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Rémy Rioux. – Je vous adresserai une fiche avec un état précis des projets

Mercredi 10 juin 2020

M. Rémy Rioux. – Je vous adresserai une fiche avec un état précis des projets

Nous regardons le métro de Belgrade, avec d’autres. Nos ambassadeurs, dans cette zone pourtant si proche et si stratégique, n’avaient pas d’instrument alors que nos collègues allemands sont présents, ainsi que les banques européennes. Nous sommes maintenant présents et commencerons des financements d’infrastructures. Nous disposons désormais d’une équipe à Belgrade qui couvre ce mandat pour l’ensemble des Balkans.

M. Ronan Dantec. – L’audition se veut prospective et j’aurai deux questions.

La première concerne l’Europe. Il est difficile d’avoir une vision claire des relations géopolitiques et géostratégiques dans quelques mois, mais nous sentons toutefois une volonté de réaffirmation de l’Europe. Les banques de développement françaises, allemandes et européennes pourraient-elles être demain un outil plus affirmé par l’Europe, y compris dans sa réaffirmation géopolitique ? Le modèle de l’action des banques de développement pourrait-il être différent, au-delà de l’intégration des enjeux Climat et biodiversité, dans le cadre d’une autre stratégie européenne ?

Ma seconde question est liée au tourisme en Afrique. Le tourisme est un secteur extrêmement important du développement de nombreux pays, notamment africains, comme au Maroc ou en Afrique australe avec le tourisme de biodiversité. Douze milliards d’euros de pertes pourraient être enregistrés en lien avec la crise Covid-19 pour l’industrie du safari.

L’AFD intègre-t-elle dans sa stratégie cette question du tourisme, relancé ou pensé différemment avec un vrai enjeu sur la biodiversité ? Des informations extrêmement inquiétantes parviennent sur l’état de certains parcs africains qui n’ont plus aucune recette.

Dans les recettes de l’AFD, le fonds de solidarité pour le développement (FSD) d’environ 200 millions d’euros est financé par la taxe Chirac sur les billets d’avion. Est-ce que cette recette est menacée, ainsi qu’un certain nombre de projets de l’AFD liés aux compensations aériennes ?

Mme Martine Filleul. – Mes préoccupations concernent la santé. Sur les cinq nouvelles maladies humaines qui apparaissent chaque année en moyenne, trois sont d’origine animale. Avec la crise du Covid-19, nous avons vu comment la santé humaine pouvait trouver des moyens de traiter, de soigner, mais elle ne permet pas de prévenir et d’anticiper le risque épidémique. Il semble qu’il faille mieux tenir compte de l’interdépendance entre la santé animale, la santé humaine et la santé des écosystèmes. Cette conception de la santé progresse depuis les années 2000, avec la première apparition des premiers virus H1N1, etc. Si cette conception s’impose dans les idées, elle a toutefois beaucoup de mal à s’imposer dans les faits, car elle se heurte à une faiblesse des moyens, particulièrement en Afrique où la santé animale est laissée pour compte. Elle s’oppose également à une conception assez universelle d’un fonctionnement en tuyaux d’orgue. Nous avons assez peu l’habitude, même en France, de travailler de manière transversale, alors que la prévention l’impose pourtant. Elle s’oppose enfin à des réticences quant à la mise en œuvre des politiques de prévention, difficilement quantifiées. Nous pouvons l’observer en France au travers de la quasi-disparition de la santé au travail et de la santé scolaire.

Si je pense que vous êtes convaincu, monsieur le directeur, de l’intérêt d’une telle médecine globale, comment l’intégrez-vous concrètement dans les politiques de santé que vous pouvez mener ? Comment intégrez-vous des critères, dans les aides que vous accordez aux différents pays du monde ?

M. Benoît Huré. – Merci, Monsieur le Président, d’avoir organisé cette rencontre nécessaire et attendue, merci, Monsieur le Directeur général, d’avoir répondu à notre demande.

Je suis un ancien sénateur et cette commission était auparavant également la commission du développement économique. Je me demande si nous n’avons pas eu tort de la scinder, puisque nous voyons aujourd’hui que les choses sont très imbriquées.

Vous considérez que le développement durable est une gestion responsable, raisonnée et efficace des ressources. Nous savons que l’aide a de plus forts impacts quand elle est gérée localement, dans le cadre d’un partenariat équitable, fondé sur les principes humanitaires. Tout le monde s’accorde à le reconnaître, tant à l’ONU qu’au sein de la Commission européenne. Ce changement de paradigme vertical et transversal est nécessaire, mais pourtant difficile à engager. J’ai lu que 40 millions d’euros avaient été annoncés pour les ONG du Sud : cette somme passera-t-elle par les ONG du Nord ?

