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Réponses physiologiques individuelles des Corallinacées à l’AO

Material and Methods

1. Réponses physiologiques individuelles des Corallinacées à l’AO

Les réponses physiologiques en termes de production primaire, respiration et calcification mesurées au cours des expériences menées dans cette thèse montrent qu’il n’existe pas de réponse standard des algues Corallinacées face à l’AO. Le processus de photosynthèse peut être stimulé comme contraint par l’augmentation de la pCO2 suivant la

physiologie de chaque espèce. En revanche, la respiration est généralement non affectée (Tableau I3-1). Bien que la calcification présente une tendance assez générale à diminuer quand le pH diminue (Tableau I3-1), certaines espèces, notamment inféodées aux milieux hypervariables (cuvettes rocheuses, estran etc) semblent être préadaptées à de fortes variations de pH et ne souffrent d’aucun changement de calcification (ex : Corallina elongata ; Egilsdottir et al. 2013 ; Noisette et al. 2013a). Ces réponses sont spécifiques des espèces et peuvent varier en fonction des mécanismes d’assimilation de carbone des macroalgues (Hepburn et al. 2011) et de leur régulation pour économiser de l’énergie (Cornwall et al. 2012), d’adaptations développées en fonction de leur l’histoire de vie environnementale (i.e. les variations abiotiques subies par les organismes) (O'Connor et al. 2012) mais aussi en fonction des paramètres expérimentaux appliqués.

Les temps d’acclimatation aux différents scénarios de pCO2 semblent jouer un rôle

majeur dans les réponses mesurées chez les macroalgues (Harley et al. 2012). Hoffman et al. (2013) ont notamment montré que les premières réponses enzymatiques de C. officinalis à l’augmentation de pCO2 n’avaient lieu que 3 semaines après le début de l’expérience. Alors

que le taux de calcification de Lithophyllum cabiochae a été significativement réduit à une

pCO2 de 700 µatm au bout d’un mois de traitement, aucun effet de la pCO2 n’a pu être mis en

évidence sur le processus de calcification durant la suite de l’expérience menée sur un an (Martin & Gattuso 2009). Cette absence d’effet est le signe potentiel d’une acclimatation des algues à l’augmentation de la pCO2 au cours du temps. La rapidité et la stabilité du stress dans

le temps (i.e. faible pH constant versus variations de pH nycthémérales) peuvent aussi influencer les mécanismes de réponse des macroalgues (Cornwall et al. 2013b). Par exemple,

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chez Lithothmanion glaciale, la calcification augmente pour résister à une diminution de pH qui reste stable dans le temps, alors qu’une diminution de pH rapide et brutale altère sa structure calcaire la rendant plus fragile (Kamenos et al. 2013). La vitesse réelle de la diminution du pH induite par le phénomène d’AO (0,02 à 0,045 unités an-1 en zone côtière ; Wootton et al. 2008 et Provoost et al. 2010, respectivement) est impossible à reproduire à la même échelle temporelle en laboratoire en raison de moyens techniques, humains et financiers à mettre en œuvre. Respecter une phase d’acclimatation relativement longue devient alors important pour éviter d’observer des réactions subites à des phénomènes de stress et appréhender les réponses spécifiques des macroalgues, aussi réelles que possible, à l’augmentation de la pCO2.

Il est important de souligner que la majorité des études traitant de l’impact de la pCO2

sur les macroalgues ont été conduites sur des thalles adultes. Il est en effet plus facile de récolter et d’utiliser ces stades macroscopiques que de travailler sur les jeunes stades de vie souvent microscopiques et dont la production en laboratoire n’est pas toujours maitrisée. Les stades de vie précoces pourraient être les stades les plus sensibles à l’AO mais très peu d’études se sont concentrées sur leurs réponses physiologiques et leur colonisation dans un contexte d’augmentation de la pCO2. Les jeunes thalles de l’algue Corallinacée encroûtante

Phymatholithon lenormandii sont affectés par la diminution du pH, maintenant un processus

de calcification désordonné malgré une augmentation de la mortalité et des anomalies du thalle (Bradassi et al. 2013). Cette sensibilité des jeunes stades d’algues calcaires est aussi démontrée dans une étude in situ de Porzio et al. (2013) réalisée sur le site d’Ischia en Italie où les émissions de CO2 volcanique font naturellement diminuer le pH. En zone de faible pH,

le recrutement des algues calcaires est quasi inexistant (Kroeker et al. 2013b) et les structures reproductives d’espèces calcifiantes comme Jania rubens sont réduites (Porzio et al. 2011). Ces modifications entrainent un changement dans les phases successives de colonisation des macroalgues. Les algues calcaires pionnières sont remplacées par des algues encroûtantes non calcaires et les communautés sont finalement dominées par des espèces gazonnantes (Porzio

