• Aucun résultat trouvé

I. INTRODUCTION

3. Les éléments intégratifs conjugatifs (ICE)

3.5. Barrière à l’acquisition des ICE

Selon les espèces et l’identité génétique des souches ciblées par le transfert horizontal des ICE, un certain nombre de processus peuvent intervenir afin de réduire, voire d’inhiber le transfert et/ou le maintien de l’élément acquis au sein de la cellule réceptrice.

3.5.1. Systèmes d’exclusions

Le système d’exclusion est un mécanisme codé par l’élément résident dans la cellule bactérienne pour que celui-ci inhibe l’entrée dans la cellule d’un nouvel élément apparenté. Ce mécanisme a été décrit à l’origine pour le plasmide F d’E. coli, pour lequel ce système constitue une barrière efficace compromettant l’acquisition d’éléments avec un système de

32

transfert apparenté (Thomas & Nielsen, 2005). Deux types de fonctions d’exclusion sont décrits, l’exclusion de surface et l’exclusion d’entrée. L’exclusion de surface n’a été décrite que pour les plasmides du groupe d’incompatibilité F (IncF), et se déroule suite à l’intervention d’une protéine de la membrane externe (TraT), qui inhiberait la mise en place du pore protéique de conjugaison reliant les deux cellules. En revanche, la majorité des plasmides codent une exclusion d’entrée qui semble inhiber le transfert de l’ADN ultérieurement à la mise en place du contact donatrice/réceptrice. Des études expérimentales démontrent que l’exclusion d’entrée est essentielle à la stabilité des plasmides conjugatifs la possédant, mais celle-ci pourrait également intervenir afin de limiter les dommages pouvant être causés à la bactérie hôte suite à des cycles excessifs de conjugaison, ce qui correspond en d’autres termes à une immunité de surconjugaison (Garcillan-Barcia & de la Cruz, 2008).

Très peu d’exemples de systèmes d’exclusion ont été décrits pour les ICE de façon générale. Ces systèmes sont néanmoins très représentés au niveau des ICE de la famille ICESXT/R391. ICESXT et R391 portent des gènes codant une exclusion d’entrée impliquant deux protéines dirigées vers la membrane interne de la cellule : TraG au niveau de la bactérie donatrice, et Eex au niveau de la bactérie réceptrice. Bien que ICESXT et R391 soient des éléments fortement apparentés, ces deux ICE ne s’excluent pas l’un et l’autre. En revanche, la présence de R391 dans une cellule hôte exclut l’entrée d’autres ICE R391 et il en est de même pour ICESXT. Ainsi pour chacun de ces ICE présentant une variante spécifique de Eex et de TraG, une exclusion d’entrée est observée lorsque Eex est produite au niveau de la cellule réceptrice et que TraG est produite au niveau de la cellule donatrice. TraG est essentielle au transfert de ces ICE et semble entrer dans la composition du pore protéique de conjugaison. Le mécanisme aboutissant à l’exclusion de ces ICE par Eex est en revanche encore peu connu, bien que l’interaction spécifique de ces deux molécules soit susceptible d’en être la cause (Marrero & Waldor, 2005; Marrero & Waldor, 2007).

Une immunité de surconjugaison non apparentée à celle décrite précédemment concerne l’ICE pSAM2 de Streptomyces ambofaciens où la présence dans la cellule réceptrice du gène pif (pSAM2 immunity factor) est suffisante pour abolir l’initiation du transfert chez la donatrice par un mécanisme encore inconnu (Possoz et al., 2003).

3.5.2. Immunité de cible

Beaucoup d’exemples d’immunité de cible ont été recensés au niveau des transposons. Ce mécanisme correspond à l’inhibition de l’insertion d’un élément à un site d’insertion cible contenant au préalable une partie, généralement l’extrémité, de l’élément ou l’intégration complète d’un autre élément (Choi et al., 2014).

Une étude réalisée sur ICEclc de P. knackmussii a démontré une meilleure efficacité de l’intégration d’une copie supplémentaire de l’élément dans un site attR tronqué, que dans un site attR sauvage. Ces données suggèrent que les acteurs moléculaires intervenant dans l’intégration de l’élément agissent plus facilement sur les sites attB que sur les sites attR et attL produits suite à l’intégration d’un îlot (Sentchilo et al., 2009). Chez S. thermophilus, la présence d’un îlot dans le site attB d’insertion d’ICESt3 provoque une diminution de l’efficacité d’intégration de l’élément par rapport à un site attB vide (Bellanger et al., 2011).

