Qui dit invention d’un nouveau métier de la communication au sein d’un service, dit réorganisation des fonctions au sein même de ce service. En effet, dans un cas comme le nôtre, les besoins qui amènent à la création du métier de chargé de communication terrain ont la plupart du temps été gérés par d’autres personnes appartenant à ces services de communication. Les fiches de poste se voient alors modifiées et les tâches de certains se voient soit diminués, soit remplacées et réorganisées par d’autres fonctions. Il est en tout cas indéniable que la création d’un tel poste dans les ONG affecte la division du travail au sein du service de communication. Cela peut jusqu’à provoquer des suppressions de postes au sein du siège social de l’ONG, comme nous l’évoque Luc Evrard de chez Médecins du Monde, « dans l’idéal, je pense que tous programmes importants devraient avoir son chargé
de com terrain, ne serait-‐ce que parce que cela concerne nos relations avec les médias et les opinions locales… Il y a tout un travail à faire. Ce n’est pas encore totalement dans les mœurs, et cela voudrait dire un déshabillement du service ici, déjà que nous ne sommes pas assez nombreux pour faire tout ce que l’on a à faire ». Cela rend d’autant plus difficile la création d’un nouveau métier et d’un nouveau poste dans les services de communication des ONG, et nécessite une stratégie de réorganisation du service.
Le cas de Médecins Sans Frontières (France) qui a commencé à créer ces nouveaux postes de « chargés de communication terrain » depuis plusieurs années, illustre assez bien cette réorganisation des fonctions au sein du service de communication. Il faut noter la différence avec les autres sections de Médecins Sans Frontières qui n’ont pas forcément le même fonctionnement que la section à Paris. En effet, Isabelle Merny, coordinatrice de la communication opérationnelle nous explique que « chez nous, les précurseurs un peu en la matière, ce sont les Suisses et les Belges. Ils avaient depuis plus longtemps que nous, cet automatisme de mettre un chargé de com terrain. Et effectivement, on les a un peu calqué sur ce modèle-‐là parce qu’au final, le chargé de com terrain, c’est quand même un autre métier que chargé de com siège ». Nous avons ainsi pu discuter avec Isabelle Merny des circonstances qui ont poussées Médecins Sans Frontières à créer un poste de spécialiste de la communication terrain. Elle nous explique que jusqu’à l’année dernière (2014), les chargés de communication « siège » à Paris étaient ce qu’on appelle « deské ». Chaque desk (bureau) dans les ONG s’occupe d’un certain nombre de pays au niveau opérationnel. Chez Médecins Sans Frontières, six desks sont présents et donc six chargés de communication, un par desk. Elle nous renseigne que « ces chargés de com deskés suivaient le porte feuille de pays de tel desk. Moi par exemple, j’étais sur le desk A, j’avais la République Centrafricaine, le Niger, le Burkina etc. Et je m’occupais de la communication auprès de ces pays-‐là. Donc pas vraiment besoin de chargés de com terrain à l’époque, parce que le chargé de com siège s’en occupait. Il y avait des visites terrains, il y avait le contact avec les chefs de missions, le desk etc. Il était basé ici, avec partage d’information… ». Nous préciserons ici que ceci n’est pas le schéma traditionnel dans toutes les ONG. En effet, chez Solidarités International par exemple, tous les desk sont rattachés à un seul et même chargé de communication, le « chargé de communication missions » (différent du « chargé de communication évènementielle et campagnes »). Le volume opérationnel de Médecins Sans Frontières et la taille de l’organisation explique ce nombre important de chargés de communication, tous rattachés à un desk. Isabelle Merny nous explique également que l’ONG avait quelques chargés de communication terrain, « mais plutôt sur des terrains où il y avait énormément de sections26, et beaucoup d’actualités. Donc type RCA, où les cinq sections de MSF sont présentes, où c’est un volume opérationnel énorme et où il y avait énormément d’actualités. On avait mis quelqu’un sur le terrain à ce moment-‐là qui au départ était un ‘’emergency com
26 Les « sections » chez MSF sont des éléments propres à l’organisation et à son fonctionnement qui signifie les
différentes sections opérationnelles de l’ONG dans les autres pays. Il y a par exemple MSF Belgique, MSF Suisse etc. Certaines sections peuvent donc se retrouver dans un même pays, et avoir des projets complètement
officer’’ (chargé de communication urgence) qui après est devenu un ‘’field com manager’’ (manager de la communication terrain), un truc un peu plus pérenne, plus régulier. Mais dans ces cas de situations un peu extrêmes, on mettait déjà des gens sur le terrain. Mais ça restait vraiment un peu l’exception, et un peu ponctuel ». On comprend à travers les explications d’Isabelle Merny que le volume d’activités dans un pays, et donc le volume d’actualités dans ce pays, rendent nécessaire la présence de quelqu’un sur le terrain, et ce de façon régulière. En effet, un chargé de com qui serait rattaché au desk de la République Centrafricaine par exemple, ne pourrait se rendre de façon régulière sur le terrain, ayant à sa charge d’autres pays à gérer. Le volume d’actualités ne pourrait donc permettre une communication rapide et efficace sur le pays en question, d’où le placement de chargés de communication terrain sur ces pays-‐là.
