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CHAPITRE 4. OPTIMISATION MULTICRITÈRES DE LA CONCEPTION D’UNE

5.3 Résultats complémentaires

5.3.1 Relation entre la surestimation des émissions inévitables et les pertes

potentielles qui en découlent

Une conclusion importante de la section précédente est qu’il est important de départager les émissions d’arrière-plan évitables et inévitables, dans un contexte d’optimisation d’un procédé, si on veut les intégrer tout en minimisant le risque d’empirer la prise de décisions. En effet, lorsque 50 % ou plus de ces émissions sont évitables, mais que l’algorithme d’optimisation les considère inévitables, les émissions probables (à l’arrière-plan après internalisation) deviennent alors autant surestimées avec l’ACV qu’elles auraient été sous-estimées sans l’ACV, ce qui annule tout gain de précision apporté par l’ACV. On se retrouve alors avec une situation, sur la Fig.5.9, où le triangle gris devient plus grand que le triangle noir. Il existe alors une large plage de niveaux de taxe où la décision prise avec ACV (ne pas capturer le CO2, afin d’éviter des émissions en arrière-plan qui n’auraient même pas eu lieu) est moins bonne que la décision prise sans ACV (capturer le CO2). Cette mauvaise décision engendre une perte économique et environnementale importante, vu qu’il faut alors payer une taxe sur de grandes quantités de CO2 non capturé.

Cet exemple de la Fig.5.9 laisse entrevoir l’existence d’une relation entre le degré de sous- estimation ou de surestimation des émissions inévitables en arrière-plan, et le gain ou la perte économique qu’on peut attendre en introduisant les émissions d’arrière-plan dans le calcul des fonctions-objectifs à optimiser. Cette relation est illustrée à la Fig.5.12, pour le cas simplifié d’une optimisation avec un seul objectif, soit le coût incluant des taxes sur le carbone, et une seule variable de décision, soit le degré d’investissement dans l’efficacité énergétique. De plus, la relation entre l’investissement et la consommation énergétique est supposée quadratique aux environs de l’optimum. En l’absence de discontinuité, cette hypothèse est toujours valable pour les petites variations puisqu’il s’agit simplement des premiers termes d’une série de Taylor. La courbe pleine montre alors le coût lorsque la quantité d’émissions réellement taxées est correctement estimée, et chaque courbe pointillée montre le coût apparent lorsque la modélisation utilise une quantité différente d’émissions en arrière-plan, pour l’intrant énergétique.

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Figure 5.12 : Modèle du bénéfice ou de la perte reliée à la surestimation ou la sous-estimation des émissions en arrière-plan

Relativement à la courbe pleine, chaque courbe pointillée est inclinée vers la gauche ou vers la droite, selon que les taxes sur l’intrant énergétique sont sous-estimées ou surestimées. (L’ajout d’une composante linéaire à une courbe quadratique donne l’effet d’une simple translation dont l’amplitude est proportionnelle au niveau de taxe.) La position du point de coût apparemment minimal est indiquée par un carré blanc dans le cas où les émissions en arrière-plan sont

négligées, par un carré noir dans le cas où elles sont correctement estimées, et par un cercle blanc dans le cas où elles sont surestimées de 150 %, ce qui correspond à une situation où 60 % des émissions inventoriées dans une ACV s’avèrent facilement évitables. Ces points sont rapportés sur la courbe pleine, c’est-à-dire en incluant les vraies taxes. On voit alors apparaître une relation linéaire entre l’erreur d’estimation des émissions en arrière-plan et l’erreur de décision (position sur l’axe horizontal), elle-même proportionnelle à la consommation d’énergie.

Sur la Fig.5.12, le bénéfice réalisable par l’apport de l’ACV correspond à l’écart vertical entre le carré blanc et le carré noir. De ce bénéfice, 75 % est réalisable lorsque l’ACV estime au moins 50 % de la totalité des émissions, ou à l’inverse lorsqu’au plus 33 % des émissions inventoriées sont facilement évitables (surestimation de 50 %). Le bénéfice est complètement perdu lorsque 50 % des émissions inventoriées sont facilement évitables (surestimation de 100 %). À 60 % évitables (surestimation de 150 %), la perte nette revient à 125 % du bénéfice. Cette relation entre l’erreur d’estimation et le bénéfice, elle-même quadratique comme on peut le voir sur la Fig.5.12, cause donc une amplification rapide des pertes potentielles lorsque la problématique des émissions évitables en arrière-plan est mal prise en compte.

