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(1) La régulation mondiale des échanges de produits alimentaires

Quinze ans de construction des règles du commerce international

Jusqu'à l'accord de Marrakech, les échanges de produits agricoles relevaient au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) d'un statut particulier qui les maintenait à I’écart des disciplines générales. D’une part, les restrictions quantitatives à l'importation étaient autorisées si elles étaient accompagnées d'un contrôle de l'offre évitant l’apparition d'excédents, susceptibles de perturber le marché international, et d’autre part les subventions aux exportations étaient tolérées sous certaines conditions. Ces règles ont permis aux Etats-Unis et à l’Union européenne de disposer de grandes marges de manœuvre pour mettre en place leurs politiques agricoles, moyennant quelques négociations et concessions, dont celle de la CEE (Communauté Economique Européenne) qui a accepté, pour pouvoir appliquer sa Politique Agricole Commune (PAC), de ne pas taxer ses importations de soja5051.

Le statut particulier des produits agricoles a changé avec leur inscription dans le cycle de négociations multilatérales de l'Uruguay Round. Ce dernier débuta en 1986 et aboutit en 1994 aux accords de Marrakech, donnant naissance à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’accord prévoyait la réduction des soutiens nationaux (subventions à l’exportation et soutiens internes) entre 1996 et 2001, et une plus grande ouverture aux importations, grâce, dans un premier temps, à l’harmonisation des méthodes de tarification des importations, puis, dans un second temps, à leur réduction. Les subventions à l’exportation, considérées comme les interventions les plus distorsives pour les échanges, sont fortement

50 OFIVAL, Les accords du GATT dans les secteurs des viandes et des œufs : le bilan de l’Union européenne, Paris, 2003, 190 p.

51 Trégaro Y., Vallin B., Les filières avicoles européennes face à la mondialisation des échanges, Huitièmes journées de la recherche avicole, St Malo, 25 et 26 mars 2009, 7 p.

réduites par l’accord de Marrakech (réduction de 36% du budget de la PAC consacré aux subventions à l’exportation, et de 21 % des volumes exportés avec subventions par rapport à 1986-1990). La réduction de ces soutiens est déterminante pour les exportations françaises de volailles vers les pays tiers, du fait du différentiel de coût entre la France et ses principaux concurrents52. Parallèlement, l’application des accords de 1994 implique l’augmentation des contingents européens d’importation de viande de volaille à droits de douane réduits, réduisant la préférence communautaire. Par ailleurs, en 2006, la perte par l’Union européenne du panel viandes de volailles saumurées devant l’organe de règlement des différends à l’OMC53 a renforcé la hausse des importations de produits à base de volailles en provenance de Thaïlande et du Brésil. En revanche, le secteur de la volaille n’a pas été concerné par la réduction du soutien interne (dans le cadre de la PAC) négociée à Marrakech, ce secteur étant très peu soutenu.

L’accord de Marrakech et la création de l’OMC ont fait émerger un nouveau système d'échanges international, dont la construction devait se poursuivre grâce au lancement du cycle de Doha en 2001. Concernant l’agriculture, l’objectif de ce nouveau cycle était d’approfondir le processus de libéralisation du commerce en remédiant aux restrictions et distorsions sur les marchés agricoles mondiaux, c’est-à-dire en améliorant l’accès au marché, en supprimant toutes les formes de subventions à l’exportation, et en réduisant les soutiens internes ayant des effets de distorsion des échanges. L’enjeu est important pour le secteur avicole européen dont les droits de douane atteignent en moyenne 35% de la valeur des produits, avec des produits très protégés comme les découpes désossées de poulet congelé (88%) et d’autres moins comme les préparations cuites de poulet (11%)54.