Le système peine à changer et le montant de l’aide arrivant véritablement dans les territoires concernés reste faible. La participation des acteurs locaux est souvent citée et elle est d’une grande efficacité puisqu’elle se double d’une formation des bénéficiaires de ces programmes. Ces acteurs locaux sont pourtant assez peu sollicités par nos ONG internationales. Quelle est la vision française de la localisation, vis-à-vis des acteurs locaux, de la société civile ou des autorités locales ou régionales ?

Pour se transformer, le secteur a besoin de champions et je crois que l’AFD pourrait être ce champion – j’en ai même la conviction.

Je profite de votre présence pour vous parler d’un point. J’ai entendu parler, il y a quelques jours, de la « théorie économique du Donut », par un des membres du think tank humanitaire IARAN installé dans les Ardennes, Kate Raworth. J’ai été interpellé et intéressé.

Quelle est votre vision par rapport à cela ?

Nous sommes dans un monde dynamique et nous sommes véritablement en phase avec notre temps ici, en organisant ces auditions sur le monde d’après. Je reste plein d’espoir.

M. Frédéric Marchand. – Vous l’avez dit, le référentiel des objectifs de développement durable (ODD) est de plus en plus partagé, ce dont nous pouvons nous féliciter. Le financement de cet agenda 2030 suppose de veiller à ce que les investissements ne soient pas en contradiction avec les objectifs environnementaux et sociaux tels que le climat et la biodiversité, mais aussi les inégalités et la sécurité alimentaire. Or, une part importante des flux financiers n’est pas toujours alignée, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, ni même compatible avec les ODD. Une étude de l’OCDE de 2019 démontre que les investissements publics et privés favorisent toujours les investissements liés aux combustibles fossiles. Ne pensez-vous qu’il est temps de mettre en place des cadres et des normes afin de faciliter une meilleure compréhension des investissements durables, de la destination des différents flux et de leur impact réel afin de réduire les risques croissants des ODD washing ?

M. Rémy Rioux. – Monsieur Dantec, je crois que l’Europe se situe effectivement à un moment particulier. Depuis longtemps, nous n’avions pas eu une signature aussi forte que l’European New Green Deal. Ces dernières années, n’existaient au plan international que les routes de la soie, comme vision et comme projet. Nous nous positionnons par rapport aux routes de la soie, en parlant de routes de la soie vertes ou de connectivité, en réaction. Nous assistons actuellement à l’affirmation d’une identité, d’un plan d’investissement, ce qui n’est pas facile face à la crise profonde. Ce point a retenu l’attention du monde. Quand j’ai débuté ma carrière sur ces sujets il y a une vingtaine d’années, la construction européenne était quelque chose de puissant. Dans un moment où les constructions régionales et les intégrations régionales en Afrique ne fonctionnent pas si mal et où la question de chaîne de valeurs, de relocalisations et de monde multipolaire se pose, je trouve que l’expérience européenne est intéressante, avec ses forces et ses faiblesses. Ce moment, rendu possible ou difficile par la

confrontation entre la Chine et les États-Unis, peut s’exprimer par de la solidarité, avec de possibles taxes carbones aux frontières, mais nous devons prendre garde à ce qu’elles ne soient pas perçues par nos partenaires africains comme une fermeture. De telles mesures devraient s’accompagner d’investissements dans les économies africaines qui les relient à l’Europe. Des instruments comme le nôtre existent, avec la BEI, la BERD, la KfW…

La moitié de l’aide publique au développement du monde est européenne : en additionnant les actions de la Commission et des États membres, la somme atteint 75 milliards de dollars chaque année. Il est important d’avoir un projet européen incarné, visible, dynamique et ambitieux, avec un puissant volet international de développement et de solidarité, comprenant des investissements de développement durable.

Au début de la crise du Covid-19, nous avons parlé avec la Commission européenne et la direction générale DEVCO qui s’occupe du développement. Les directeurs généraux du développement de tous les États membres se sont réunis, avec la Commission, dès fin mars, au moment où les discussions sur les réponses à la crise étaient loin d’être consensuelles au niveau européen. Nous avons trouvé très vite un consensus, entre acteurs de développement. Le 3 ou le 4 avril, la Commission a annoncé 20 milliards d’euros mobilisés pour répondre à la crise, additionnant pour la première fois les moyens de la Commission et les moyens des États membres, dont les 1,2 milliard d’euros français que nous portions.

