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Du point de vue des données cliniques et biologiques, le genre s’avère être la seule covariable associée à la survenue d’un évènement de façon significative : la survie à 5 ans est de 82% pour les femmes contre 33% pour les hommes (p = 0.026). Dans notre population, l’âge, le stade T ou N, ou encore le grade de la tumeur ne sont pas significativement associés. Pour les caractéristiques de texture, le modèle de Cox montre que les paramètres skewness, cluster shade à d=1 et cluster prominence à d = 1, 2 et 5 sont des facteurs pronostics statistiquement significatifs en analyse univariée. Les résultats sont regroupés dans Table 3.1.

Après ajustement sur l’âge, le genre et le grade de la tumeur, seuls les paramètres skewness et cluster shade à d=1 se révèlent associés de façon significative à la survenue d’un évènement. Le c-index du modèle ajusté est de 0.846, (avec un intervalle de confiance à 95% de [0.697 − 0.993] et p < 0.001) pour le skewness, et c-index = 0.851 (95%CI = [0.708−0.994], p < 0.001) pour le cluster shade à d=1.

La survie sans progression est associée aux paramètres dichotomisés suivant : skewness, cluster shade (toutes distances), cluster prominence à d=1 et entropie à d=5 (voir Table 3.2). Des skewness, cluster shade ou cluster prominence (d=1) plus faibles sont liés à une survie

1. Voir section 6.5.1 pour plus de détails. Un indice de 0.5 est caractéristique d’une absence de valeur prédictive tandis qu’à 1.0 la séparation des patients est parfaite.

Table 3.1 – Résultats de l’analyse univariée pour la survie sans évènement avec un modèle de Cox sur les variables cliniques et les variables de texture.

Table 3.2 – Résultats de l’analyse Kaplan-Meier sur le seuil optimal pour chaque paramètre de texture de la tumeur pré-CRT.

sans progression diminuée (p = 0.019, 0.009, et 0.034 respectivement). À l’inverse, c’est une entropie plus élevée qui est associée à un mauvais pronostic.

3.5 Discussion

Ces résultats illustrent l’apport potentiel de l’analyse de texture des IRM avant la CRT pour la prédiction de l’évolution des carcinomes. Nous avons constaté que les skewness et cluster shade (d=1) de la tumeur sont des facteurs indépendants de la survenue d’un évènement ayant une bonne valeur prédictive (c-index > 0.8), même après ajustement des covariables (âge, grade, sexe).

Ahmed et al. [Ahm+13] ont étudié l’apport des paramètres de texture IRM dans la prédiction de la réponse à la chimiothérapie du cancer du sein. Ils ont mis en évidence qu’un cluster shade faible est relié à une invasion des ganglions lymphatiques plus importante et à un pronostic moins favorable. Song et al. [Son+16] ont découvert que les patients ayant un cancer du poumon non à petites cellules sous traitement par inhibiteur de la tyrosine-kinase ont un risque de progression tumorale double lorsque le cluster prominence de la tumeur est bas. De même, Coroller et al. [Cor+15] ont montré qu’à un cluster prominence faible est associé un plus grand nombre de métastases distantes pour l’adénocarcinome pulmonaire. Comme expliqué en section 1.4.2, des cluster shade et prominence bas décrivent des motifs aux niveaux de gris peu représentés. Nous supposons que ces deux paramètres reflètent le désordre d’une architecture intra-tumorale composée de motifs différents, tous révélateurs d’une tumeur agressive : zones de nécrose, de prolifération cellulaire, de néo-angiogenèse importante etc.

Comme d’autres études avant [Cor+15 ; Goh+11 ; Ng+12], nous avons observé qu’une entropie élevée est associée à un pronostic défavorable. L’entropie de l’histogramme lors-qu’elle est forte indique effectivement que la tumeur est globalement hétérogène et donc probablement plus maligne et agressive [Cui+11 ; Gan+10]. Nketiah et al. [Nke+16] ont trouvé que l’entropie (sur T2W) est associée à un score de Gleason2 plus élevé chez les patients atteints de cancer de la prostate. L’hétérogénéité de la tumeur peut révéler des foyers de nécrose provoqués par une vascularisation tumorale insuffisante. Ce phénomène est connu pour entraîner une baisse de la sensibilité de la CRT [Höc+96 ; GRWW17] : la nécrose s’oppose à l’administration intra-tumorale de la chimiothérapie et l’hypoxie diminue la sensibilité aux radiations. L’hétérogénéité de la tumeur est aussi corrélée à son métabolisme du glucose, évalué par TEP-CT [Gan+11].