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Tableau I3-1: Synthèse des études traitant de l'impact de l'acidification des océans (augmentation pCO2)

sur les Corallinacées. Les symboles ↑ et ↓ représentent respectivement une augmentation et une diminution des processus avec l’augmentation de la pCO2alors que ∩ fait état d’une réponse en forme de cloche. ─ signifie

qu’il n’y a pas de variation significative de la réponse en fonction de la pCO2. Les réponses surlignées en bleu

sont des réponses à une augmentation conjointe de la pCO2 et de la température.

Milieu Morphotype Espèce Photosynthèse Respiration Calcification Référence

Tropical Géniculée Amphiroa anceps ∩ Borowitzka 1981

Tropical Géniculée Amphiroa foliacea ↑ ─ Borowitzka 1981 Tropical Géniculée Corallina sessilis ↓ ↓ Gao & Zheng 2010

Tropical Encroutante Hydrolithon onkodes

Johnson & Carpenter 2012

Tropical Rhodolithe Hydrolithon sp. ─ ─ ↓ Semesi et al. 2009a Tropical Encroutante Lithophyllum pallescens,

Hydrolithon sp. Porolithon sp.

Jokiel et al. 2008 Tropical Encroutante Neogoniolithon sp. Ries et al. 2009) Tropical Encroutante Porolithon gardineri ↓ Agegian 1985 Tropical Encroutante Porolithon onkodes

↓↓

↓ ↓↓

Anthony et al. 2008

Tropical Encroutante Porolithon onkodes

↓↓

Diaz-Pulido et al. 2012

Tropical Encroutante Porolithon onkodes Kline et al. 2012 Tempéré Géniculée Bossiella orbinaria ∩ Smith and Roth 1979 Tempéré Géniculée Corallina elongata ─ ─ ─ Egilsdottir et al. 2013 Tempéré Géniculée Corallina elongata ─ ─ ─ Noisette et al. 2013a Tempéré Géniculée Corallina officinalis ─ ou ↓ ∩ ↓ Hofmann et al. 2012b Tempéré Géniculée Corallina officinalis ─ ─ ∩ Hofmann et al. 2012a Tempéré Géniculée Corallina pilulifera Gao et al. 1993 Tempéré Encroutante Lithophyllum cabiochae

─ ─ ─ ou ↓ ─ ou ↑ ─ ou ↓ Martin et al. 2013b

Tempéré Encroutante Lithophyllum cabiochae

Martin & Gattuso 2009

Tempéré Encroutante Lithophyllum incrustans ─ ↑ ↓ Noisette et al. 2013a Tempéré Rhodolithe Lithothamnion corallioides ↑ ─ ↓ Noisette et al. 2013a Tempéré Rhodolithe Lithothamnion corallioides

─ ─ ─ ↓↓ ↓ Noisette et al. 2013b

Polaire Rhodolithe Lithothamnion glaciale

Büdenbender et al. 2011

Polaire Rhodolithe Lithothamnion glaciale Ragazzola et al. 2012 Polaire Rhodolithe Lithothamnion glaciale Ragazzola et al. 2013 Polaire Rhodolithe Lithothamnion glaciale ─ ─ ↑ Kamenos et al. 2013

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Les réponses de respiration et de photosynthèse ont été déterminées par mesures d'O2, de flux de carbone ou de fluorescence (PAM). Les réponses de calcification ont été déterminées par la technique d'anomalie de l'alcalinité, mesure du “buoyant weight”, ou croissance par marquage à l'alizarine.

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Connaitre les réponses des différentes phases du cycle de vie ainsi que les variations des conditions abiotiques du milieu de vie des macroalgues est nécessaire pour tenter de comprendre leur devenir dans des conditions futures d’AO. Alors que les Corallinacées étaient présentées jusqu’alors comme étant parmi les organismes les plus sensibles à l’acidification des océans, principalement à cause de leur squelette en calcite magnésienne, de plus en plus d’études tendent à démontrer que certaines espèces présentent d’importants potentiels de résistance face à l’augmentation de la pCO2. De potentielles capacités

d’adaptation (O'Connor et al. 2012), une grande plasticité phénotypique (Ragazzola et al. 2013) et la découverte de la dolomite comme composante des thalles calcaires (Nash et al. 2011; Nash et al. 2013) sont autant d’éléments qui amènent à réviser le jugement général de sensibilité de ces espèces dans un contexte d’acidification des océans.