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I. INTRODUCTION

3. Les éléments intégratifs conjugatifs (ICE)

3.3. Régulation du transfert des ICE

Le transfert des ICE est gouverné par un réseau de régulation complexe pouvant être activé et réprimé en réponse à des stimuli environnementaux. Ces signaux vont influencer l’expression et l’activité des ICE modulant ainsi l’expression des gènes nécessaires à

l’excision et au transfert de l’élément. Des études ont démontré que l’expression constitutive des gènes de conjugaison des ICE pouvait être nocive pour la cellule hôte et pour le maintien de l’élément (Manganelli et al., 1995; Minoia et al., 2008), mettant ainsi en exergue la nécessité d’une régulation fine de l’expression des gènes de transfert de l’élément.

L’ICE peut être induit sous certaines conditions, ce qui aboutit à la dérépression de l’expression des gènes de l’élément, et à l’excision de ce dernier, assurant ainsi sa disponibilité pour un éventuel transfert. Cependant, même sous ces conditions d’induction, l’ICE ne sera excisé que chez une faible proportion de la population, ce qui témoigne d’une régulation stricte de ces éléments (Beaber et al., 2002; Beaber et al., 2004).

Le mécanisme de régulation des ICE n’est pas universel, néanmoins ces éléments regroupent certains points communs.

3.3.1. Bistabilité et stochasticité

Deux états d’expression d’un gène peuvent coexister au sein d’une population sans qu’il y ait un changement génotypique provoquant l’un ou l’autre de ces états d’expression génétique, on parle alors de bistabilité essentiellement provoquée par des évènements stochastiques, autrement dit réalisés au hasard (Roberfroid et al., 2016). L’un des facteurs contribuant à la variabilité stochastique de l’expression d’un gène est le facteur d’interférence. Ce dernier correspond à une fluctuation aléatoire de l’expression d’un gène indépendante de l’intervention de signaux environnementaux, et ce au sein d’une même population clonale. Ainsi, l’apparition d’un « switch » stochastique au niveau d’une cellule lui détermine un sort différent du reste de la population pourtant génétiquement identique (Norman et al., 2015).

La bistabilité déterminant l’état d’entrée en phase lysogénique ou lytique du phage lambda d’E. coli est la mieux décrite. Celle-ci est régulée par une région promotrice bidirectionnelle contrôlant l’expression des répresseurs de transcription CI (responsable du cycle lysogénique) et Cro (responsable du cycle lytique du phage), chacun réprimant le gène de l’autre. Ainsi lorsque CI est prédominant, le gène Cro est fortement réprimé, ce qui aboutit à encore plus de production de CI et encore plus de répression de Cro. Cette coopérativité est le résultat de l’oligomérisation de CI et est essentielle à la mise en place du « switch » de bistabilité du phage lambda, puisqu’une forte concentration de CI aboutit à l’inhibition de sa

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production par un mécanisme de rétrocontrôle, provoquant ainsi l’expression de Cro et la répression de CI (Lewis et al., 2016).

La bistabilité des ICE est à mettre en perspective avec leur double mode de vie : une alternance entre un état intégré au sein du chromosome hôte permettant leur maintien et transmission à la descendance par transfert vertical, et un état excisé assurant la transmission de l’élément aux autres cellules environnantes par le transfert horizontal. La régulation de l’ICE va contrôler la proportion de cellules dont le destin sera consacré à la transmission horizontale (Delavat et al., 2017). Ceci est appuyé par le fait que les ICE, dans des conditions optimales de transfert et dans le cadre de régulation de type sauvage, ne présentent jamais 100% de taux de transfert, mais de faibles fréquences de transfert (allant de 10-2 à 10-7 transconjugants par cellules donatrices). Dans le cas d’ICEBs1 de B. subtilis, ce phénomène serait vraisemblablement contrôlé par le module de régulation puisque des ICE présentant presque 100% de taux de transfert ont été obtenus suite à des mutations du module de régulation de l’élément (Auchtung et al., 2005). Par ailleurs, l’ICE dont le phénomène de stochasticité et de bistabilité à l’échelle individuelle a été démontré est ICEclc de Pseudomonas knackmussii, dont l’expression bistable de l’intégrase IntB13 permet le contrôle du taux de transfert de l’élément (Minoia et al., 2008). Ainsi, la régulation d’ICEclc est telle que seule une faible proportion de cellules donatrices (3 à 5%) de la population clonale va exprimer les gènes nécessaires à l’excision et au transfert de l’élément (Delavat et al., 2016).