Actuellement, il est recommandé d’utiliser la même dose de radiations quel que soit le grade de la tumeur. Cependant, puisque les paramètres de texture IRM semblent à même d’identifier les patients ayant un risque de progression plus élevé, il devient utile d’adapter le protocole de CRT. Les patients à haut risque pourrait alors bénéficier d’une irradiation à plus forte dose. Ainsi, l’étude de Muirhead et al. [MPH14] suggère qu’une réduction de dose de 5Gy aux premiers stades d’une tumeur réduit son contrôle local à 2 ans de 98% à 95%.

Figure 3.1 – Corrélation entre les paramètres d’une tumeur et sa progression locale diagnostiquée sur TEP-CT. (a) Carcinome du canal anal en IRM T2. Les cartes de texture

montrent une hétérogénéité intra-tumorale avec une section à gauche potentiellement à haut risque de progression d’après (b) le cluster shade faible (d=1), (c) le cluster prominence faible et (d) l’entropie de l’histogramme élevée. (e) La progression sur la section

gauche de la tumeur est confirmée 6 mois après la fin de la CRT : la zone est hautement métabolique (SUVmax = 12.7) sur TEP.

Dans les derniers stades, une augmentation de 5Gy améliore au contraire le contrôle à 2 ans de 50% à 80%.

Une autre façon d’améliorer le contrôle local d’une tumeur sans augmenter l’exposition aux radiations des tissus sains serait d’utiliser l’information de l’hétérogénéité intra-tumorale. C’est le principe du dose-painting : la dose prescrite est appliquée en suivant les caractéris-tiques biologiques de la tumeur [JH05]. L’analyse de la texture à l’IRM nous permet pour cela de calculer des cartes de texture, visibles Fig. 3.1. Ces cartes pourraient être recalées avec un CT-scan de planning de dose afin de définir des volumes cibles pour la radiothérapie [Dif+17 ; Lel+14]. Le dose-painting pourrait alors être utilisé pour intégrer un boost d’irradiation visant les zones de la tumeur les moins sensibles. Des études supplémentaires sont bien sûr indispensables pour évaluer l’utilité des paramètres de texture IRM dans de telles stratégies. Limitations

Des améliorations méthodologiques du traitement des IRM et de l’analyse sont à prévoir. Il serait d’une part nécessaire d’ajouter les corrections de biais N4 et la normalisation par alignement d’histogrammes à notre chaîne de traitement (cf chapitre 2). L’homogénéisation des niveaux de gris des images notamment est susceptible de modifier la valeur voire le rang des descripteurs de texture.

D’autre part, une étude de la corrélation entre les volumes et les caractéristiques de texture est également nécessaire car certaines des VOI délinéés sont de dimensions faibles.

La principale limitation de cette étude vient de la taille très limitée de la cohorte étudiée et du peu d’évènements de progression dénombrés. Ce dernier point est d’ailleurs la raison du re-groupement des progressions locales et à distance, au lieu de réaliser deux analyses distinctes. Des études plus approfondies seraient donc requises pour trouver des caractéristiques plus spécialement associées avec les rechutes locales ou distantes car leur traitement est différent. Ainsi, un patient à haut risque de reprise locale bénéficiera d’une irradiation à plus forte dose, quand un patient à risque de rechute métastatique profitera mieux de la chimiothérapie. Il serait intéressant de compléter ce jeu de données avec des images en provenance d’un autre centre, voire par une étude prospective.

Le manque de données pose également la question du sur-apprentissage dans notre ana-lyse. Ce risque a toutefois été minimisé en utilisant des méthodes bootstrap pour calculer les intervalles de confiance et les p-values. Nos résultats sont également en adéquation avec ceux d’autres études évaluant la texture d’autres types de tumeur pour prédire la survenue d’évènement ou la survie globale.

Enfin, la taille réduite de la cohorte empêche de mener une étude multivariée plus poussée. Bien que d’interprétation directe, l’estimation de Kaplan-Meier oblige à dichotomiser les va-riables et la régression de Cox impose des conditions d’application restrictives. Les méthodes d’apprentissage statistique en revanche sont adaptées à la modélisation de relations inconnues et complexes (non linéaires) entre des covariables nombreuses et une variable cible. Elles feront l’objet de la seconde partie de ce manuscrit.

Deuxième partie

Évaluation et prédiction de l’évolution

clinique

Chapitre 4

De l’analyse à la prédiction avec

l’apprentissage statistique

Sommaire

4.1 Principes et vocabulaire . . . 88