Ces pays possédant exceptionnellement des chargés de communication terrain sont en quelque sortes des « pilotes » et des « modèles » qui permettent à l’ONG de s’interroger sur la question de la création d’autres postes de ce genre, dans les autres pays d’intervention. Nous supposons également que ces pays « pilotes » en matière de communication opérationnelle, ont pu influencer l’ONG Médecins Sans Frontières dans sa volonté de créer d’autres postes de chargé de communication terrain, d’une façon plus stable et régulière. Isabelle Merny nous explique donc qu’il y a un an, « la communication s’est réorganisée à MSF. Et on a décidé de scinder le département en trois unités : donc la première unité que moi j’ai prise et que je coordonne, celle de la communication opérationnelle ; la deuxième unité, c’est l’unité de production donc c’est tout ce qui est inhérent au web, à l’audiovisuel, aux réseaux sociaux, à la photo… donc toutes ces productions d’outils et de déclinaisons de messages en outils ; et la troisième unité, c’est l’unité relations vers l’extérieur, relations presses et médias ». L’idée étant chez Médecins Sans Frontières, que le pôle 1 élabore des stratégies avec les opérations et commence à prendre des initiatives, des messages etc. ; qui sont ensuite déclinés par le pôle 2, et vendus à l’extérieur par le pôle 3. C’est donc à la base même de cette réorganisation générale de la communication chez Médecins Sans Frontières que les créations de postes de chargés de communication terrain ont vu le jour. Dans cette réorganisation, « nous nous avons nettement diminué le nombre de chargés de communication, donc siège, nous confie Isabelle Merny. Déjà, ils ont été dé-‐deské, donc aujourd’hui on doit être tous capable de pouvoir s’occuper de sujets qui tombent, et plus devenir les spécialistes de la RCA, de la Palestine etc. Et on a remplacé ces postes en moins à Paris par des postes de chargés de com terrain. Donc en fonction des projets, et des missions qu’on a décrétées être des priorités de communication opérationnelle, on y a mis des personnes. Donc on l’a fait sur Jérusalem par exemple, puisqu’on avait décidé, pour nos 10 ans à Naplouse et l’anniversaire de la guerre de Gaza, que ce serait une priorité de com opérationnelle et on y a mis une chargée de com opérationnelle ». Et ainsi de suite, en fonction des missions de l’ONG jugées être des priorités de communication, Médecins Sans Frontières a commencé à créer ces nouveaux postes, et en a à l’heure d’aujourd’hui une quarantaine. Même si ces postes sont toujours premièrement proposés en interne, la plupart ont été totalement recrutés de l’extérieur.
Nous le voyons donc, dans le cas de Médecins Sans Frontières, la réorganisation de la communication (certes de manière globale) a conduit à des suppressions de postes ; à la réorganisation des fonctions des chargés de communication au siège qui se voient non plus à gérer qu’un seul desk, mais doivent être capables de gérer tous les pays d’intervention de l’ONG ; à l’embauche de nouveaux communicants pour les postes de chargés de communication terrain ; à définir des pays de priorité de communication opérationnelle etc. Si le cas de cette grosse maison qu’est Médecins Sans Frontières illustre assez bien la réorganisation des fonctions au sein d’un service de communication, des ONG moins grandes au niveau opérationnel, mais aussi en matière de communication, ont les mêmes enjeux. C’est le cas de Solidarités International, qui lors de son exercice stratégique mettant en avant la volonté d’opérationnaliser le témoignage, a opté pour une réorganisation du service de communication. En effet, même si la création de postes de chargés de communication terrain n’a pas encore eu lieu, le service a commencé à préparer ces créations de postes. Le service était composé d’une seule chargée de communication s’occupant aussi bien de la communication opérationnelle, des campagnes institutionnelles, des évènements etc. Cette chargée de communication était complétée par la présence de responsables des publications et relations presse, une responsable de la communication digitale et une assistante de communication. Pour préparer l’opérationnalisation du témoignage et l’arrivée de nouveaux chargés de communication sur le terrain, l’ONG Solidarités International a décidé de scinder le poste de chargé de communication (siège) en deux. C’est ainsi que le poste est devenu celui de « chargé de communication missions et témoignage », l’autre partie étant une « chargée de communication évènementielle, campagnes institutionnelles et vie associative ». Ces deux postes sont bien évidemment complémentaires et ont besoin de travailler ensemble. Les fonctions de la chargée de communication présente avant l’exercice stratégique de l’ONG se sont donc vues modifiées et une vraie réorganisation du service a bien eu lieu, conséquences de l’opérationnalisation du témoignage et de l’arrivée de chargés de communication terrain.
Si l’invention et la création de ce nouveau métier qu’est le chargé de communication terrain provoque dans les ONG une réorganisation des services de communication, on ne peut s’empêcher de se demander quelle va être la place et le rôle du chargé de communication « siège », qui se voit dans une toute autre place dans la stratégie de communication de l’organisation.
C. Formateur et coordinateur : place et rôle du chargé de communication