3.3.2. Impact des agents endommageant l’ADN

L’exposition des cellules bactériennes aux rayons ultraviolets ou aux agents endommageant l’ADN, tels que la mitomycine C et les quinolones, provoque la réponse SOS bactérienne de réparation de l’ADN endommagé. Ce système conservé fait intervenir deux acteurs moléculaires principaux chez E. coli : LexA jouant le rôle du répresseur et RecA celui de l’activateur. Lorsque l’ADN est endommagé et sous forme simple brin (ADNsb), RecA se fixe au fragment d’ADN aboutissant à la formation d’un complexe nucléoprotéique RecA-ADNsb. Ce dernier active la fonction d’autoprotéolyse du répresseur LexA, ce qui aboutit à la l’expression des gènes du régulon SOS (Janion, 2008). Chez le phage lambda, la mise en place de la réponse SOS de l’hôte se traduit par la protéolyse de LexA, mais aussi par celle du répresseur CI, permettant l’expression de Cro et l’entrée du phage dans un cycle lytique aboutissant à son excision du chromosome hôte et son transfert horizontal (d'Ari, 1985; Janion, 2008; Ogawa & Ogawa, 1990).

Les éléments ICESt3, ICESXT et ICEBs1 présentent des gènes homologues aux répresseurs CI et Cro du phage lambda et sont induits par la réponse SOS, aboutissant à l’augmentation de leurs fréquences de transfert d’un facteur 25, 300 et 1000 fois respectivement (Auchtung et al., 2005; Bellanger et al., 2007; d'Ari, 1985; Garriss et al., 2013; Janion, 2008; Ogawa & Ogawa, 1990). L’induction de ces éléments par la réponse SOS semblerait être liée à la fragilité et au risque de létalité que rencontre l’hôte, menant l’ICE à davantage favoriser sa transmission horizontale plutôt que verticale, et ainsi assurer sa propagation et son maintien dans l’environnement (Reinhard & van der Meer, 2014).

3.3.3. Le quorum sensing

Le quorum sensing est un mécanisme par le biais duquel la bactérie coordonne, à l’échelle de la population, l’expression de ses gènes. Le quorum sensing se base sur l’utilisation d’oligopeptides jouant le rôle de molécules signales sécrétées dans l’environnement. Celles-ci sont alors détectées au niveau de la surface bactérienne par des systèmes à deux composants, ou sont internalisées dans les cellules voisines via un transporteur. Ces oligopeptides interagissent par la suite avec des régulateurs transcriptionnels ou des phosphatases qui vont impacter l’expression de leurs gènes cibles. C’est ainsi que des fonctions telles que la virulence, la production d’antibiotiques, la motilité, la sporulation, la formation de biofilm, la compétence ou la conjugaison sont en partie contrôlées (Miller & Bassler, 2001).

Le transfert du plasmide conjugatif pCF10 d’E. faecalis porteur d’un gène de résistance à la tétracycline est régulé par un mécanisme de type quorum sensing à travers la sécrétion de phéromones. Ainsi une molécule signal se présentant sous la forme d’un heptapeptide (LVTLVFV) et produite par des cellules réceptrices, est transportée dans le cytosol des cellules donatrices. Celle-ci informe l’élément conjugatif de la présence de cellules réceptrices dans le milieu environnant et induit l’expression de la totalité d’une région de gènes impliqués dans la réplication et la maintenance, l’expression des facteurs d’agrégation et la conjugaison de pCF10. Il apparaît ainsi que l’élément a évolué de sorte qu’une proportion minimale de machinerie de conjugaison soit produite afin de permettre l’efficacité de transfert de l’élément en réponse à un signal de type phéromone (Dunny, 2007).

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ICEMISymR7A de Mesorhizobium loti est également contrôlé par quorum sensing. Cet élément de 502 kb est retrouvé sous forme excisée uniquement au sein de 0,06 à 6 % de cellules et seulement 3 sur 106 cellules vont réellement agir en tant que cellules donatrices de l’élément. La régulation de l’excision de cet élément, sa réplication, et l’activation de 100% des cellules donatrices sont néanmoins possibles suite à l’induction d’ICEMISymR7A par un système de quorum sensing codé par l’élément lui-même. Ce système augmente le transfert de l’élément en induisant l’expression de l’excisionase RdfS et semble répondre à l’entrée de l’hôte en phase stationnaire de croissance, ou autrement dit, à l’apparition de conditions de haute densité cellulaire (Ramsay & Ronson, 2015).

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