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Le début de l'âge adulte se vit comme une prolongation de l'adolescence : ceux qui n'aimaient pas le deuxième logement évitent toujours aussi soigneusement de s'y rendre, mais les autres viennent aussi plus rarement, pris par d'autres activités. Ainsi, les filles de M. Rey ont beaucoup voyagé lorsqu’elles ont pu accéder à une certaine autonomie financière. Cependant, la période des bals est toujours aussi prisée et des réunions entre amis continuent d'être organisées, parfois avec des thèmes plus sportifs. Randonnées, sorties cyclistes ou ski sont les plus fréquentes. Les visites sont décalées pour éviter de côtoyer les parents qui pourraient être dérangés par cet afflux de monde et les vacances familiales sont abrégées.

Le premier emploi modifie la perception de la villégiature. Elle commence à être appréciée comme lieu de repos, après le travail de la semaine. La résidence secondaire permet de se retrouver, en famille ou entre amis, dans un lieu jugé plus convivial et spacieux que le petit

volontiers passer leurs fins de semaine à Dhuys. Cependant, plus que la modification du mode de vie induite par un travail salarié, c’est la naissance des enfants qui annonce un retour à la résidence secondaire.

La poussette des grands-parents sert toujours à l’occasion

Plusieurs facteurs expliquent ce changement d’attitude. La baisse globale des revenus qui suit la venue des enfants de même que la nécessité d’un mode de garde dès que les activités envisagées ne sont pas familiales, revalorisent l’attrait de la résidence secondaire. L’espace et le jardin, ou au moins l’accès rapide à la campagne, sont appréciés. La naissance des enfants est sans doute aussi une période où les valeurs familiales sont valorisées : elles s’expriment pleinement dans cette maison marquée par la présence des grands-parents. Ces derniers ont préparé l’arrivée des tout petits : les jouets sont ressortis, un lit d'enfant ainsi qu'une baignoire en plastique sont achetés ou récupérés. Une vieille poussette peut également être ajoutée à l'équipement. De véritables antiquités sont exhumées des greniers. Ainsi, la voiture d’enfant

utilisée. La nursery peut être prête des années avant l'arrivée du bébé. Le matériel sert alors aux amis de passage. L’aide que les parents sont sensés fournir à leurs enfants lors des séjours familiaux est un attrait de plus. Le désir d’intégrer les petits au sein du groupe familial est également présent lors de ces retours.

L’accroissement de la taille de la famille a pour corollaire un besoin d’espace accru. Même si de nouveaux travaux sont entrepris pour aménager un grenier ou une grange, la maison ne peut pas être agrandie à l'infini. L'achat d’un autre bien à proximité peut être réalisé. Etre ensemble séparément semble être la solution offrant le plus de satisfactions aux parents et aux enfants. En effet, l'absence d'horaires d'une maison pleine de monde n'est pas toujours compatible avec le besoin de régularité des jeunes enfants. Une maison séparée permet à chacun de trouver un répit. Lorsque cette prise d’autonomie n'est pas envisagée, les mères se chargent d’harmoniser la vie des tout petits, jonglant entre les désirs des aînés et les besoins des puînés.

Adulte, les différences de mode de vie observés plus jeunes s’émoussent. Les loisirs sont de plus en plus partagés. La participation à la vie de la résidence secondaire et de la commune s’accroît. Les jeunes prennent part aux associations et s'intéressent plus activement à la vie du village, que ce soit pour défendre leurs intérêts ou pour simplement s’informer. A Saint-Martin le droit de vote est demandé64.

64 Cf. le chapitre 11.

Une fois la période des travaux achevée, les résidents secondaires abordent un rythme de vie plus serein. Ces nouveaux habitants peuvent rechercher leur intégration à la vie villageoise ou au contraire souhaiter une relative autonomie. Le mode de fréquentation induit des relations différentes : les visites concentrées sur un mois de l'année ne permettent pas une connaissance approfondies de la vie communale en dehors du voisinage immédiat, contrairement à des séjours plus courts mais répétés. S’approvisionner sur place est un autre élément pouvant favoriser l’interconnaissance, parfois à son corps défendant.

Selon le mode de vie choisi, centripète ou centrifuge pour reprendre la dichotomie établie par Philippe Jarreau [1985], la vie s’oriente vers un repli sur soi ou l’accueil de la famille, d’amis. Organiser des fêtes, recevoir des amis, marquent les premiers temps dans la résidence secondaire. Le rythme ralentit ensuite, mais les réunions amicales et familiales continuent de ponctuer la vie de la résidence secondaire. Des invitations nombreuses, tournées uniquement vers l'extérieur de la commune, coupent les résidents secondaires de la vie du village. Les relations à l'intérieur de la demeure sont suffisamment denses pour ôter l'envie et le temps de chercher à connaître des personnes autres que les voisins immédiats, ni à participer aux activités proposées au village. D’autres résidents secondaires misent uniquement sur les relations locales. Un équilibre entre les deux est l’attitude la plus fréquemment adoptée.