La Fig.5.12 est généralisable à plusieurs variables de décision, vu que la série de Taylor est elle- même généralisable. Ainsi, le gradient du bénéfice après taxes dans l’espace de décision étant nul aux environs de l’optimum, il y aura encore une relation quadratique entre l’estimation des émissions en arrière-plan et le bénéfice réalisable par l’apport de l’ACV, tant que la contribution des taxes sur les émissions en arrière-plan ne représente qu’une petite variation des coûts totaux. La preuve analytique en est laissée aux plus motivés.

L’ajout des composantes d’ordre supérieur à la série de Taylor donnera une amplification encore plus dramatique des pertes potentielles, ce qui justifiera encore davantage de préférer la sous- estimation à la surestimation grâce à la recommandation donnée à la section 5.2.3.1. Ainsi, en considérant plusieurs types d’émissions comme étant évitables par défaut (la Fig.6.5 permet d’identifier lesquels), le surinvestissement dans l’efficacité énergétique peut être évité, de même que d’autres mauvaises décisions coûteuses. L’effort de collecte de données peut alors être dirigé vers la recherche d’émissions inévitables, ou vers l’amélioration du modèle des coûts, selon ce qui représente davantage d’incertitude absolue et donc le plus grand risque de pertes, plutôt que dirigé vers l’inventaire d’émissions dont la fraction évitable est probablement élevée.

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5.3.2 Application au choix du taux de capture

Comme indiqué à la section 5.2.3.3, le coût apparent de capturer 3 % de CO2 additionnel (93 % au lieu de 90 %) peut être supérieur ou inférieur à macCCS (le coût pour capturer les premiers

90 %), selon que les émissions en arrière-plan sont considérées ou non dans le calcul. Cela fournit donc un bon exemple de ce qui est illustré à la Fig.5.12. En effet, la configuration à 93 % peut être considérée intensive en énergie, alors que la configuration à 90 % peut être considérée intensive en capital, car les deux configurations utilisent exactement le même équipement, sauf pour une différence de hauteur d’absorbeur de 17 %. Comme la capture additionnelle se fait alors avec un investissement minime, cela correspond à une utilisation plus efficace du capital.

La Table 5-5, basée sur la nomenclature de la section 5.2, illustre en détails comment on peut arriver à un calcul erroné de macCCS en omettant les émissions en arrière-plan. Huit calculs

différents de macCCS sont illustrés, avec cel et gel divisés en contributions provenant du gaz naturel

et du capital (regroupé), pour chacune des six configurations pouvant entrer dans ce calcul. La contribution de ghandling est considérée sans effet et n’est pas affichée car le choix du taux de

capture n’affecte presque pas la quantité de CO2 à transporter par unité de CO2-équivalent évité. Table 5-5 : Contribution des capitaux et du combustible au coût d’évitement de six configurations __________________________________________________________________________ y1 CCS0 CCS90 CCS93 CCS0 CCS90 CCS93 y2 Unité FNG0 FNG0 FNG0 FNG21 FNG21 FNG21 __________________________________________________________________________ cel $ / MWh 58.80 78.15 78.84 58.96 78.32 79.01 gel,noLCA (Eq.5.3) kg / MWh 360.00 38.92 27.39 360.00 38.92 27.39 gel,LCA (Eq.5.4) kg / MWh 433.68 124.49 113.47 418.23 107.47 96.38 Capital dans cel a $ / MWh 8.80 14.19 14.33 8.80 14.19 14.33

