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B. Le pathosystème piment-PVY

2 Le piment

2.3 Résistances aux potyvirus

La vaste dispersion géographique des Capsicum spp. à travers le monde a confronté ce genre à de nombreux pathogènes. Concernant les virus, plus de 20 virus appartenant à 15 groupes taxonomiques différents sont connus pour infecter les cultures de piment (Djian-Caporalino et al. 2006). Les membres du genre potyvirus sont les plus représentés, avec 10 espèces décrites (Moury et al. 2005; Janzac et al. 2008). La coévolution entre piment et potyvirus a engendré la sélection de gènes de résistance chez le piment. On estime que 40% des accessions de piment sont résistantes aux souches communes de PVY, de nombreux facteurs de résistance différant dans leur spectre d’action, leur niveau de résistance et leur durabilité ayant été décrits (Charron et al. 2008). Comme énoncé dans la première partie de l’introduction, ces résistances peuvent être divisées en deux catégories en fonction de la ségrégation du caractère lié à la résistance dans la population étudiée : les résistances qualitatives et les résistances quantitatives. On parle de résistance qualitative lorsque le caractère ségrège de manière discrète, les génotypes de plantes étant soit sensibles, soit résistants au pathogène, et de résistance quantitative lorsque le caractère ségrège de manière continue, des plantes avec des niveaux de résistance intermédiaires étant alors observées. Les résistances qualitatives sont généralement sous le contrôle d’un gène majeur, et les résistances quantitatives sous le contrôle de plusieurs gènes.

2.3.1 Les résistances qualitatives

Plusieurs gènes majeurs conférant une résistance qualitative aux potyvirus ont été décrits chez le piment. Tout d’abord, le gène de résistance dominant Pvr4, localisé sur le chromosome 10, confère une résistance à tous les pathotypes de PVY connus ainsi qu’à l’Ecuadorian rocoto

virus (ERV), au Pepper mottle virus (PepMoV), auPepper yellow mosaic virus (PepYMV) et

au Pepper severe mosaic virus (PepSMV) (Dogimont et al. 1996; Janzac et al. 2008, 2009a). Il a été cloné récemment et code pour une protéine de type NBS-LRR (Kim et al. 2017). De nombreuses résistances dominantes conférées par des protéines à NBS-LRR résultent de l’interaction entre le facteur de résistance de la plante et le facteur d’avirulence du virus déclenche une réaction de type « hypersensibilité » (HR) ou de type « résistance extrême » (ER). Dans le cas du PVY, la région codant pour l’ARN polymérase ARN dépendante (NIb)

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constitue le facteur d’avirulence vis-à-vis de Pvr4. Ce gène de résistance s’est révélé être extrêmement durable malgré des dizaines d’années de déploiement en champs. Il a été démontré qu’une seule mutation dans la NIb du virus permet de contourner le gène majeur, mais que le coût d’adaptation à la résistance sur la valeur sélective est trop important, expliquant ainsi la forte durabilité de cette résistance (Janzac et al. 2010). Un second gène de résistance dominant,

Pvr7, avait été identifié sur le chromosome 10 comme étant étroitement lié au gène Pvr4 et

conférant une résistance au PepMoV (Grube et al. 2000). Récemment, la cartographie fine de cette région génomique a révélé que Pvr4 et Pvr7 seraient en fait un seul et même gène (Venkatesh et al. 2017).

Des résistances récessives aux potyvirus ont également été décrites chez le piment. La résistance récessive provient de la perte d’interaction entre le facteur de l’hôte nécessaire à l’infection virale et le facteur de virulence du virus. Le gène de résistance récessif pvr2, localisé sur le chromosome 4, est impliqué dans la résistance au PVY et au Tobacco etch virus (TEV). Chez C. annuum, on dénombre 34 allèles de résistance à ce locus, allant de pvr21 à pvr234,ainsi qu’un allèle de sensibilité nommé pvr2+. La protéine pour laquelle codent ces allèles appartient à la famille des eIF4E (eukaryotic translation initiation factor 4E). Il s’agit d’un facteur d’initiation de la traduction eucaryote qui interagit avec la coiffe des ARN messagers de la plante pour initier leur traduction (Ruffel et al. 2002, 2004). Chez un génotype de plante porteur de l’allèle pvr2+, le virus détourne ce mécanisme en recrutant le facteur eIF4E avec sa VPg pour initier la traduction et/ou la réplication de l’ARN viral. Lorsque les plantes sont porteuses de deux copies d’un allèle de résistance au locus pvr2, l’interaction physique entre les protéines est rompue et l’infection n’a pas lieu. Néanmoins, plusieurs mutations dans la partie centrale de la VPg permettant le rétablissement de l’interaction, et donc le contournement de la résistance, ont été mises en évidence. La durabilité de pvr2 est variable selon les allèles au locus, les allèles

