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La région, grande inconnue du système turc d‟aménagement du territoire ?

LA REGION, GRANDE INCONNUE DU SYSTEME TURC D’AMENAGEMENT

DU TERRITOIRE ?

La région occupe une place centrale dans les processus de développement local et dans la redistribution des fonds au sein de l‟Union européenne. Les analyses de la nouvelle économie géographique insistent largement sur le changement d‟échelle de la production et sur les nouveaux facteurs de localisation des activités. L‟union européenne évolue en effet dans un paradigme néo- régional qui sous-tend actuellement l‟ensemble des politiques de développement des pays industrialisés qui participent aux échanges internationaux. La mondialisation économique est souvent présentée comme un processus où l‟internationalisation des échanges augmente plus vite que la production. Mais dans cette recomposition mondiale de la division internationale du travail, le global se manifeste avant tout à l‟échelle régionale. Bob Jessop analyse ce phénomène selon le principe du

Hollowing out of the State, c‟est-à-dire d‟une remise en cause de l‟échelle étatique par trois

niveaux154 : supra-national, infra-national et para-national. Dans le cas des pays membres de l‟Union européenne ou candidats, ce phénomène se manifeste essentiellement par un transfert de compétence à l‟Union européenne (supra-national), par un renforcement des régions par les fonds régionaux et le principe de la gouvernance multi-niveaux (infra-national), et par les collaborations transfrontalières et inter-régionales (para-national). La région est ainsi au cœur des politiques européennes, non seulement parce que le projet européen vise à renforcer le niveau régional, mais aussi, comme le soulignent Allen J. Scott et Michael Storper, parce que la région est devenue un échelon spatial indissociable des nouvelles formes d‟organisation de la production économique155

.

Parallèlement, celle-ci semble totalement absente des politiques publiques et de l‟organisation territoriale en Turquie. Plusieurs auteurs qui ont analysé le système administratif et les principes d‟aménagement du territoire ont conclu à l‟absence d‟échelon régional et à la nécessité pour la Turquie de se familiariser avec cet outil territorial. Monique Olivier par exemple soulignait en 1991 que « l’opposition entre les deux Turquies montre bien la nécessité d’une politique d’aménagement du

territoire, par le biais d’une politique régionale, pour atténuer les déséquilibres spatiaux en Turquie »156. Ce chapitre entend explorer le système administrativo-territorial de la Turquie pour comprendre le contexte national dans lequel les réformes européennes prennent place, et voir si le

154

Bob Jessop, 2002, « Liberalism, Neoliberalism, and Urban Governance : A State-Theoretical Perspective », Antipode, vol. 34, n°3, p. 452-472.

155

Allen J. Scott, Michael Storper, 2006, « Régions, mondialisation, développement », Géographie, économie, société, vol 8, 2006/2, p.169-192.

156

Monique Olivier, 1991, « Disparités régionales en Turquie : vers une politique d‟aménagement du territoire », Anatolia Moderna, n°1, p. 289-301.

concept de région correspond à une quelconque réalité territoriale dans le pays candidat. Le

Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés distingue six acceptions différentes du mot

région en géographie157. L‟étymologie aide cependant à en préciser le sens : la région est à la fois

regionis, c‟est-à-dire un espace délimité, et regere, c‟est-à-dire un espace administré. C‟est

essentiellement la notion de région politico-administrative qui est mise en avant par les réformes administratives des pays candidats, en tant que relais géographique de l‟Etat-nation à un échelon inférieur et moyen : cette définition est celle retenue ici.

La réflexion proposée ici s‟appuie sur de nombreuses lectures et entend proposer une synthèse sur la question. Les sources sont essentiellement des écrits turcs ou d‟auteurs turcs, ainsi que les études des géographes français, largement complétées par une analyse des différents plans proposés par le DPT. Un dépouillement de ces nombreux documents a été nécessaire, mais les éléments retenus ne le sont que par rapport à leur intérêt vis-à-vis de la problématique régionale. Après avoir expliqué l‟absence de région dans le système administrativo-territorial turc, une analyse des politiques d‟aménagement du territoire en Turquie sera proposée, avant de faire état de différentes tentatives de développement régional qui ont déjà été menées, et qui atténuent la thèse de l‟absence totale de région dans le pays.

