images est schématisé sur la figure 101). Afin d'optimiser les contrastes, la première fréquence choisie correspond à la fréquence de résonance de la couche de plus faible rigidité (620 kHz) (figure 102). Sur cette image, les zones les moins rigides sont plus sombres et les zones plus rigides sont plus claires. Une seconde image est réalisée à la fréquence de résonance de la couche la plus rigide (690 kHz) (figure 103). Les contrastes sont alors inversés par rapport à la première image.

Ces images montrent un fort contraste entre les couches de la paroi cellulaire. Chaque couche est donc caractérisée par une rigidité propre. On peut noter cependant que sur deux cellules adjacentes, les modules d'une même couche peuvent être très différents. Ainsi, sur les deux images, on trouve une rigidité comparable entre la couche S2 de la cellule du bas et la couche S1 de la cellule du haut. De même, la couche S2 de la cellule du haut semble être de rigidité plus élevée que la S2 de la cellule du bas. Il est important de préciser que les spectres en fréquence ayant permis une quantification des rigidités ont tous été réalisés sur la ligne horizontale en pointillé représentée sur la figure 102.

Amplitude Niveau de gris (NG) Fréquence (kHz) Zone 1 Zone 2 Zone 3 170 100 50 Zone 1 NG=50 Zone 2 NG=100 Zone 3 NG=170 Image à 700 kHz 625 650 675 700 Zone 1 NG=130 Zone 2 NG=100 Zone 3 NG=50 Image à 600 kHz 600

LM S1 S2

G

figure 102 : Image topographique (300 nm en z) et image d'élasticité des couches de la paroi cellulaire de chêne à 620 kHz (barre d'échelle = 1 µm)

LM G

S1 S2

G

figure 103 : Image topographique (300 nm en z) et image d'élasticité des couches de la paroi cellulaire de chêne à 690 kHz (barre d'échelle = 1 µm)

II.3. Conclusion

Cette étude permet de montrer la possibilité d'utiliser la microscopie à modulation de force pour étudier les propriétés physicomécaniques à l'échelle des couches de la paroi cellulaire. Néanmoins, la quantification des paramètres du comportement mécanique repose encore sur des hypothèses simplificatrices (contact de Hertz sur matériau isotrope homogène) dont les limites devront être analysées.

Une modélisation par élément fini de ce contact permettra dans un premier temps de valider la méthode ou tout au moins de mettre en évidence les limites de l'outil. Dans un futur proche, il est aussi prévu une modélisation plus spécifique au matériau bois prenant en compte la structure en couches de la cellule. En effet, autant sur les couches épaisses telles que les couches G ou S2, on peut estimer que les dimensions de la surface de contact (~ 40 nm) sont petites devant les dimensions de la zone observée, autant pour la lamelle mitoyenne ou dans certains cas la couche S1, il est important de pouvoir estimer l'effet de bord lié à l'interaction avec les couches adjacentes. Par rapport à l'anisotropie des couches, il est important de préciser que nous avons utilisé pour la détermination quantitative des modules un coefficient de Poisson égal à 0,3. Or, nous savons que si cette valeur est généralement un bon ordre de grandeur pour un matériau isotrope, elle peut être très différente dans un matériau orthotrope. Enfin, peut être faudra-t-il aussi se pencher, à une échelle plus fine, sur l'interaction de la pointe sur une surface composite en regardant l'effet d'une sollicitation locale sur le réseau microfibrillaire orienté.