pvr21 et pvr23 présentant une durabilité plus faible que l’allèle pvr22. La durabilité dépend à la fois du nombre de mutations dans la VPg nécessaires à l’acquisition de la virulence ainsi que du coût sur la valeur sélective du virus associé à la mutation de contournement (Ayme et al. 2006, 2007). De nombreuses mutations dans la VPg permettent au virus de contourner pvr21 et

pvr23, tandis que les mutations permettant le contournement de pvr22 sont plus rares. De plus,

chez certaines souches de PVY, une seule substitution d’acide aminé est suffisante pour contourner pvr21 et pvr23, alors que deux substitutions sont nécessaires pour contourner pvr22. D’autres types de résistances récessives ont été décrits, comme le gène pvr3 qui confère au piment la résistance au PepMoV (Murphy et al. 1998). Enfin, le gène pvr6 localisé sur le

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chromosome 3 code pour un eIF(iso)4E, qui est une isoforme de l’eIF4E codé par pvr2. Lorsqu’il est associé à certains allèles de résistance au locus pvr2, la plante est résistante au

Pepper veinal mottle virus (PVMV) et au Chili veinal mottle virus (ChiVMV) (Moury et al.

2005; Rubio et al. 2009).

2.3.2 Les résistances quantitatives

Des résistances partielles au PVY ont également été identifiées chez certaines accessions de piment (Caranta and Palloix 1996). Ces résistances quantitatives ont pu être étudiées plus en détails grâce à la création d’une population de lignées haploïdes doublées (HD) de C. annuum. Ces lignées sont issues de l’hybride F1 obtenu par le croisement de Perennial, le parent résistant porteur de l’allèle pvr23, et de Yolo Wonder, le parent sensible porteur de l’allèle pvr2+. Les lignées ségrègent donc pour les allèles des deux parents au locus pvr2, une partie de la population étant porteuse de pvr2+ et l’autre partie du gène majeur pvr23. Les premiers travaux effectués sur cette descendance ont identifié onze régions génomiques (QTL) impliquées dans la résistance au PVY (Caranta et al. 1997a). Depuis, des QTL contrôlant la fréquence de contournement du gène majeur pvr23, le niveau d’accumulation du PVY et la sévérité des symptômes ont été cartographiés (Quenouille et al. 2014). Bien qu’ils confèrent une résistance partielle à la plante, la résistance conférée par les QTL seuls n’est pas pour autant plus durable en l’absence de gène majeur. Une efficacité moindre au cours du temps, généralement qualifiée d’érosion, ou un contournement de ces résistances ont été observés chez plusieurs espèces (Chain et al. 2007; Le Guen et al. 2007; Dowkiw et al. 2010; Caffier et al. 2014). Concernant le piment, Montarry et al. (2012) ont montré qu’une adaptation du PVY aux lignées HD porteuses uniquement de résistances quantitatives (sans pvr23) était possible. Ils ont effectué de l’évolution expérimentale à partir d’un clone infectieux de PVY sur différents génotypes de piment. Le clone infectieux était initialement adapté au génotype sensible Yolo Wonder et des passages répétés sur ce génotype n’ont pas montré de gain d’accumulation virale chez les populations finales, laissant penser que le clone de départ ne peut plus augmenter sa valeur sélective dans Yolo Wonder. Un de leur traitement a consisté à effectuer des passages en série de ce clone sur la lignée HD223 porteuse de 3 QTL conférant une résistance partielle au virus. A la fin de l’expérience, les lignages viraux s’accumulaient 12 fois plus dans HD223 que la population d’origine (Figure 3). De plus, leur accumulation virale dans ce génotype était beaucoup plus élevée que celle de la population de départ dans le parent sensible Yolo Wonder. Les lignages ayant évolué sur HD223 ont donc non seulement contourné la résistance mais ont également acquis un niveau d’adaptation supérieur à celui qu’ils avaient précédemment atteint

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dans le génotype sensible. Il s’agit donc d’un cas de contournement qui rend la résistance quantitative totalement inefficace, et pas seulement d’un phénomène d’érosion. Par ailleurs, un coût d’adaptation sur la valeur sélective du virus a également été démontré. Ainsi, les lignages finaux ayant évolué sur HD223 montraient une accumulation virale significativement plus faible dans le génotype sensible Yolo Wonder que la population d’origine.