Achetée ou héritée, la résidence secondaire peut servir de recours lors d’une période de chômage aussi bien pour ses propriétaires que leurs enfants. Le chômage longue durée, les difficultés d’insertion ou de reconversion sont des maux de notre société qui touchent toutes les catégories sociales. Chavannes se situe suffisamment près d’une ville pour pouvoir être envisagé comme un lieu de vie possible lors de l’attente de stages ou d’offres d’emploi. La

de chômage deviennent trop réduites pour permettre de vivre sans un toit gratuit. L’un des enfants Meynard passa ainsi un hiver en attendant que sa situation s’améliore. En situation de chômage, la résidence secondaire offre aussi un cadre de vacances gratuit et cette aide rend tolérable des situations précaires. Cette situation d’attente peut aussi devenir définitive. Ainsi, M. Giraud a perdu tout espoir de retrouver un jour du travail. Il vit maintenant à temps plein à Chavannes et pense y finir ses jours.

L’âge adulte est celui où la participation locale s’accroît, mais elle ne prend sa pleine mesure qu’à l’âge de la retraite. Cette période est aussi celle où les modes de vie évoluent le plus notamment pendant toute la période suivant la naissance des enfants, puis/ou, des travaux. C’est la retraite qui est la période du plein épanouissement du résident secondaire.

La retraite

La retraite est l'opportunité d'une présence accrue dans la résidence secondaire. Période de la vie où le temps se déstructure65, où les loisirs peuvent être pleinement vécus, le temps des

visites s’allonge lorsqu’une installation définitive n’est pas décidée66. Plus disponibles, les

retraités sont les premiers à proposer leurs services dans les différentes associations ou à la mairie. La retraite est aussi l'occasion rêvée pour s'occuper des petits-enfants.

65 « Si la retraite est rupture, celle-ci est d’abord rupture avec les temps sociaux ; des changements incontestables, bien que progressifs, marquent l’utilisation du temps libre au passage de la retraite. Le développement général et par étapes, des activités pratiquées antérieurement, l’acquisition de nouvelles pratiques se déploient désormais dans un temps flexible. Les temps affectés s’amenuisent, les rythmes se déstructurent progressivement, le temps se réapproprie. » [Attias-Donfut 1986 : 398]

66 Il existe quelques exceptions, dont celle des Mercier qui gardent les enfants de leur fille en semaine et sont donc astreints à une présence à Lyon.

d'une implantation permanente au village lors de la retraite était fréquente à Chavannes68. Le

bien en ville était revendu ou la location arrêtée. Le couple s’installait dans la résidence secondaire préalablement restaurée ou bâtie de neuf, ainsi que l’avaient réalisé les parents de M. Giraud. De ce fait, ils bénéficiaient d’un certain prestige auprès des villageois restés au village ou des résidents secondaires qui se contentaient de restaurer la petite maison familiale, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où la restauration a acquis ses lettres de noblesse. Le cas est plus rare à Chavannes actuellement, le passage d’une résidence à l’autre ayant lieu avant l’âge de la retraite. Un essai est parfois tenté, mais le cap de l'hiver est rarement passé avec succès. Jeune retraité, M. Dumas exprima le souhait de vivre entièrement à Rosy. De concert avec son épouse, ils décidèrent d’effectuer un essai d’un an avant de vendre leur appartement lyonnais. En dépit des multiples avantages qu’ils tentèrent de trouver à ce mode de vie, l’hiver suivant fut citadin. Passé l’été, des difficultés à meubler le temps apparaissent. Le désir de trouver des interlocuteurs se fait également sentir lorsque les visites se font plus rares et que les rues se vident. Les implantations à l'année durables eurent surtout lieu à Saint-Martin ces dernières années, malgré son éloignement. Ce sont uniquement des résidents secondaires ou des originaires, sans expérience d’une quelconque vie villageoise. Mme Oberti vit à Saint-Martin depuis sa retraite. Pour meubler ses loisirs elle s’occupe de la mairie et du club du troisième âge. M. Mossa est toujours resté très actif. Il fut maire pendant 12 ans et continue à exercer comme consultant à temps partiel. Ces nouveaux habitants, conscients de l’ennui qu’ils pourraient ressentir, gardent de nombreuses activités annexes. Voyages, séjours auprès des enfants ponctuent l’année. Ce mode de vie, encore très citadin par bien des aspects, choisi

67 Le cas le plus ancien que nous ayons rencontré d’une transformation d’une résidence secondaire en résidence permanente est celui de M. Caron décédé en 1913. D’après ses petits enfants elle a dû avoir lieu un peu avant 1910.