Le #Team Europe est né à ce moment-là et nous le faisons vivre pour qu’il y ait une identité de l’action de l’ensemble des institutions européennes, qui forme de plus en plus un système d’institutions de développement, avec la Commission au centre, avec la Banque européenne d’investissement (BEI), avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et avec les institutions de chaque État membre. Il s’agit parfois d’une banque, comme l’AFD, parfois d’une agence de dons, comme en Suède, parfois d’une agence de coopération technique. Ces acteurs échangent, mènent des projets ensemble et cofinancent de manière de plus en plus intégrée au niveau européen. Si ceci peut servir un moment géopolitique, dans l’intérêt de notre pays et de son engagement européen, ce serait formidable. Nous avons réagi relativement vite et cherchons à être présents aux côtés des multilatéraux sur ces sujets.

Sur le tourisme, la crise touche les pays en développement, de manière multiple.

La crise est totalement exogène et le tarissement des flux touristiques en est l’une des manifestations. Le secteur est compliqué, notamment en matière de développement durable.

Ce sujet constitue un bon exemple puisque nous devons jouer notre rôle contra-cyclique pour permettre aux clients de Proparco de passer la crise, tout en menant un dialogue avec des exigences encore plus élevées pour tracer un chemin d’investissement et changer le tourisme d’avant et d’après la crise. Nous avons de bons exemples, mais si nous devons aider d’autres entreprises touristiques à traverser la crise, il conviendra de trouver de bons équilibres entre la réponse d’urgence, moins conditionnée, et le dialogue pour que les partenaires deviennent ensuite des acteurs du développement durable.

Sur le FSD, je pense que la question concerne plutôt le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de l’économie et des finances, qui mettent en place ces financements innovants, constatent l’impact de la crise sur leur mobilisation et leur prélèvement et doivent en voir les conséquences budgétaires pour maintenir le même niveau d’ambition, ou l’accroître. Cela se traduirait in fine par des dispositions en loi de finances.

Je ne dispose pas d’informations à ce stade sur d’éventuelles pertes de recettes, même si elles semblent inévitables compte tenu de la crise que traverse le transport aérien et des conséquences que cela peut avoir sur les moyens budgétaires de l’AFD.

Madame Filleul, nous sommes descendus très bas sur les sujets de santé, secteur qui requiert des ressources en subvention pour passer par les canaux des gouvernements ou par la société civile. La santé ne représentait plus que 2 % des investissements de notre Agence : cette proportion a bien augmenté depuis deux ans. Ceci nous permet de financer des projets sur la dimension économique puisque c’est un secteur économique très important, même si sa rentabilité est différée. Le volet baptisé « one health » est nouveau, et nous avons encore peu de preuves d’exemples de recherches systématiques et d’exploration des liens entre santé animale et santé humaine. Nous sommes maintenant incités à le faire. Sur la santé, de grands fonds verticaux traitent de maladies particulières. De l’argent international est actuellement mobilisé pour développer un vaccin qui bénéficiera à toute la population mondiale, ce qui est très intéressant. Nous cherchons les modalités de financement d’un bien commun mondial, à savoir le vaccin contre le Covid-19. Nous avons besoin de coopération internationale et d’un certain niveau de financement international pour coordonner les efforts de chaque pays en matière de recherche puis de diffusion. La Commission européenne a pris cette initiative, avec la France. Pour l’AFD, notre axe sur la santé concerne le renforcement des systèmes de santé, en particulier dans les pays où ces systèmes sont très faibles, très défaillants, pour les rendre en capacité de faire face à une pluralité de maladies potentielles.

Monsieur Huré, nous gérons depuis dix ans un guichet, ou une capacité financière, de 100 millions d’euros qui est l’endroit où les ONG françaises viennent exercer leur droit d’initiative. Les ONG présentent des projets, sélectionnés par un comité. Ce guichet est devenu le principal lieu de financement de l’action internationale des collectivités locales.

Avec la société civile, l’action de l’AFD représente 400 millions d’euros. L’enjeu consiste, une fois que nous avons appris à travailler avec la société civile, à les entraîner dans les autres projets financés par l’AFD, notamment dans le Sahel, en passant alors par des ONG locales à cause des risques de sécurité et de rejet qui existeraient sinon.

Plus largement, dans le monde du financement du développement, notre Agence présente une particularité puisque la moitié de nos financements passe par des canaux financiers non souverains. Pour simplifier, la moitié des financements de l’AFD passe par les gouvernements et l’autre moitié par d’autres acteurs. L’AFD a appris à passer par la société civile, chez nous et au Sud. L’AFD est quasiment une des seules agences de développement qui sait prêter à des collectivités locales du Sud. En Afrique du Sud, le gouvernement central a longtemps refusé de s’endetter auprès des institutions internationales, tandis que les collectivités telles que Johannesburg, Durban, Le Cap ou Medellín, étaient prêtes à le faire.

