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Chapitre 1. Introduction générale et état de l’art

1.4.2. Les réserves carbonées

Il est généralement admis que le niveau de réserve traduit l’état physiologique d’un arbre (Clair-Maczulajtys and Bory 1988). Le stockage de réserves se définit comme l’accumulation de ressources pouvant être mobilisées ultérieurement pour soutenir la biosynthèse (Chapin et al. 1990). On définit trois catégories générales de stockage :

L'accumulation est l'augmentation des composés qui ne favorisent pas directement la croissance. L'accumulation se produit lorsque l'acquisition de ressources dépasse les exigences pour la croissance et l'entretien (Millard 1988) ;

La formation de réserve implique la synthèse de composés de stockage à partir des ressources qui pourraient autrement directement être utilisées pour la croissance (Rapoport and Loomis 1985) ;

Le recyclage est la réutilisation des composés en réserve pour la croissance et la défense (Chapin et al. 1990).

Dans la suite de notre travail sur le lien entre la croissance et la mise en réserve, nous allons essentiellement nous concentrer sur l’accumulation et la formation de réserve. Nous considérons que les réserves correspondent à des composés spécifiquement et activement stockés et pouvant être remobilisés ultérieurement pour participer à la croissance de nouveaux organes mais aussi à l’entretien et à la reproduction de la plante.

La formation de réserves repose donc sur l’utilisation active des composés carbonés nouvellement acquis lors de la photosynthèse en compétition directe avec la

croissance (Fig. 1.9; Rapoport and Loomis 1985; Chapin et al. 1990; Lambers et al. 2008).

Les réserves ainsi stockées permettent à la plante d’être moins dépendante de la photosynthèse et de l'absorption des nutriments dans le sol. Ces réserves fournissent également des ressources à des moments où les exigences de croissance sont grandes comme au début du printemps, quand il y a peu de feuilles ou de racines présentes pour acquérir ces ressources. Les réserves stockées permettent également aux plantes de survivre suite à une perte catastrophique de feuilles ou de racines après une perturbation (herbivorie, feu, défoliation, etc.). Enfin, les réserves stockées permettent aux plantes de passer rapidement d'un mode végétatif à un mode reproductif, même lorsque les conditions ne sont pas favorables (Lambers et al. 2008).

Figure 1.9. Schéma résumant les relations sources-puits pour le carbone (Bory and Clair-Maczulajtys 1988).

Les arbres, contrairement aux espèces non ligneuses, peuvent généralement stocker et remobiliser leur réserves dans tous les organes (Hoch et al. 2003; Palacio et al. 2008). Cependant, il est à noter que tous ces organes ne participent pas au stockage avec la même importance. La biomasse de l’organe va déterminer la répartition des réserves dans l’ensemble de la plante (Kozlowski 1992). Ainsi, le tronc est généralement le compartiment principal

de stockage bien que les racines et les jeunes pousses soient les plus riches en réserves

(Bartelink 1998; Grulke and Retzlaff 2001). De plus, l’âge des tissus est aussi un élément déterminant. Plusieurs études ont ainsi montré que les concentrations en composés de réserves carbonées et azotées diminuaient de l’extérieur vers l’intérieur du tronc (Barbaroux and Bréda

2002a; Hoch et al. 2003). De fait, les cernes les plus récents, au plus proches des vaisseaux conducteurs fonctionnels, sont les plus concentrés en réserves.

À noter que les paragraphes suivants ne traiteront que des réserves carbonées en nous focalisant sur les réserves lipidiques et glucidiques. Concernant les glucides, nous nous concentrerons particulièrement sur les sucres solubles et l’amidon. Nous ne détaillerons pas les processus (bien qu’importants) liés au stockage de l’azote et du phosphore.

1.4.2.1. Les composés carbonés non structuraux (NSC)

Les réserves carbonées sont principalement des composés carbonés non structuraux qui vont être stockés sous la forme de carbohydrates. Les carbohydrates sont généralement retrouvés chez les arbres sous la forme de sucres solubles (regroupant les monosaccharides, les disaccharides, les oligosaccharides, et les polyalcools ; Monson et al. 2006), d’amidon et selon les espèces de fructane (Lambers et al. 2008).

Chez les arbres, les formes solubles majoritaires correspondent aux disaccharides de

saccharose et, secondairement, aux monosaccharides de glucose et de fructose (Kramer and

Koslowski. 1979). Les sucres solubles agissent comme des agents osmotiques et permettent d’augmenter le potentiel osmotique des cellules afin de prévenir la déshydratation des tissus lors d’un déficit hydrique (Chaves 1991). En effet, l’accumulation du saccharose coïncide généralement avec celle du KCl dans l'apoplaste10 participant au maintien de la turgescence

cellulaire (Leigh and Tomos 1983).

