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Comme cela va être vu dans le sous-paragraphe 1, Bibas estime que la clause de découverte ne constitue pas un mécanisme suffisant pour lutter efficacement contre la revente d’œuvres d’art volées. Il défend la suppression pure et simple de la prescription acquisitive pour les conflits mobiles relatifs à la propriété des biens culturels volés. Or, s’il s’agit de la solution la plus simple à la question de la gestion de la prescription, et notamment l’imposition potentielle d’un délai de prescription autre que celui prévu par la loi sous laquelle la possession a lieu, la clause de découverte semble plus raisonnable et moins manichéenne dans le traitement du conflit entre le possesseur et le propriétaire.

418 Bibas, supra note 81, p. 2463 voir note de bas de page no 146.

419 Ibid, p. 2454, voir note de bas de page no 106.

420 Il faut noter que l’Association des Directeurs des Musées d’Art Américains (AAMD) impose aux musées

membres de l’association de consulter les registres recensant les biens culturels volés. Voir : Association of art museum directors, « standards and practice », Report of the AAMD Task Force on the Acquisition of

Archaeological Materials and Ancient Art, partie II-A-1, accessible via https://aamd.org/.

L’AAMD prône également le libre accès et la publicité du résultat des recherches sur la provenance des nouvelles acquisitions (et leur origine incertaine s’il y a lieu) ou encore l’accès à leurs archives. Voir, (Ibid, report of the AAMD Task Force, partie II-C-1 / partie II-D-1). Par ailleurs, chaque nouvelle acquisition d’un musée doit faire aussitôt l’objet d’une publication comprenant une photo et un descriptif de sa provenance afin que cette nouvelle possession soit internationalement connue. (Ibid, report of the AAMD Task Force, partie II-b). Cette pratique lorsqu’elle est véritablement respectée s’avère particulièrement utile pour le bon fonctionnement de la règle puisqu’elle permet de prouver la bonne foi de l’acquéreur, en l’occurrence le musée, et ainsi faire courir le délai de prescription puisque la publication sert également d’élément mesure de la diligence raisonnable du propriétaire.

1. La suspension de la prescription comme rempart à la fragilité du droit de propriété dans le marché de l’art.

La volonté de M. Bibas dans sa démonstration est de plaider pour une suppression du délai de prescription pour les affaires de biens culturels volés. Il justifie cette idée en s’appuyant sur trois arguments principaux :

- L’importance de ne pas vider de son contenu le principe de Common Law selon lequel un titre de propriété volé appartient toujours à son propriétaire. Le voleur de ce titre ne peut transmettre le droit de propriété sur le bien puisqu’il ne lui appartient pas, indépendamment du fait que l’acquéreur soit de bonne foi421. Similairement en droit civil, le droit de propriété est perpétuel, ce qui implique son imprescriptibilité. Ni la perte du bien ni le non-usage n’emportent de conséquences sur la détention de ce droit par le propriétaire. Seule la destruction du bien auquel le droit est rattaché entraîne son extinction422.

- L’application d’un délai de prescription aux affaires de biens culturels volés va à l’encontre de ce principe parce que la propriété sera finalement transférée du propriétaire au possesseur malgré le vol du bien. Ainsi, la revente obtiendra un caractère légal alors que l’acte initial ayant permis cette revente ne l’était pas. Cela favorise les vols d’œuvres d’art par une déresponsabilisation des acquéreurs qui leur permet d’être peu regardants sur la provenance du bien qu’ils achètent423. - Le délai de prescription n’est pas nécessaire dès lors que la signalisation

systématique des vols et les recherches incidentes sur les biens culturels mis en vente sont respectées. Il est vrai que cela ouvre la voie à d’anciennes revendications, qui peuvent s’avérer coûteuses en temps et en argent alors qu’elles ont peu de chances d’aboutir. Mais la suppression du délai de prescription empêchera que les biens culturels volés ne soient dissimulés des années en attendant qu’un individu puisse se prévaloir de la prescription acquisitive. Rappelons à ce sujet que dans certains ordres juridiques, la prescription acquisitive court à partir de la dépossession du propriétaire et non la prise de possession par un tiers, ce qui laisse supposer une tentative de revente plus rapide. On peut alors imaginer que les affaires s’étaleront sur un plus petit nombre d’années. Par ailleurs, il est bien évident que dans le cas des affaires les plus anciennes, la raison l’emportera. Une fois la quasi-totalité des preuves ou des

421 Bibas, supra note 81, p. 2440, voir note de bas de page no 10.

422 Jean-Louis Bergel, Marc Bruschi, Sylvie Cimamonti, sous la direction de Jacques Ghestin, Traité de Droit

civil. Les Biens, 2ème ed., (Paris : L.G.D.J, 2010) p. 113 et 115. Une nuance est à apporter, si le non-usage ou

la perte a eu pour conséquence de créer pour un autre individu une situation de possession du bien qui a duré 30 ans.

témoins disparus, le plaignant ne s’engagera pas dans une procédure coûteuse et perdue d’avance424.