68 Bruno Dumons et Gilles Pollet constatent que le retraité de la fonction publique à la veille de la Grande Guerre « a tendance à fuir les grands centres urbains et industriels pour rejoindre des villages et des bourgs dont il est

étaient et sont toujours de véritables replis sur soi, sur la commune. Actuellement, des retraités ne jouissant que de revenus modestes, parfois même très réduits comme les Mercier, conservent néanmoins deux logements. Dans leur cas, le confort de l’appartement citadin et la proximité des enfants sont deux éléments qui les incitent à continuer de mener une double vie. Les nouveaux habitants justifient leur abandon du logement citadin par le besoin d’un retour à la campagne, voire la gêne de posséder deux logements à une époque de précarisation. La ville, quelle qu’elle soit, paraît aussi moins lointaine grâce aux moyens de communication modernes. Depuis la fin des années 1970, cette population a radicalement changé.

Avant cette date, c’étaient des personnes peu aisées et directement issues du monde rural qui choisissaient de vivre à la campagne une fois à la retraite, retour à un mode de vie connu lors de l’enfance. Les rythmes de vie observés « tôt levé, tôt couché » sont très proches de ceux des villageois de même âge, et il y a finalement peu de différences entre retraités et personnes restées au pays. Certains, enfants ou petits-enfants de paysans qui passèrent toutes leurs vacances chez leurs grands-parents, gardent des habitudes qui disparaissent aux générations suivantes. Au sein d’une même génération, des décalages de comportement peuvent être observés selon la période de départ de la terre ou la vie menée ensuite. Il est aussi possible que seuls reviennent les nostalgiques d'un certain mode de vie, les autres restant citadins.

Actuellement, ce sont les retraités les plus aisés ou possédant un bagage culturel qui s’installent à demeure, sans expérience préalable de la vie rurale. Ils leur impriment des aspects très citadins. Souvent, un seul des conjoints trouve son intérêt à mener durant toute l’année une vie retirée. Suivant les couples, différentes solutions sont envisagées - séjours du début du printemps à la fin de l’automne, installation toute l’année mais deux jours par

souvent originaire. » [1994 : 791].

entièrement villageoise.

Le choix du lieu de résidence est discuté quelques années avant que la retraite ne soit prise. Malgré son poids financier dans un budget réduit, les deux logements sont conservés. En effet, les résidents secondaires préfèrent renoncer à certains de leurs loisirs, à des projets de voyage, plutôt que de se séparer de l’une ou l’autre de leurs habitations. Ne plus vivre que sur le lieu de villégiature fait peur. L'hiver, en particulier, est appréhendé, ainsi que le rappelle énergiquement M. Rey, qui est pourtant un inconditionnel de Chavannes :

«A la retraite on viendra ici le printemps, l'été, l'automne à la saison de la chasse, mais alors l'hiver, bonsoir. Le club machin (club du troisième âge), le truc bidule, c'est très très sympathique, mais enfin bon... Non !»

Le manque de commerces de proximité, de transport en communs, de centres médicaux, font également reculer les candidats à une installation définitive. A Chavannes, l'exemple des parents retournés vivre à temps plein, sert de repoussoir. Les inconvénients d'une vie uniquement villageoise sont alors exacerbés comme nous en fait part M. Chalon, qui prendra sa retraite d'ici deux ans. Sa mère, toujours vivante, est revenue vivre au village :

«Je n'envisage pas de venir en résidence principale pour une raison simple : je pense que c'est pas évident de vieillir dans un village. Je vois ma mère maintenant est toute seule, ce n'est quand même pas extra. On est toujours tributaire de Pierre, de Paul, de Jacques, et puis les soins médicaux sont moins facile d'accès, donc on restera en résidence principale à Lyon ne serait-ce que pour ça.»

A Saint-Martin, la perspective de passer seul l'hiver dans les hameaux est exclue même par les résidents permanents, qui descendent hiverner au village. Mme Oberti a adopté la même attitude en achetant un appartement au village pour la morte saison. L'habitude d'une vie citadine plus mouvementée rend également plus difficile une adaptation aux rythmes hivernaux.

vacances à la belle saison, devient insupportable l’hiver. Les moyens de chauffage inadaptés à des visites prolongées et l’isolation des ouvertures déficiente transforment ces maisons en glacière. Vivre toute l'année suppose alors un aménagement adéquat coûteux.

La retraite se déroule alors sous le signe du dédoublement du temps et des résidences. Selon l'éloignement des domiciles la scission est complète, rythmée par la migration du printemps qui a lieu une fois les risques de grands froids éloignés, rarement avant mai, et la migration d'automne, en novembre, après la Toussaint. De brefs retours ponctuent les visites dans l’un ou l’autre lieu. Lorsque la distance entre les deux logements ne dépasse pas une à deux heures de route, les aller-retours sont plus fréquents, pour faire des courses, aller chercher les petits-enfants ou les ramener, même si les rythmes globaux de migration sont identiques. Le logement citadin est utilisé comme pied-à-terre le temps de la belle saison.