Nous avons alors apporté des dons ou même des prêts, avec des risques pris sur les collectivités locales du Sud, sans passer par la garantie de l’État central. Une grande partie des investissements dans les infrastructures passe non pas par les gouvernements centraux, mais par les collectivités locales, partout dans le monde, et il faut donc parvenir à atteindre ces contreparties pour qu’elles fassent les investissements les plus durables possible.

Sur la théorie du Donut, Gaël Giraud que vous avez auditionné était le chef économiste de l’AFD et nous avons vécu une période avec beaucoup d’idées et d’innovations.

Cette représentation de l’économie comme une pâtisserie anglo-saxonne a des adeptes dans notre maison. De nombreuses ressources se trouvent sur le site de l’AFD, ainsi que des recherches mises en place et rendues publiques. Pendant le confinement, nous avons mis en place une offre de MOOC.

Monsieur Marchand, il est urgent que le référentiel ODD advienne. Nous avons fixé les objectifs de finances Climat dans le cadre de l’Accord de Paris et ce travail a débuté pour la biodiversité. Tout ceci doit se consolider dans un référentiel développement durable

validé par les institutions internationales : ce référentiel doit avoir un effet d’entraînement non seulement sur l’AFD, mais aussi sur les flux financiers privés au niveau des portefeuilles des institutions financières et des trajectoires des pays. C’est le passage de l’aide publique au développement, référentiel existant, avec un comité à l’OCDE, à l’investissement de développement durable qui est encore très incertain. Nous n’avons pas encore le cadre global dans lequel tous les acteurs pourraient s’inscrire. Il nous manque également au plan international une institution multilatérale qui donne un avis sur les trajectoires des pays. Être aligné avec l’Accord de Paris requiert de vérifier si un projet a une contribution positive, mais aussi s’inscrit ou non dans une trajectoire de moyen et long terme définie par le pays conformément à l’Accord de Paris. En fonction de ce que nous pensons de la trajectoire d’un pays, l’AFD choisit tel ou tel instrument financier. Si un pays a une très bonne trajectoire climat, le plus simple consiste à lui accorder une aide budgétaire. En revanche, si un pays va dans le mur du point de vue climatique, il convient de basculer sur de l’aide projet pour des centrales photovoltaïques ou des parcs nationaux, pour le convaincre qu’il devrait changer sa politique et faire de meilleurs investissements. Nous menons ce travail en interne au sein de l’AFD, mais personne ne nous dit si la France, la Colombie, le Burkina Faso ou la Chine ont une bonne politique Climat et une bonne politique de développement durable. Aucune publication ne porte sur le sujet, alors que de nombreuses publications concernent les finances publiques et la macroéconomie, via le Fonds monétaire international (FMI). Ces informations manquent sur le développement durable.

Mme Nelly Tocqueville. – Vous avez rappelé les missions de l’AFD qui sont essentielles et indispensables. Je voudrais vous interroger sur le modèle économique de l’AFD qui est une banque de développement qui recourt au marché afin d’étendre son champ géographique. Au vu du contexte économique actuel, pensez-vous que vous risquez de rencontrer des difficultés pour maintenir vos équilibres financiers, car, comme le note la Cour des comptes, le modèle comporte des risques ? Ces risques pourraient-ils être accrus et quelles pourraient en être les conséquences ?

M. Michel Vaspart. – Vous dirigez une très belle institution, créée à une époque où notre pays avait une vision de long terme. Je voudrais vous parler des moyens financiers dont vous disposez et dont disposent les pays européens pour défendre l’économie européenne. Je ne sais pas si le jour d’après sera très différent si les gouvernements des grandes économies mondiales ne mettent pas en place des politiques publiques pour s’en donner les moyens. Il n’y a en revanche plus d’interrogations sur la présence de la Chine sur tous les continents : elle est excessivement présente en Afrique, elle est dans le Pacifique, au Vanuatu, elle est en Europe puisqu’elle a racheté un certain nombre de ports européens, en Grèce et en Italie, et a repris des terminaux dans les pays du Nord, avec des investissements colossaux dans le monde entier. Les moyens sont-ils suffisants en Europe pour faire face au développement que nous souhaitons réaliser face au développement chinois, voire américain ? Ma deuxième question porte sur l’Outre-mer. Nous avons la chance de disposer du deuxième territoire maritime du monde, avec une présence dans tous les océans.

L’économie de certains territoires d’outre-mer, comme les Antilles ou la Polynésie, repose uniquement sur le tourisme. Or, des ressources halieutiques considérables pourraient être exploitées en respectant scrupuleusement l’environnement, ce que ne font pas les Chinois en Polynésie, par exemple. Avez-vous des projets pour faire en sorte que le jour d’après l’économie de ces territoires français puisse se développer sans avoir uniquement recours au tourisme qui, si le jour d’après est différent, ne sera plus comme avant ?

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