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Réinterprétation du projet de recherche

La partie I a constitué un travail de tissage entre trois domaines. Ceux-ci ne sont pas apparus d’emblée dans notre investigation, mais ont émergé chacun son tour d’une façon corollaire. En effet, l’exploration de l’un amenait un questionnement qui allait faire ressortir l’autre. Plus précisément, nous avons fait ressortir la médiation visuelle à partir du croisement d’un exercice de planification urbaine et de l’usage des technologies de l’information. De ce fait, nous sommes amené à porter une attention particulière relativement à une articulation entre une organisation et une technologie.

Partant de notre immersion dans la démarche d’élaboration du plan d’urbanisme de Montréal, nous nous sommes intéressés à la pensée planificatrice et aux fondements théoriques qui la supportent. Plus précisément, nous avons arrimé un exercice de projet de territoire en cours avec la théorie procédurale de la planification. En outre, ce travail d’arrimage a permis de faire ressortir ce qui apparaît inhérent à une activité de planification à dominante procédurale, c'est- à-dire la dimension communicationnelle. Ainsi, cette exploration de la planification a fait surgir ce qui nous semblait être incontournable dans la construction d’un dessein de territoire, à savoir les modalités de sa représentation. Un questionnement sur la médiation visuelle comme expression d’un discours sur le projet de territoire devenait évident. Ce questionnement amenait à son tour une volonté de saisir cette forme privilégiée d’expression d’un dessein en explorant l’iconographie projectuelle. Son importance dans la réussite ou l’échec d’un projet collectif de territoire tel que le Plan d’urbanisme de Montréal rendait nécessaire un éclairage sur cet autre domaine. Ce faisant, celui-ci posait à son tour un certain nombre de questionnements. En effet, le recours systématique aux technologies de l’information pour construire et produire des représentations d’un projet de territoire ne pouvait nous laisser indifférent. Au couple projet/représentation, s’ajoutait la médiation du numérique. Elle interférait dans l’articulation Dessein/Dessin, que l’on pourrait qualifier de duelle. Ainsi, l’exploration de l’imagerie projectuelle soulevait à son tour un questionnement sur la médiation numérique qui la supporte, la construit, la produit et la transmet.

Ce cheminement à travers les méandres de trois domaines (Partie 1) a permis d’établir des liens qui constituent le canevas de départ pour notre recherche. Ainsi, face à un «objet» de recherche que nous nous sommes fabriqués plus qu’il ne nous a été donné, se pose la question suivante : comment faire de la recherche sur un «objet» que l’on a construit ?

Effectivement, lorsque le domaine d’étude se trouve dans le tableau synoptique des disciplines scientifiques d’Auguste Comte, il semble que les techniques, les méthodes et les approches de recherche soient déjà bien établies. « Chaque discipline, et donc chaque champ de connaissance y est défini de façon exhaustive par le morceau de réalité qu’elle décrit et explique objectivement grâce à une méthode d’investigation » (Jonnaert, 2007, p. 5), et «Chacun ainsi pourra s’installer dans son domaine de compétence, défini par l’objet et la méthode propres à la discipline, sans se soucier des tracas éventuels de ses voisins, qui travaillent sur d’autres objets avec d’autres méthodes : la classification des disciplines positives s’avère d’autant mieux la bienvenue qu’elle se prétend universelle» (Le Moigne, 1995, p. 76).

Pour répondre à la question posée plus haut, Monod (2002) en pose une autre bien plus simple : qu’est-ce que faire de la recherche ? Du domaine de l’épistémologie, cette question soulève un écheveau de pensées qui établissent chacune leurs visions du monde. Ainsi plusieurs courants peuvent cohabiter et dans la plupart du temps s’opposer dans la définition de la connaissance. Nous ne ferons pas un inventaire de tous ses courants, mais notons qu’ils sont regroupés dans les positivismes d’un côté, et dans les constructivismes de l’autre. Sans omettre bien sûr des courants philosophiques tels que la phénoménologie qui procède à une «critique radicale du scientisme». Devant les perspectives antagonistes de ses courants, qui chacune établit son propre cadre, méthode et technique de recherche, il est bien difficile si ce n’est hasardeux de se lancer dans l’adoption de l’une ou l’autre, bien que nous soyons déjà imprégné de préjugés à leur égard. De ce point de vue, une prudence méthodologique est nécessaire. Pour ce faire, nous emprunterons ce qui semble être un des canons de recherche les plus partagés, autant par des positivistes tel que Popper que des constructivistes tel que Piaget ou encore des phénoménologues tel Husserl.

En effet, nous évoquions en introduction «La critique de la raison pure», l’œuvre la plus importante de Kant publiée en 1781 et l’un des rares ouvrages sur la recherche qui fait

consensus. Plus précisément, il fait ressortir quatre questions récurrentes dans toute démarche de recherche que Monod (2002 :26) résume parfaitement : «Quel est l’objet que l’on cherche à étudier? Quelle est l’origine de nos connaissances sur cet objet? Quelles sont les relations causales que l’on cherche à mettre en évidence? Quelle méthode utiliser?» Ces quatre questions renvoient à quatre aspects de la recherche que le même auteur a le mérite de clarifier en termes de «l’objectivation», de «l’expérience», de «la théorisation» et de «la problématisation» (Figure 8).

Figure 8 : Questions de recherche dans l’histoire des sciences144

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Pour construire le cadre conceptuel de cette présente recherche, cette partie II s’inscrira dans cette forme canonique de la recherche. Par conséquent, sa structure fera sienne des éléments de ce cheminement. Après avoir cerné ce sur quoi cette dernière va porter (l’objectivation à la partie I), nous aborderons dans la présente partie les positions sur le sujet (l’expérience) pour ensuite élaborer notre propre positionnement (la théorisation) et enfin formuler une question de recherche (la problématisation) qui fournira un cadre opératoire que l’on abordera à la partie III.

Plus précisément, nous confronterons les représentations construites et véhiculées par les technologies de l’information à une démarche de planification urbaine. Cette confrontation que

l’on a d’ailleurs représentée (Figure 7) sous forme d’une articulation n’est pas nouvelle. En effet, une littérature abondante traite de l’utilisation des technologies de l’information, dont la géomatique, au sein des organisations. Nous y apportons la spécificité de la construction des énoncés visuels lors d’un exercice de planification urbaine. Ainsi, cette littérature va permettre d’aborder ce que Monod (2002) appelle «l’expérience». Nous y évoquerons les différents courants de pensées, autant du côté des positivismes que du constructivisme. Ce faisant, ce parcours de «l’origine des connaissances» nous amènera à échafauder notre propre positionnement en élaborant l’appareil conceptuel de cette recherche (la théorisation). Pour ce faire, et après avoir mis en évidence la nature complexe d’un exercice d’élaboration d’un projet de territoire - celui du plan d’urbanisme de Montréal -, nous prendrons appui sur un paradigme en gestation, celui de la complexité qu’Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne exposent. Cette «théorisation» nous amènera à regarder notre sujet de recherche avec de nouvelles lunettes, celle de la pensée complexe. Celle-ci nous fournira les ingrédients nécessaires à la formulation d’une question de recherche qui trouvera un écho dans un cadre opératoire subséquent à la dernière partie de cette thèse.