L'hiver est dans tous les cas une période de moindre fréquentation et les visites, lorsqu'elles ont lieu, se concentrent sur les fins de semaine et les vacances scolaires pour éviter la solitude. Les voyages à l'étranger ou en France sont rares chez des personnes modestes, même si la possibilité leur en est offerte par leur ancien comité d’entreprise. Ainsi les Andréini ne sont partis qu’une fois en voyage malgré la promesse qu’ils s’étaient faite. Ils se sont finalement estimés trop âgés pour modifier leurs habitudes, même pour une ou deux semaines. La retraite ne se traduit pas par un changement radical de mode de vie mais plutôt par l’accentuation de loisirs déjà pratiqués. Ceux qui voyagent en avaient déjà l’habitude. Ils les réalisent à l'automne ou au printemps, l'été étant réservé à l'accueil de la famille ou des amis. Mme Oberti se déplace régulièrement à la morte saison pour son plaisir ou pour rendre visite à sa fille, aux Etats-Unis.

Du fait du temps de présence accru, il devient possible de s’adonner à des loisirs demandant une plus grande disponibilité, comme le jardinage. Le jardin, peu cultivé lors de la pleine

passe-temps sont également développés en fonction des centres d'intérêts : menuiserie, mycologie, étude de l'histoire locale, participation à la vie communale... La présence hors des temps de vacances permet d'approfondir les relations avec les résidents permanents ou d'autres résidents secondaires retraités. L'été étant plutôt consacré à la famille et aux amis, l'intersaison est le temps de la socialisation, de la participation aux associations69, à la politique

municipale. Les retraités vivant dans les hameaux continuent à être moins présents dans la vie de tous les jours du village, mais ce n’est plus un handicap pour s’intégrer et exercer un rôle actif au sein de la commune.

Les résidents secondaires ayant un passé villageois recherchent la sociabilité connue lors de l’enfance. Le retour n'est ni perçu, ni voulu comme une ouverture sur un mode de vie différent de celui connu, c'est-à-dire différent de la vie des autres villageois. Cela est d'autant plus vrai lorsque les retours périodiques atteignent des périodes de six mois et permettent l'accès à la majeure partie des activités se déroulant au village.

La résidence secondaire est un espace privilégié de rencontre grands-parents/petits-enfants. Nous en avons souligné certains aspects dans la description de l’enfance. Cette relation est favorisée par la prépondérance de la famille au sein de la sociabilité une fois à la retraite [Bidart 1997]. Cette relation peut être sollicitée par les parents des enfants70. Mme Andréini

« aide » ainsi sa fille et elle avait auparavant également rendu service à son fils aîné. Le second logement a tout autant une fonction d’accueil que la résidence principale [Bonvalet

69

Joffre Dumazedier note cette participation accrue aux clubs et associations, en liaison avec d’autres pratiques de loisirs (voyages, sports...) des retraités [1988].

70 Laurent Toulemon et Catherine Villeneuve-Gokalp remarquent que l’aide des grands-mères s’avèrent « souvent indispensable pendant les vacances » lorsque la mère travaille et c’est à la grand-mère maternelle qu’il

structuration de la famille. M. et Mme Mercier gardent les enfants de leur fille durant toute l’année scolaire à Lyon. L’été ils les accueillent un mois à Dhuys et leur fille les retrouve en fin de semaine. L’invitation des petits-enfants peut permettre de contourner l’absence de visite des enfants. Les filles des Céloria ne se rendent jamais à Saint-Martin, même pas pour conduire ou reprendre leurs enfants. Elles sont en revanche ravies que ceux-ci apprécient Saint-Martin, ce qui leur évite de rechercher des activités pendant les vacances scolaires. L'éloignement géographique entre les lieux de résidence des parents et des enfants limite les séjours courts mais n’empêchent pas des visites plus longues. Voyage accompagné jusqu'à la ville proche en train ou en avion, parent effectuant le voyage dans un sens, puis les grands-parents dans l'autre, sont autant de solutions. La petite-fille de Mme Oberti prend l’avion seule depuis New-York pour passer un mois avec sa grand-mère à Saint-Martin, occasion pour elle non seulement de sa familiariser avec la société française, mais surtout de développer, d’approfondir une connaissance de la famille et du milieu saint-martinois.

Ces visites, très attendues, sont l'objet de préparatifs intenses et de discussions avec les amis du village. En prévision de l'absence de temps libre qui résulte de la présence de jeunes