Figure 3 : Contournement d’une résistance quantitative chez le piment par le PVY. Accumulations virales obtenues dans la lignée HD223 (porteuse de QTL de résistance) et dans le génotype sensible Yolo Wonder (sans QTL), pour l’inoculum de départ (gris) ainsi que pour les populations virales ayant évoluées dans HD223 (noir). Modifié d’après Montarry et al. (2012).

2.3.3 La combinaison gène majeur/QTL

La combinaison d’un gène majeur avec des QTL de résistance représente une alternative prometteuse pour augmenter la durabilité du gène majeur. Plusieurs études ont d’ores et déjà prouvé l’efficacité de cette stratégie chez différents pathosystèmes. Brun et al. (2010) ont mené une expérience de 5 ans en champs au cours de laquelle ils ont inoculé une population de

Leptosphaeria maculans à plusieurs génotypes de colza (Brassica napus). L’expérience

comprenait notamment un génotype porteur uniquement du gène majeur Rlm6 et un génotype porteur de la combinaison du gène Rlm6 et des QTL. Au bout de trois ans, le gène majeur a été contourné chez le génotype porteur de Rlm6 associé à un fonds génétique sensible. En revanche,

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après cinq ans de culture, le gène majeur n’était toujours pas contourné dans le génotype porteur de la combinaison gène majeur/QTL, démontrant l’impact bénéfique du fonds génétique résistant sur la durabilité du gène majeur. Une seconde étude a été réalisée chez le pathosystème nématode/pomme de terre. Fournet et al. (2013) ont étudié la durabilité de GpaV, un QTL de résistance à effet fort responsable de la masculinisation des populations de nématodes. Ils ont réalisé des passages en série de populations de Globodera pallida sur quatre génotypes de pomme de terre porteurs du QTL à effet fort mais différant dans leurs fonds génétiques. Après huit passages effectués en champs puis en serre, ils ont montré que l’effet du QTL était aboli chez un seul génotype de pomme de terre et que les autres génotypes étaient probablement porteurs de facteurs de résistances additionnels ayant protégé le QTL du contournement.

Concernant le piment, Palloix et al. (2009) ont évalué la durabilité du gène majeur pvr23 au PVY. Ils ont inoculé un clone infectieux avirulent de PVY à deux génotypes de piment : Perennial, porteur du gène majeur pvr23 dans un fonds génétique résistant, et la lignée HD285, porteuse du gène majeur pvr23 dans un fonds génétique sensible. Cinq semaines après inoculation, le contournement du gène majeur a été observé chez 23% des plantes inoculées appartenant à la lignée HD285. Ces plantes présentaient des symptômes, étaient positives au test ELISA et des mutations conférant la capacité à contourner pvr23 ont été détectées par séquençage dans la VPg des populations virales. Sur les 471 plantes de type Perennial inoculées, aucune n’a montré de symptôme et aucun virus n’a été détecté en ELISA. Le fonds génétique a donc une nouvelle fois protégé le gène majeur du contournement. Quenouille et al. (2014) ont étudié plus en détails l’impact du fonds génétique sur la capacité de PVY à contourner le gène majeur pvr23. Pour ce faire, ils ont utilisé la chimère CI, un recombinant entre deux clones de PVY. La chimère possède le génome du clone SON41p et la région qui code pour la protéine CI (cylindrical inclusion) du clone LYE84.2. Sa capacité à contourner pvr23 est multipliée par 6 comparée au clone SON41p (Montarry et al. 2011). Cette faculté de contournement accrue s’explique non pas par l’acquisition de mutations supplémentaires dans la région codant pour la CI, mais par une sélection plus rapide des variants virulents mutés dans la VPg en présence de la CI de LYE84.2. Quenouille et al. (2014) ont inoculé la chimère à 153 lignées HD issues du croisement entre Perennial et Yolo Wonder. Toutes les lignées étaient porteuses de pvr23 mais différaient dans leurs fonds génétiques. Le taux de contournement du gène majeur s’est avéré être un caractère extrêmement variable au sein des lignées HD, allant de 0 à 90 % de plantes contournées un mois après inoculation. L’ensemble de ces expériences démontre que le fonds génétique de la plante a donc une influence majeure dans l’évolution des populations virales.

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3 Un modèle biologique pour l’étude de la durabilité des

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