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2.3 Différentes approches des liens sociaux et linguistiques au sein

2.3.2 Le réseau social

Le réseau social tel que définit par Milroy (1987, 2002) fournit un moyen de saisir la dynamique sous-jacente des interactions entre locuteurs. L'analyse du réseau social caractérise les liens interpersonnels établis par un individu au sein d'une communauté. Milroy indique que la différence de structure et de nature des réseaux sociaux influencent directement l'individu et a donc un impact sur ses pratiques langagières. En effet, la solidité d'un réseau social se définit en termes de densité et de multiplexité. D'une part, un individu peut avoir des liens multiplexes ce qui signifie qu'il est lié aux membres de son réseau dans divers secteurs de la sociabilité (les individus qu'il fréquente sont à la fois ses amis, ses collègues de travail et/ou ses voisins). Et d'autre part, un individu peut entretenir des liens denses dans sa communauté, ce qui implique que les personnes intégrées à son réseau se connaissent entre elles. De ce fait, un réseau multiplexe et dense est l'indicateur d'une forte intégration sociale. L'appartenance à un tel réseau conduirait selon Milroy (1987) à conserver des usages linguistiques similaires entre locuteurs. A l'inverse, un réseau uniplexe et lâche implique qu'un individu n'est lié aux autres personnes de son réseau que dans un seul domaine et que les personnes qu'il fréquente ne se connaissent pas entre elles. Ce dernier type de réseau serait donc peu propice à la transmission et conservation des usages langagiers locaux et favoriserait l'innovation.

Afin de tester l'hypothèse d'une relation entre la forme du réseau d'un individu et sa tendance à utiliser les variantes phonologiques typiques de sa communauté locale, Milroy (1987) s'est intéressée à trois communautés de la ville de Belfast. Les résultats de son étude montrent une corrélation significative entre l'intégration sociale d'un individu dans la communauté et l'usage de caractéristiques phonologiques propres à cette communauté. D'autres études ont confirmé cette influence du réseau social sur les usages linguistiques en montrant que des changements dans la structure du réseau étaient accompagnés de modification dans l'usage des variantes.

Tout d'abord, une étude chez l'enfant met en évidence que la constitution du réseau de pairs au sein d’une classe de maternelle modifie l'usage des enfants. En suivant longitudinalement un groupe d’enfants de maternelle d’origines sociales diversifiée, Nardy

(2008) observe que l’homogénéisation du réseau amical au sein du groupe classe entre 4 et 5 ans se traduit par une convergence des usages de certaines variables sociolinguistiques. Il en va de même chez l'adulte, l'étude d'Auer, Barden et Groβkopf (2000) indique qu'un changement radical de réseau social peut induire des transformations dans les usages langagiers. Cette étude a été menée dans le contexte particulier de l'Allemagne où de forts bouleversements politiques et économiques ont amenés la population a émigré de l'est vers l'ouest. Ils ont ainsi démontré que le degré de satisfaction d'intégration à un nouveau réseau social était fortement corrélé aux comportements langagiers. Les auteurs ont étudié des traits phonétiques du Vernaculaire Saxon Supérieur, typique de la région de l'est, et leur évolution sur deux années chez 56 locuteurs qui avaient émigré. Les résultats révèlent que les taux d'usage des variantes du saxon ont considérablement baissé durant les deux premières années d'intégration dans la nouvelle région. Les chercheurs constatent cependant qu'un locuteur, M. V. après un déclin durant la première année a ensuite augmenté l'usage des traits phonétiques saxons lors de la deuxième année. L'étude détaillée de son réseau social démontre que cet homme, qui dans un premier temps était satisfait de son intégration et du nombre de ces contacts avec les locuteurs natifs de sa nouvelle région, a ensuite subi un changement radical dans son réseau social au cours de la deuxième année. Suite à la perte de son emploi, les liens uniplexes et superficiels entretenus avec ses collègues de travail se sont estompés. Il a donc réactivé les liens avec ses amis et sa famille vivant dans sa région d'origine. Ces changements se sont en conséquence traduit dans ses pratiques langagières et expliquent donc l'évolution de l'usage des traits phonologiques.

Dans un contexte de plurilinguisme, l'étude des comportements langagiers des migrants démontre également l'influence du réseau social sur l'usage des langues. Ainsi, l'étude de Milroy & Wei (1995) menée sur trois générations d'individus issues d'une communauté chinoise ayant émigré en Angleterre observe les choix de langues et les phénomènes de code- switching en fonction de la sociabilité des locuteurs. L'observation de 58 locuteurs lors de conversations spontanées au sein de dix familles, conduit à identifier trois groupes de migrants, correspondant approximativement aux trois générations : les grands-parents, les parents et les enfants. Chaque groupe a créé un type de réseau social spécifique. Le premier groupe a construit un réseau constitué principalement de membre de leur famille et la langue la plus utilisée est donc le chinois. Le second groupe a développé un réseau social composé d'autres migrants chinois et le dernier groupe a intégré un réseau social de pairs locuteurs natifs utilisant ainsi plus fréquemment la langue anglaise. Les auteurs constatent sans surprise que les locuteurs ayant créé un réseau social dense dans la communauté d'accueil ont

augmenté leur niveau de langue de manière significativement supérieure à ceux ayant un réseau social lâche. Ainsi, même lorsque les locuteurs sont exposés à un environnement langagier important lié à une activité professionnelle dans la communauté d'accueil, c'est avant tout la constitution de leur réseau social qui semble le plus influencer leur maîtrise de la langue anglaise. Par conséquent, l'étude du réseau social d'un individu peut s'avérer révélateur de ses usages linguistiques et sociolinguistiques ainsi que de sa disposition à apprendre une variété sociolinguistique ou une langue qui n'est pas parlée dans sa famille d'origine.