En résumé, il paraît normal à l’auteur que le droit d’action du propriétaire soit inaliénable c’est-à-dire exempt de toute prescription acquisitive. M. Bibas défend cette position parce qu’il estime que la prescription acquisitive produit un double impact sur le marché de l’art volé. D’abord, pour le voleur dont la mauvaise action se verra prescrite et lui laissera alors l’opportunité de revendre l’œuvre, puis pour l’acquéreur qui se verra reconnu comme propriétaire légitime après plusieurs années de possession ou de dépossession du propriétaire.

La limite de cette proposition se lit dans les affaires passées qui ont montré que le propriétaire n’est pas toujours très diligent. Certains ont laissé s’écouler des années avant d’agir quand bien même ils possédaient les connaissances nécessaires pour user de leur droit à l’action425.

La suppression de la prescription pour les affaires de restitution de biens culturels volés permettrait à des propriétaires négligents d’intenter une action des années après la découverte des informations nécessaires sur l’identité du possesseur. Cela reviendrait à les encourager à attendre que l’information se présente à eux sans qu’ils n’aient besoin de faire de recherches. Un tel passe-droit n’est pas acceptable lorsqu’en face se trouve un possesseur de bonne foi placé indéfiniment sous la menace d’une plainte pouvant le déposséder d’un bien dont il est légitimement persuadé être propriétaire. C’est pour créer un équilibre entre ces deux parties que la clause de découverte est nécessaire. Une clause de découverte permet simplement d’éviter que l’action du propriétaire ne soit prescrite par jeu de la prescription acquisitive avant que celui-ci n’ait eu connaissance des éléments lui permettant d’exercer son droit d’action426.

424 Ibid, p. 2456 à 2457.

425 C’est notamment ce qui s’est produit dans Orkin v. Taylor. Dans cette affaire, l’un des enjeux était

d’évaluer quand était né le droit à l’action. Le bien culturel sujet du conflit entre les deux parties avait été spolié pendant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir circulé de nombreuses années il avait finalement été acquis par le père d’Elizabeth Taylor en 1963. Elizabeth Taylor avait par la suite essayé de vendre le tableau une première fois en 1990 sans y parvenir puis une seconde fois en 2002. L’acquisition de 1963

avait étéfaite au terme d’une vente publique qui avait fait parler d’elle dans les journaux, et la tentative

de vente en 1990 avait été tout autant médiatisée, sans compter qu’entre-temps un catalogue raisonné de l’artiste avait été publié et désignait Taylor comme le propriétaire du tableau. La cour d’appel en a conclu que le droit d’action était né au plus tard en 1990, tout en indiquant qu’on pouvait raisonnablement estimer qu’il était né en 1963. Quoi qu’il en soit, le droit à l’action d’Orkin était prescrit au moment où celui-ci avait voulu l’exercer en 2003. Le délai de prescription d’une action en restitution de bien volé étant de 3 ans dans l’État de Californie, son droit à l’action s’était éteint au plus tard en 1993. Cette affaire est un bon exemple de la limite nécessaire à la clémence envers les propriétaires, voir Hay, supra note 340, ch. 5 : Orkin v. Taylor, emplacements 3615-3622.

426 Carruthers, supra note 46, p. 219. Elle reprend la citation de Noland J dans l’affaire des Mosaïques

2. Le possesseur : partie « la moins lésée » dans l’affaire.

Il a été mentionné plus tôt que le possesseur du bien culturel possède des moyens de recours supplémentaires dans l’hypothèse où l’action intentée par le propriétaire est un succès. Bien que cette partie s’éloigne du sujet initial de règlement du conflit mobile relatifs aux biens culturels volés, elle est néanmoins importante puisqu’elle illustre la nécessité de la présomption en faveur des propriétaires et du fait que cette présomption ne conduit pas à une négation des droits du possesseur du bien. Cela permet également de souligner la limite du raisonnement du professeur Bibas. En effet ce dernier après avoir établi que, bonne foi ou non, le possesseur était généralement la partie « la moins lésée » grâce aux recours subsidiaires qui s’offrent à lui, énonce qu’en cas de bonne conduite de chacune des parties, le tribunal devrait trancher en faveur du propriétaire. Il raisonne en termes de victoire ou défaite plutôt qu’en termes de loi favorable ou loi défavorable. Cela démontre que les théories de Bibas et de Symeonides sont bel et bien complémentaires puisque l’une agit en amont de la procédure afin de définir la loi applicable tandis que l’autre va dans la profondeur de la règle en définissant les obligations des parties et les conditions permettant aux juges de parvenir à un résultat équitable, efficace et prévisible. Il est vrai qu’à la lecture des conventions internationales adoptées en matière de restitution des biens culturels ainsi que des lois de certains pays civilistes, le possesseur est bel et bien la partie « la moins lésée » puisque dans l’hypothèse où la décision tranche en faveur de la restitution, l’acte de restitution n’aura pas lieu à moins qu’une compensation ne soit versée préalablement à l’acquéreur dépossédé. Cette condition est énoncée très clairement dans la convention UNIDROIT427. Similairement, le code civil français impose que le propriétaire rembourse le prix d’achat du bien au possesseur si celui-ci l’a acquis dans une vente publique, ou d’un marchand spécialisé dans le type de biens en question428. La même règle est inscrite dans le code suisse429. Cela s’ajoute aux recours qu’il possède contre celui qui lui a vendu le bien.

Paragraphe 3 : La conciliation de l’utilisation de la loi du lieu de situation