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La répétition : figure de style ou faute stylistique ?

5. Les répétitions et leurs effets sur le lecteur

5.1. La répétition : figure de style ou faute stylistique ?

Lorsque j’ai commencé à traduire ce texte, j’ai vite ressenti un sentiment d’exaspération envers un mot en particulier et ses dérivés : offence. Au total, j’ai dénombré 77 occurrences rien que dans le prologue et la première partie du livre de Claire Fox. Mon premier réflexe a bien sûr été d’employer différents synonymes en fonction du contexte. Emmanuelle Prak-Derrington explique d’ailleurs : « Ce besoin de synonymiser s’est incrusté si profondément dans l’âme du traducteur qu’il choisira tout de suite un synonyme. 65 » Toutefois, ce réflexe revient à considérer la répétition dans le texte source comme vide de sens ; or « si un mot est répété plusieurs fois, c’est qu’il a été consciemment choisi par l’auteur 66 » dans un but précis. Dès lors, j’ai remis en question ma traduction initiale, j’ai réfléchi au sentiment que cette répétition avait suscité en moi et je me suis interrogé sur ce phénomène et ses effets.

Avant tout, je pense qu’il est important de définir les termes « récurrence », « répétition » et « reformulation », car ces phénomènes se chevauchent et vont parfois de pair. La récurrence en linguistique peut prendre la forme de redondances ou de répétitions et « pourrait être définie comme le retour, la réapparition, au sein d’un énoncé, d’un même élément 67 ». Quant à la répétition, J.-P. Richard la définit comme « le retour du même pouvant porter sur des éléments d’ordre phonique, lexical, morphologique, syntaxique, rythmique, thématique, voire narratif 68 ». Enfin, ce type de répétition non substitutive ne doit pas être confondu avec la reformulation, qui consiste uniquement à reformuler le sens 69. Dans le cadre de ce travail, je m’intéresserai uniquement à la répétition telle que définie par J.-P. Richard, et plus particulièrement aux répétitions lexicales par dérivation morphologique, qui selon moi, sont les

65 PRAK-DERRINGTON, Emmanuelle. « Traduire ou ne pas traduire les répétitions ». In Nouveaux cahiers d’allemand, Vol. 29, issue 3, 2011, p. 293.

66Ibid., p. 294.

67https://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9currence

68 JAY-RAYON, Laurence. « LES VOIES DE LA RÉPÉTITION DE HOVE, LA VOIX DE LA TRADUCTION DE RICHARD ». In Hermēneus, Vol. 16, 2014, p. 155.

69PRAK-DERRINGTON, Emmanuelle. « Les figures de la répétition revisitées ». In Le discours et la langue, Tome 7.2, 2015, p. 41.

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plus pertinentes par rapport à cette réflexion. Examinons à présent le cas du terme offence et de ses dérivés :

Barely a week goes by without reports of something ‘offensive’ being banned from campus.

Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que quelque chose « d’offensant » ne soit interdit sur un campus. (p. 14)

Credit to the teachers who invited me; they realised that this talk would most likely

offend the pupils.

Je tire mon chapeau aux enseignants qui m’ont invitée ; ils avaient conscience que cette discussion risquait d’offenser les élèves. (p. 10)

Almost everything I said in defence of Enlightenment values – my arguments against protecting any one group, whether based on religion, ethnicity or sexuality, from

offence – was met with gasps of disbelief.

Presque tous les arguments que j’ai avancés pour défendre les valeurs des Lumières – aucun groupe ne doit être protégé de

l’offense, qu’il soit fondé sur la religion, l’ethnie ou la sexualité – ont provoqué des cris de surprise. (p. 10)

This in turn creates what The Atlantic’s Jonathan Rauch calls the ‘offendedness

sweepstakes’.

À son tour, ce système engendre ce que Jonathan Rauch, journaliste pour The Atlantic, appelle « le concours du plus

offensé ». (p. 30) Keen to be associated with offended victims,

these literary figures argued against the decision to give the Freedom of Expression Courage Award to Charlie Hebdo.

Désireuses d’être associées aux victimes

offensées, ces personnalités littéraires ont plaidé contre la décision de décerner le prix « Courage et liberté d’expression » à

Charlie Hebdo. (p. 32) Scarily, this is backed up by hate speech

legislation, which says that if anybody interprets any word or view as racist then it is, regardless of the intention of the ‘offender’.

Pour comble, cette impression est appuyée par une législation sur les discours de haine, stipulant que si quiconque juge une expression ou une opinion raciste, alors elle l’est, quelle que soit l’intention de « l’offenseur ». (p. 27)

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Comme vous pouvez le constater, la racine offen- est combinée avec un morphème différent dans chaque exemple pour former un mot appartenant à une autre classe grammaticale. L’auteure a utilisé ce procédé à 77 reprises. Par conséquent, je ne pouvais pas considérer qu’il s’agissait d’une simple coïncidence. J’ai donc dû trouver un terme aussi naturel et récurrent qu’offense en anglais, avec lequel le même procédé de dérivation morphologique était possible. Sur la base des articles que j’avais consultés, plusieurs solutions s’offraient à moi : « blesser », « choquer » et « offenser ». J’étais réticent à utiliser ce dernier au départ, pensant qu’il s’agissait d’un calque de l’anglais peut-être, mais il s’est avéré que ce terme était la solution la plus adéquate parce que les substantifs dérivés des deux premières options, à savoir « blessure » et « choc », ne convenaient pas dans le contexte de ces polémiques. Par ailleurs, la dérivation morphologique était facilement réalisable avec la racine « offens- » en français. Par conséquent, j’ai choisi d’utiliser ce terme et ses dérivés dès que l’auteure les employait aussi. Cependant, je n’y suis pas toujours parvenu lorsque le contexte ne le permettait pas, mais j’ai compensé cette perte à d’autres endroits dans ma traduction :

This effectively incites ‘victims’ to shout offence and expect a clampdown.

En réalité, ceci encourage les « victimes » à

crier au loup puis à attendre une répression. (p. 28)

Then there was the 2015 offence row

centring on sassy female rock star Chrissie Hynde.

En 2015, Chrissie Hynde, la rock star insolente, s’est aussi retrouvée sous le feu des projecteurs à cause d’une polémique. (p. 21) One famous case shows that the

witch-hunters can pillory people wilfully, even for what they did not say.

Un cas célèbre montre que les chasseurs de l’offense peuvent blâmer les gens délibérément, même pour ce qu’ils n’ont pas dit. (p. 23)

everyday verbal, nonverbal, and environmental slights, snubs, or insults, whether intentional or unintentional ... may on the surface appear quite harmless, trivial, or be described as ‘small slights’ […]

offenses, ces rebuffades ou ces insultes quotidiennes, qu’elles soient verbales, non verbales ou environnementales, intentionnelles ou non intentionnelles, […] peuvent à première vue sembler plutôt inoffensives, insignifiantes ou être décrites comme des « offenses bénignes » […] (p. 31)

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