Capital dans gel,LCA kg / MWh 0.760 0.913 0.925 0.760 0.913 0.925

FNG dans cel $ / MWh 46.80 51.55 51.79 46.96 51.72 51.96

FNG dans gel,LCA kg / MWh 72.90 80.30 80.67 57.45 63.28 63.58

Capital/gel,noLCA a $ / ton - 16.79 16.63 - 16.79 16.63

FNG/gel,noLCA $ / ton - 14.79 15.00 - 14.82 15.03

macj,noLCA (Eq.5.8) $ / ton - 60.250 60.246b - 60.299 60.296 macj,LCA (Eq.5.9) $ / ton - 62.567 62.581 - 62.302c 62.312 __________________________________________________________________________ a Basé sur le taux de dépréciation horaire de l’usine NGCC (C

d) ; le  est relatif à la configuration

sans capture correspondante (y1 = CCS0, y2 = y2)

b Valeur la plus basse sans ACV; la capture de 93 % apparait donc préférable par 0,004 $ / ton c Valeur la plus basse avec ACV (= mac

Ainsi, la capture additionnelle de 3 % paraît avantageuse sans ACV puisqu’entre l’économie du capital à amortir et l’achat de combustible additionnel, quelques fractions de cent (¢) sont économisées par tonne d’émissions de CO2 localement évitée. Cependant, ce combustible additionnel est associé à une quantité importante d’émissions en arrière-plan, tel qu’indiqué à la section 5.2.3.3, alors que l’utilisation plus efficace du capital correspond de son côté à des émissions négatives en arrière-plan, mais 25 fois moindres (0.012 kg CO2eq/MWh pour le capital, comparé à 0.37 kg CO2eq/MWh pour le gaz naturel, dont 0.07 kg évitables), ce qui n’arrive pas à compenser. On remarque ici que le chiffre 25 est du même ordre que le carré du ratio entre le ti

de l’intrant énergétique (tFNG) et celui des intrants de capital (tinfra, tSS), selon la Table 5-2.

Ramené sur la base d’une tonne d’émissions de CO2 évitée sur le cycle de vie plutôt que localement, le faible gain se transforme en perte de plus de 1¢ par tonne. L’ACV favorise donc la configuration la plus efficace énergétiquement, soit la capture de 90 %. Toutefois, comme mentionné dans la section 5.2.3.3, le gain net attribuable à l’ACV est beaucoup moins intéressant dans ce cas-ci que dans le cas illustré à la Fig.5.9 (près de 1 $/MWh), alors que d’autres incerti- tudes (sur le prix du gaz, sur le taux d’intérêt, etc.) occupent toujours la même place. On peut donc se demander, pour faire le meilleur choix possible entre la capture de 90 % ou 93 %, s’il ne vaudrait pas mieux consacrer le même effort à la réduction de ces incertitudes plutôt qu’à l’ACV. Cela voudrait dire que l’ACV serait davantage utile pour les grands choix discontinus (capturer le CO2 ou non) que pour les détails incrémentiels de conception comme la hauteur de l’absorbeur. Par contre, d’un point de vue théorique, il est intéressant de vérifier si la présence d’émissions évitables en arrière-plan peut aussi affecter le choix entre la capture de 90 % ou 93 %. Cet effet est sans doute petit, de la même façon que le triangle gris est plus petit que le triangle noir sur la Fig.5.9, vu que la majorité des émissions est inévitable dans ce cas-ci. En observant attentivement la Table 5-5, on remarque que la configuration avec capture de 90 % perd 0,004 $/tonne CO2eq de son avantage sur la configuration avec capture de 93 % lorsqu’on considère les émissions évi- tables [(62,581-62,567)-(62,312-62,302) = 0,004]. Il serait donc possible, en théorie, de montrer qu’une configuration intermédiaire avec capture de 91 % ou 92 % pourrait être avantageuse si on considère les émissions en arrière-plan, mais redevenir désavantageuse si on considère que ces émissions sont en partie évitables. Toutefois, le gain net du meilleur choix risque de ne pas être particulièrement intéressant vu qu’il serait du même ordre (0,004 $/tonne CO2eq).

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CHAPITRE 6. OPTIMISATION DU CYCLE DE VIE DES PROCÉDÉS