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4. Discussion générale 115

4.1. Résistance de la lignée SEG/Pas à la peste 115

Notre travail a été réalisé à l'aide d'un modèle expérimental simple visant à reproduire au plus près l'infection naturelle conduisant à la forme bubonique de la maladie. Nous avons utilisé deux souches sauvages et virulentes de Y. pestis car nous voulions identifier des gènes et des mécanismes pertinents pour la pathologie humaine. Dans les deux cas, il s'agissait de souches isolées chez un patient et utilisées par d'autres laboratoires. Différent travaux réalisés à l'aide de souches de bactéries déficientes pour un facteur majeur de virulence ont permis de mettre en évidence des différences de vulnérabilité entre lignées de souris (Turner et al., 2008) mais il est à craindre que les résultats obtenus ne permettent pas de réaliser de progrès significatifs sur la connaissance des mécanismes de pathogénicité de la bactérie en situation naturelle.

Nous avons choisi la voie d'inoculation sous-cutanée en région ventrale car elle est facile à réaliser sans avoir à anesthésier la souris et permet l'inoculation d'un volume assez précis (100 µl). Une alternative, peut-être plus proche de la piqûre de la puce, serait une inoculation par voie intradermique, par exemple dans le pavillon de l'oreille, mais ce geste est beaucoup plus délicat à réaliser et doit être fait sur animaux anesthésiés. En raison des nombres d'animaux nécessaires pour nos différentes études, et de la mauvaise résistance à l'anesthésie des souris sauvages (SEG/Pas en particulier), nous avons opté pour la voie sous-cutanée.

Dans ce modèle expérimental, la lignée SEG/Pas s'est distinguée de toutes les autres lignées testées par son extrême résistance. A partir de l'analyse rétrospective de différentes expériences préliminaires, nous avons montré que la dose de 100 ucf était celle pour laquelle le contraste avec C57BL/6 était le plus clair et le plus reproductible. Nous avons confirmé que cette résistance n'était pas spécifique de la souche CO92 de Y. pestis habituellement utilisée. Enfin, pour mesurer le niveau de résistance de SEG/Pas, nous avons infecté des groupes de souris avec

des doses croissantes de bactéries allant jusqu'à 107, sans parvenir à entraîner la mort de plus de la moitié des animaux. Cette expérience a été répliquée car nous suspections une erreur dans la préparation des dilutions de bactéries, mais les résultats ont été confirmés. Pour tenter d'expliquer cette forte résistance, nous avons imaginé que la lignée SEG/Pas, consanguine pour des allèles conférant une résistance à dose faible ou moyenne pouvait ségréger pour une mutation apportant une résistance à très forte dose. Selon cette hypothèse, les souris résistantes dans les groupes infectés à forte dose seraient porteuses de la mutation, au contraire des souris sensibles. Une analyse soigneuse du pedigree des animaux utilisés dans ces expériences nous a permis d'écarter cette hypothèse. Nous en avons conclu que les souris SEG/Pas étaient capables de mettre en place un mécanisme de résistance dépendant de la dose de bactérie inoculée, et que ce mécanisme n'était jamais saturé (tout au moins aux doses testées).

Nous avons pu montrer que la résistance de SEG/Pas se traduit par une plus grande probabilité de résister à l'infection. En revanche, les quelques individus qui en meurent succombent selon la même chronologie que les souris sensibles de la lignée C57BL/6J (supporting figure 7 de l'article). La différence concerne donc le taux de survie des souris mais pas le temps de survie des souris sensibles. Ceci nous conduit à formuler l'hypothèse que l'issue finale (mort ou survie) de la confrontation entre la bactérie et son hôte se joue probablement très précocement. Un argument en faveur de cette hypothèse est l'observation d'un cinétique de la bactériémie très différente entre les souris SEG/PAS et C57BL/6J, dès le 2ème jour post-infection. Alors que la bactériémie connaît un pic précoce (au 2ème jour) et transitoire chez les souris SEG/PAS, elle apparaît plus tardivement chez les souris C57BL/6J mais croît de façon exponentielle (figure 23d). Ce résultat suggère un mécanisme mis en jeu avant le 2ème jour, différent entre les deux lignées. Comme nous le discutons dans l'article, cette expérience mériterait d'être réitérée dans des conditions un peu différentes, de façon à pouvoir comparer, dans chaque lignée, la bactériémie précoce des souris qui ont finalement survécu ou qui sont finalement mortes. Cela suppose que chaque souris puisse être conservée jusqu'au terme de l'évolution naturelle de l'infection, et que les prélèvements sanguins successifs ne doivent pas significativement perturber ces résultats.

Nous n'avons pas eu l'occasion de tester la sensibilité des souris SEG/Pas dans un modèle de forme pulmonaire. Ce modèle est mis en œuvre dans l'unité des Yersinia. Il est assez probable que la résistance exceptionnelle des souris SEG/Pas sera confirmée dans ce modèle, mais seule une étude physiopathologique fine permettra de comparer les mécanismes mis en jeu. Il faut souligner que, de ce point de vue, la récente construction d'une souche de Y. pestis

- 117 - bioluminescente dans l'unité des Yersinia sera un outil très précieux pour suivre la prolifération et la dissémination de la bactérie dans une lignée sensible (C57BL/6J) et une lignée résistante (SEG).

Enfin, nous avons montré qu'il existe une différence de sensibilité entre mâles et femelles, ces dernières étant plus résistantes que les premiers. Cette observation n'est pas rare et a déjà été rapportée dans la littérature pour d'autres modèles infectieux (Whitacre et al., 1999). Nous l'avons également observée au laboratoire pour le virus de la Fièvre de la Vallée du Rift. Les femelles sont souvent plus résistantes que les mâles. L'un des mécanismes évoqués est un effet immunostimulateur des œstrogènes (par exemple, la stimulation de la réponse TH1). Les femelles inoculées avec le BCG montrent un taux d’IFNg dans le sérum plus élevé que les mâles (Huygen & Palfliet, 1984). L’administration de LPS a permis de mettre en évidence une production d’IL-1 et d’IL-6 supérieure chez les femelles par rapport aux mâles (Li et al., 1995). Quelque soit le sens de cette différence, elle impose de travailler sur un seul sexe, ou tout au moins d'analyser les données des deux sexes séparément.