• Aucun résultat trouvé

Essai de délimitation du sujet de recherche

Ce parcours nous a conduit de la planification urbaine en théorie et en pratique, à une saisie de la représentation de projet qui en constitue une médiation discursive privilégiée, et enfin à l’usage des technologies de l’information dont particulièrement la géomatique qui la produisent et la véhiculent. Loin d’être exhaustive, cette exploration a permis chemin faisant de tisser un canevas dans lequel nous allons tâcher d’inscrire cette recherche.

Ainsi, saisi de la réalité de l’élaboration du plan d’urbanisme de Montréal, nous avons été amené, par induction, à jeter un éclairage sur la pensée planificatrice. En effet, nous notions que la planification urbaine faisait l’objet d’un certain nombre de réflexions et de théorisations. À cet égard, l’appareil théorique disponible pour apprécier les desseins que peut construire un groupe social est suffisamment renseigné. Les théories sur la planification (Faludi, 1973), (Forester, 1993), (Fanstein, 2002), la théorie des sciences de la conception de Piaget tout comme la théorie du projet proposée par Boutinet (2001) témoignent de cette richesse et de cet intérêt pour la construction des desseins.

Les dimensions éminemment procédurales et communicationnelles avec lesquelles se caractérisait l’élaboration du plan d’urbanisme de Montréal auront eu des incidences importantes dans notre cheminement. Nous avons d’ailleurs pu arrimer cette particularité avec la théorie procédurale de Faludi (1973). Aussi, ce caractère allait nous amener à nous intéresser tout particulièrement aux processus ainsi qu’aux canaux et ressources informationnelles de cet exercice de planification.

Par ailleurs, si comme nous l’évoquions, les pensées planificatrices sont bien documentées, les modalités de leurs expressions, particulièrement celles graphiques, restent à un stade empirique de formalisation et peuvent s’exprimer à travers les deux actes de la médiation évoqués aux chapitres 2 et 3. En effet, si la représentation visuelle est inhérente à la pensée projectuelle, il semble que celle-ci procède aujourd’hui par un certain tâtonnement dans la plupart des cas. Durant l’élaboration du plan d’urbanisme de Montréal, particulièrement à ses

premières étapes, la représentation cartographique arrivait difficilement à traduire certaines orientations d’aménagement, ce qui conduisait à une certaine crainte compte tenu des exigences en matière de communication à venir envers les autres acteurs de la démarche de planification.

Nous avons au chapitre 3 tenté de resituer la question du visuel et son corollaire l’iconographie dans les disciplines de l’édification. L’attention qui doit leur être portée est justifiée par l’issue du projet de territoire. Les représentations collectives de ce qui adviendra de ce territoire donnent un rôle de premier plan au visuel lors d’un processus de planification urbaine. Or, celui-ci est produit aujourd’hui, et dans une large mesure par les technologies de l’information et de la communication, dont au premier chef la géomatique.

C’est pourquoi nous avons estimé pertinent de revisiter ce qui semble être une nouvelle médiation qui vient se superposer et interférer dans un processus de projet de territoire. Technologies de l’information, numérique, géomatique, constituent aujourd’hui les ingrédients incontournables qui bousculent les pratiques en aménagement dont tout particulièrement la construction et la mise en scène graphique d’un dessein territorial.

Par ailleurs, nous avions attiré l’attention sur nos intentions de recherche qui étaient fondées sur certains préjugés. Nous nous engagions dans une démarche démonstrative : établir l’apport des technologies de l’information à un exercice de projet. Il s’agissait de démontrer que l’usage de la géomatique améliorait un processus de planification. Cependant, «le terrain» avait vite fait de remettre en cause notre approche. En effet, nourri par ce dernier, notre réflexion allait connaître une autre trajectoire exprimée par les chapitres qui ont précédé. De la confrontation de deux domaines, la planification et la géomatique, a émergé un nouveau champ, celui de la médiation visuelle, plus précisément de la représentation projectuelle. Nous l’avons inscrit à la croisée de l’élaboration d’un dessein de territoire et du recours à la géomatique. Expression discursive du premier, construite et véhiculée par le second, la représentation en constitue l’articulation dans cette recherche telle qu’illustrée par la figure 7.

Figure 7 : La représentation à la croisée de la planification urbaine et de la géomatique.

Ainsi, nous avons emprunté une démarche interdisiplinnaire pour bâtir un champ de recherche. Or il ne s’agit pas d’une addition de disciplines et d’ajouts de chapitres spécialisés, mais d’un entrecroisement, qui, nous semble-t-il a fait émerger comme le souligne Medam (1997), «une plus-value d’intelligibilité».

Pensant avoir trouvé un «objet de recherche» qui demandait à être découvert, nous nous sommes rendu compte que cet objet n’existait pas en soi. Nous avons du le construire, chemin faisant. Si nous convenons d’un parti pris épistémologique de départ, nous reconnaissons par là même la nécessité de sa légitimation. Certes, il est des domaines où la question d’une justification épistémologique ne se pose pas, notamment lorsque ceux-ci figurent au chapitre du tableau synoptique des disciplines scientifiques établi par Auguste Comte143. Mais que faire lorsque le domaine de recherche que nous abordons ne s’y trouve pas ? La réponse fait l’objet de débats récurrents entre épistémologues. Cependant, notons que cette légitimation semble incontournable pour justifier les outils méthodologiques ainsi que les méthodes de validation

143 Auguste Comte a établi en 1828 le tableau synoptique des disciplines scientifiques en six groupes allant des sciences les plus «positives» telles que les mathématiques et la physique, aux moindres telles que la sociologie (la physique sociale).

utilisées. Ainsi, si nous n’avons pas découvert un «objet de recherche», nous l’avons par contre intégralement construit en tissant des liens entre planification urbaine, représentation et médiation numérique. Nous nous sommes ainsi fabriqués un «projet de recherche» (figure 7-1).

Figure 7-1 : Un sujet de recherche à la croisée de trois champs de connaissance.

Cette démarche ne semble pas faire exception dans la recherche. Mieux encore, elle semble relever d’une volonté de faire de la recherche là où il serait autrement quasi impossible de le faire en dehors du cadre établi par Auguste Comte dans son tableau synoptique des sciences. «Que peut faire le chercheur scientifique, lorsqu’il ne connaît pas même le nom de ‘’La chose’’ … objet de sa recherche, ce qui semble être […] souvent le cas du chercheur scientifique se référant à l’architecture, autant qu’à l’informatique, à la musique, ou à la cybernétique […]. Faute de trouver [cet objet] tout fait dans l’univers, il le crée, ex nihilo, par un acte délibérément volontariste, par ‘’projet’’ scientifique de vouloir un ‘’objet’’ de recherche… et le chercheur […] va être fort étonné de reconnaître… en guise d’objet… un projet ! le projet de concevoir et de construire» Le Moigne (1995, p. 62).

Aussi, nous nous identifions à cette situation de recherche, qui procède par la construction intégrale de son propre champ d’investigation. En effet, nous nous intéressons à l’élaboration d’un projet de territoire du point de vue des représentations construites par les technologies de l’information. Dès lors, sommes-nous en mesure de construire un questionnement de recherche à son égard, objet de la partie II qui suit.

Partie II

PROBLÉMATISATION

«Les machines un jour pourront résoudre tous les problèmes, mais jamais

aucune d'entre elles ne pourra en poser un !»

Albert Einstein