L’amidon représente le composé carboné le plus abondant et la forme privilégiée de stockage du C chez les arbres (Nelson and Dickson 1981; Stassen et al. 1981; Tromp 1983). En effet, à l’inverse des sucres solubles, l’amidon est insoluble dans l’eau et donc métaboliquement inactif. De plus, l’amidon est composé de polymères de glucose liés en (1 -> 6) et en (1 -> 4), permettant une synthèse et une dégradation rapide, peu coûteuse en énergie. Ces propriétés impliquent que l’amidon est généralement considéré comme une

forme de stockage de C à court et moyen terme (Hoch 2007). En outre, lors d’une

sécheresse, les réserves en amidon pourraient participer à la protection des tissus contre la

déshydratation et à la restauration de la conductivité hydraulique. Ainsi, Yoshimura et al en 2016 ont proposé que l'amidon pourrait être converti en sucres solubles au cours d’un stress hydrique, augmentant la teneur en sucres solubles dans la sève. L’injection dans les vaisseaux embolisés de cette sève hyper-osmotique pourrait alors assurer leur restauration après une pluie (Yoshimura et al. 2016).

L'accumulation de carbohydrates favorise donc l’augmentation de la pression osmotique des cellules, ce qui limite la déshydratation des tissus. De plus, cette accumulation permet également le maintien du métabolisme lorsque l’assimilation du C est réduite. Chez le genre Tilia, espèce clé de notre étude, des études antérieures ont montré que les carbohydrates semblent principalement présents sous forme soluble avec le saccharose (Clair-Maczulajtys and Bory 1988), bien qu'il ait été rapporté l’existence d'autres formes possibles chez le genre Tilia tel que le raffinose (Jeremias 1968; Höll 1981). En plus du stockage de carbohydrates, le genre Tilia accumule une concentration élevée de lipides dans les parties aériennes pouvant généralement dépasser les concentrations d'amidon (Höll and Priebe 1985). Cette prédominance explique que le genre Tilia est souvent classé dans la famille des « fat

trees », en opposition avec la famille des « starch trees » qui accumule majoritairement de

l’amidon.

1.4.2.2. Les réserves lipidiques

Les lipides sont sous la forme de triacylglycérols, de phospholipides et de galactolipides (Clair-Maczulajtys and Bory 1988). Des études conduites sur d’autres espèces de « fat trees », comme le peuplier ou le pin, ont montré une forte concentration en lipides dans l’aubier. Cette concentration peut atteindre jusqu’à 3.5% de la masse sèche chez le peuplier (Saranpää and Piispanen 1994) et constituer entre 50 et 70% des NSC au niveau de l’aubier pour le pin (Körner 2003). L’amplitude des variations saisonnières de l’accumulation de lipides restant cependant assez faible (Nelson and Dickson 1981; Fischer and Höll 1992; Hoch et al. 2003), ces composés seraient probablement peu remobilisés. De plus, la synthèse et la remobilisation des lipides coûtent énergétiquement plus cher que l'amidon, ce qui impliquerait que cette forme de stockage serait plus susceptible de constituer des réserves

à long terme (Hoch et al. 2003). Höll and Priebe (1985) ont cependant montré que chez Tilia

cordata, la concentration en triglycérides subissait des changements drastiques juste

du printemps avant d’être transportés vers les organes où ils sont nécessaires, comme pour les racines dont la croissance précède habituellement le débourrement (Höll and Priebe 1985).

1.4.2.3. La dynamique saisonnière des réserves

La quantité de réserve accumulée ne reste pas stable au cours de la saison. En

effet, on observe au printemps, lors du débourrement, une diminution des concentrations en NSC (Hoch et al. 2003; Barbaroux et al. 2003b). Cette diminution est principalement due à la mobilisation des réserves carbonées pour la croissance des nouveaux organes (Kramer and Koslowski. 1979), mais aussi pour la croissance et l’entretien des organes pérennes tels que le tronc et les racines. Barbaroux et Bréda (2002) ont montré que chez le chêne sessile (Quercus petraea), la remobilisation de l’amidon a lieu dès le début du débourrement et se poursuit environ pendant un mois, atteignant des valeurs minimums représentant 2 à 3% de la matière sèche contre 7 à 15% en moyenne durant la saison de végétation.