3.5.3. Répression du transfert

Ce mécanisme met en jeu un répresseur codé par la cellule réceptrice réduisant l’efficacité d’intégration d’un ICE entrant. Ainsi, la fréquence d’intégration d’ICEBs1 est réduite d’un facteur 1000 lorsque son répresseur ImmR est exprimé au niveau de la cellule réceptrice, celui-ci inhibe l’expression de l’intégrase de l’élément et empêche par conséquent son intégration (Auchtung et al., 2007) .

3.5.4. Dégradation de l’ADN entrant

Le transfert conjugatif des ICE peut également être compromis suite à l’intervention de différents mécanismes qu’encode la cellule réceptrice, et qui consistent en la reconnaissance et le clivage de l’ADN étranger se trouvant dans la cellule.

3.5.4.1. Système de restriction modification

Le système de restriction modification (RM) joue le rôle d’un système immunitaire pour les bactéries, en se chargeant de la neutralisation de molécules d’ADN étrangères entrant dans la cellule. Le système RM comprend deux enzymes remplissant des fonctions opposées : l’enzyme de restriction (REase) qui reconnaît spécifiquement l’ADN étranger non méthylé dont il faut procéder au clivage, notamment l’ADN plasmidique, phagique ou de type ICE, et une méthyltransférase (MTase) dont le rôle est de méthyler les bases adénines ou cytosines de

34

l’ADN chromosomique bactérien suite à sa réplication, et ce afin de le protéger de l’action de clivage de REase. Les systèmes RM sont classés en quatre groupes majeurs selon la composition de leurs sous-unités, leurs sites de reconnaissance, les cofacteurs qu’ils mettent en jeu et la position de leurs sites de coupure (Oliveira et al., 2016; Tock & Dryden, 2005).

Certains éléments génétiques mobiles ont réussi à mettre en place un mécanisme d’échappement au système RM permettant leur méthylation au préalable à l’action de l’enzyme de restriction. De nombreux ICE de S. agalactiae et Tn916 présentent le gène ardA codant pour une protéine d’anti-restriction. Celle-ci interagit avec le système RM et affecte son activité de restriction en empêchant son interaction avec l’ADN ciblé, protégeant ainsi l’élément entrant de la dégradation. ArdC, une autre protéine d’anti-restriction est retrouvée au niveau des ICE ICEA de Mycoplasma agalactiae, ICEKpI, ICEMlSymR7A et ICEEcI de protéobactéries (Bellanger et al., 2014).

Outre son rôle de barrière, de nombreuses intrigues quant au rôle du système RM dans le transfert des ICE restent à être élucidées. Aucune étude démontrant le rôle du système RM dans la stabilisation et le maintien des ICE n’a encore été publiée. Cependant, celui-ci pourrait favoriser le transfert de ces éléments en leur permettant d’adopter un comportement d’élément égoïste, induisant pour l’hôte une addiction génétique à l’élément tel que démontré pour d’autres éléments génétiques mobiles (Burrus, 2017; Oliveira et al., 2016).

3.5.4.2. Système CRISPR-Cas

Beaucoup de bactéries présentent un système CRISPR-Cas conférant une immunité acquise à la bactérie. Le système CRISPR-Cas reconnaît et dégrade des séquences spécifiques d’ADN étrangers ou d’ARN d’origine virale ou plasmidique. Ce système garde en mémoire les éléments génétiques mobiles précédemment rencontrés dans la vie de la bactérie en maintenant une sorte d’archives d’ADN étrangers dans le système. Les fragments reconnus sont intégrés en tant qu’« espaceurs » entre des régions identiques répétées (25 à 50 pb chacune), souvent palindromiques. Les séquences CRISPR comportant les espaceurs et une partie des régions répétées adjacentes sont transcrites en courtes séquences d’ARN. Celles-ci forment alors un complexe avec un ensemble de protéines Cas, qui reconnaissent et coupent les molécules d’ADN portant une séquence identique ou fortement apparentée à celle de l’espaceur (Jackson et al., 2017).

S. agalactiae présente deux systèmes CRISPR-Cas. CRISPR1 est un système dynamique et ubiquitaire, qui comporte des séquences d’espaceurs reflétant les différents événements auxquels S. agalactiae a été confrontée. Ces espaceurs ciblent principalement des phages tempérés et trois familles d’ICE largement distribués chez les Streptocoques TnGBS1, TnGBS2, et ICE_515_tRNALys. La présence de ces espaceurs réduit considérablement la fréquence d’acquisition de ces éléments, démontrant ainsi le rôle des systèmes CRISPR-Cas dans la réduction et la modération du transfert conjugatif des ICE (Lopez-Sanchez et al., 2012).

Documents relatifs