Les régulations des échanges de biens agricoles et alimentaires : un avenir incertain

Compte tenu des intérêts divergents des pays qui négocient, que ce soit sur l’agriculture ou les autres secteurs économiques, et de la complexité des négociations, les conférences ministérielles qui se sont succédées depuis le lancement des négociations à Seattle en 1999, n’ont pas encore permis d’aboutir à un accord concret sur la baisse des droits de douane et de subventions à l’agriculture. Cependant, quelques consensus ont donné lieu à l’Accord cadre d’août 2004, puis à la Déclaration ministérielle de Hong-Kong en décembre 200555. Ainsi, les négociations à l’OMC sont aujourd’hui en suspens, dans un contexte d’instabilité des prix des produits agricoles, de crise alimentaire dans différentes régions du globe, et de crise économique et financière mondiale. Au cours des discussions de juillet 2008, les questions agricoles, et plus particulièrement les enjeux en matière de sécurité alimentaire, ont de nouveau constitué un élément important du blocage des négociations à l’OMC. L’Union européenne défend cependant l’idée selon laquelle la crise économique renforce l’intérêt d’un accord ; elle avance qu’une conclusion ambitieuse du cycle de Doha pourrait aider l’économie mondiale à sortir de la crise, et éviter le développement latent du protectionnisme56. Une autre voie possible pour la régulation des marchés agricoles, liée au défi global de la sécurité alimentaire, est en germe. En marge des discussions dans le cadre de l’OMC, la sécurité alimentaire s’affirme comme un thème central de réflexion internationale et, depuis 2008, les conférences sur le sujet se multiplient. Ainsi, au-delà des mesures budgétaires, la communauté internationale cherche à s’organiser pour une meilleure gouvernance en faveur de la sécurité alimentaire mondiale. Dans ce cadre, la France, rapidement suivie par le G8, a proposé l’idée d’un Partenariat Mondial pour l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire. De son côté, la FAO tente de s’imposer comme un acteur moteur du processus de construction d’une gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire57. Une telle gouvernance interfèrerait avec les règles de l’OMC, dont l’objectif est de permettre la concurrence entre les grands exportateurs. En effet, la question de la sécurité alimentaire se positionne très différemment ; elle aborde la sécurisation des approvisionnements au niveau local, notamment en Afrique, au travers de la protection des marchés domestiques et de l’atténuation de la volatilité des prix. L’échec des négociations à l’OMC en 2008 à Genève, lié en partie aux craintes de l’Inde vis-à-vis de l’impact de la baisse des droits de douane sur sa paysannerie locale, et donc sur sa capacité à nourrir sa population, est un exemple fort de la nécessité de trouver une articulation entre les problématiques de sécurité alimentaire et de libre concurrence. Les discussions sur les voies qui permettraient d’y parvenir animeront probablement encore les prochaines conférences ministérielles du cycle de Doha et les rencontres des G8 et G20.

52 Magdelaine P., La situation des filières avicoles françaises, Rapport dans le cadre du projet AVITER, Février 2008, 75 p.

53 Du fait d’un droit de douane plus faible pour les produits saumurés que pour les viandes brutes, les exportateurs brésiliens ont saumuré leur viande pour payer moins de droits de douane. Les autorités européennes, considérant que ces produits pouvaient être assimilés à des viandes brutes ont requalifié le droit de douane des viandes saumurées au même niveau que les viandes brutes. Le Brésil a porté plainte auprès de l’OMC. L’Union européenne a perdu en 2006.

54 Trégaro Y., Vallin B., Les filières avicoles européennes face à la mondialisation des échanges, Huitièmes journées de la recherche avicole, St Malo, 25 et 26 mars 2009, 7 p.

55 Jean-Christophe Bureau, Yvan Decreux, Alexandre Gohin, La libéralisation des échanges agricoles dans le cadre de l’OMC : impact économique, L’agriculture, nouveaux défis - édition 2007, pp. 143-151.

56 Ashton C., The role of trade policy in fostering economic growth, British Bankers Association Annual Banking Conference, Merchant Taylors' Hall, London, 30 June 2009, 4 p.

57 Courleux F., La FAO propose les bases d’une gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire, Note de veille, Prospective et évaluation, MAAP, Juillet 2009, 2 p.