Le stockage des réserves carbonées a lieu relativement tôt dans la saison. Cependant,

cette accumulation est modulée selon le type de composé considéré, l’organe de stockage, l’espèce et son âge. Par exemple, chez des Quercus petrea de 50 ans, le stockage carboné devient important dans le tronc après la formation du bois initial, tandis que dans les jeunes branches le stockage apparait très rapidement, 2 à 3 semaines après le débourrement

(Barbaroux and Bréda 2002b). Chez les arbres décidus, la dynamique saisonnière de l’ensemble des NSC suit celle de l’amidon (Hoch et al. 2003). Cependant, quelque soit l’organe, on observe généralement une recharge en amidon vers la fin de l’été, lorsque la demande énergétique diminue, et ce, jusqu’à la chute des feuilles (Barbaroux and Bréda 2002a; Hoch et al. 2003; Millard and Grelet 2010; Bazot et al. 2013; Richardson et al. 2013). Pendant l’hiver, une diminution des NSC est couramment observée (Hoch et al. 2003; Barbaroux et al. 2003b; Bazot et al. 2013), correspondant à l’utilisation du C pour la respiration et le métabolisme d’entretien de l’arbre en dormance (Damesin 2003; Bréda et al. 2006). La baisse des température induira ensuite l’hydrolyse de l’amidon (Améglio et al. 2004), augmentant directement les concentrations en sucres solubles et la tolérance au gel des arbres pendant l’hiver (Schrader and Sauter 2002; Repo et al. 2008). Ainsi, on observe que la concentration des sucres solubles suit une dynamique inverse de celle de l’amidon (Lacointe et al. 1994; Schaberg et al. 2000) souvent corrélée à la température, à l’exception du

saccharose (Fischer and Holl 1992). Les réserves sont ensuite à nouveau utilisées pendant toute la phase hétérotrophe11 de l’arbre au printemps (Bory and Clair-Maczulajtys 1988).

Les études sur la dynamique saisonnière des lipides restent encore, à ce jour, faibles. Cependant il semble que, comme pour les glucides, l’automne constitue la phase de reconstitution des réserves. Une concentration maximale est observée en hiver, suivie d’une concentration minimale au printemps induite par l’hydrolyse des lipides pour la croissance des nouveaux organes lors de la phase hétérotrophe de l’arbre (Höll and Priebe 1985; Bory and Clair-Maczulajtys 1988). La Figure 1.10 permet de résumer la dynamique saisonnière des réserves carbonées (et azotées) chez les espèces de feuillus décidus.

Figure 1.10. Schéma représentatif des dynamiques saisonnières des composés carbonés (ligne pleine) et azotés

(ligne interrompue) au cours d’une année chez les espèces décidues, d’après la littérature (Hoch et al. 2003;

Bazot et al. 2013).

1.4.2.4. Facteurs influençant la formation des réserves

De nombreux facteurs biotiques ou abiotiques peuvent contrôler les variations de concentrations en réserves carbonées. Comme précisé plus haut, la température a un impact sur la dynamique des réserves. De plus, la disponibilité des ressources en eau, CO2, lumière, ou nutriments du sol va également influencer le fonctionnement carboné de l’arbre. Particulièrement, lors d’un épisode de sécheresse, une diminution du stockage de

l’amidon est observée, tandis que la concentration en sucres solubles augmente. Cette inversion dans les dynamiques de stockage semble indiquer que l’amidon va être hydrolysé afin d’augmenter le potentiel osmotique des cellules (Chaves 1991). Les arbres dans les régions polluées semblent également présenter des concentrations plus faibles en amidon et en sucres solubles associée à une forte accumulation des métaux lourds observée surtout à la fin de la saison de croissance (Tzvetkova and Kolarov 1996).

L’âge de l’arbre joue également un rôle dans le stockage des réserves carbonées. L’effet de l’âge de l’arbre sur les concentrations en composés de réserve a fait l’objet d’un nombre limité d’études dont les résultats sont souvent contradictoires. Machado et Reich en 2006 ont observé une diminution des réserves carbonées avec la taille de l’arbre dans les feuilles, le tronc et les racines chez trois espèces d’arbre (Abies balsamea (L.) Mill, Acer rubrum L. et Pinus strobus L.), alors que ces concentrations restent stables ou augmentent avec la taille de l’arbre dans les branches, les feuilles et le tronc de Pinus ponderosa (Sala and Hoch 2009). Genet et al. (2010) montrent que l’effet de l’âge sur les concentrations en NSC serait largement dépendant de l’organe considéré. Ils ont pu ainsi mettre en évidence deux schémas d’allocation du C distincts selon l’âge chez le hêtre, une espèce à pore diffus comme le tilleul argenté. Aux stades juvéniles, une allocation préférentielle du C à la croissance aura lieu, tandis qu’aux stades matures, l’allocation à

la croissance diminue et celle au stockage pour la reproduction et la respiration augmente.

En résumé, il semble donc que l’étude de la croissance radiale et de la mise en réserve soit pertinente afin de comprendre comment l’environnement urbain, et plus particulièrement les stress hydriques, vont influencer l’allocation du C dans l’arbre.

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