1. La région, persona non grata du système administrativo-territorial turc

1.1.

« La région, cette inconnue… »

Le titre de cette partie est une référence à l‟analyse conduite par Marcel Bazin sur le concept de région dans le monde turco-iranien158. Soulignant les « flottements et les incertitudes » qui entourent ce mot, l‟auteur affirme pourtant que la terminologie pour désigner une portion d‟espace située entre le lieu de vie (quartier ou village) et le pays national est variée dans la langue turque. Le terme bölge, qui est le plus souvent employé, est un néologisme turc, substantif du verbe bölmek qui signifie « partager », mais aussi « diviser ». Un autre dérivé du verbe bölmek, bölüm, est parfois aussi employé pour désigner une unité spatiale plus petite, souvent une subdivision de la province administrative. L‟auteur propose de le traduire par « sous-région ». Enfin, le terme yöre est utilisé pour les entités plus réduites, les « micro-régions » ou « pays ». Il traduit plus un sentiment d‟appartenance à une localité, à un espace de vie pratiqué fréquemment, accessible sans grande contrainte de temps ou de transport. Cependant, ces entité spatiales n‟ont que rarement une désignation propre. Elles sont nommées à partir d‟un centre ou d‟un élément marquant la caractérisant, comme une ville ou une chaîne de montagne. Ce fait peut paraître anecdotique mais il révèle deux tendances importances dans l‟appropriation sociale et culturelle des espaces par les sociétés qui les pratiquent. Tout d‟abord, il n‟y a pas en

157

Jacques Lévy, Michel Lussault (dir.), 2003, Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 1033 p.

158

Marcel Bazin, 2000, « La région, cette inconnue… Réflexions sur l‟identité régionale dans le monde turco-iranien », Hommes et Terres d’Islam, Mélanger offerts à Xavier de Planhol, Tome II. Bibliothèque iranienne 53, Institut Français de Recherche en Iran, Téhéran, p. 345-358.

Turquie d‟espace régional, quel que soit sa taille, qui corresponde à une entité culturelle homogène qui pourrait s‟autonomiser du territoire national tel que construit historiquement. Ensuite, toute portion d‟espace intermédiaire est assimilée à son centre, de telle manière qu‟on dira « la région de Diyarbakır », le « pays de tel village », ou encore « je suis de Yozgat » pour désigner le département d‟origine, même si son lieu de naissance n‟est pas la ville de Yozgat mais une autre située dans la même province. Le chef-lieu, le lieu central, reste donc le lieu de référence pour la portion d‟espace qui l‟entoure, et le toponyme auquel l‟attachement symbolique est le plus fort. Toutefois, M. Bazin ne réfute pas catégoriquement l‟existence de régions particulièrement bien identifiables et identifiées comme telles.

Il démontre que plusieurs ensembles d‟échelle régionale peuvent être identifiés en Turquie hors de la référence systématique au lieu central. Il s‟agit tout d‟abord de la Çukurova, littéralement la « plaine- fosse », plaine alluviale entre les chaîne du Taurus et de l‟Amanus (Nur dağları), qui tire son homogénéité et son identification non pas de sa structure géologique mais de sa mise en culture intensive qui a construit un système régionalisé de monoculture du coton. Même élargie à d‟autres formes d‟agriculture, cette association Çukurova-coton reste très forte, renforcée en cela par la littérature de YaĢar Kemal notamment159

. La Thrace est aussi une région à forte singularité, relevant plus d‟une construction historique que de sa position « européenne ». Certes elle réunit l‟ensemble des provinces situées à l‟Ouest des détroits du Bosphore et des Dardanelles ; mais c‟est surtout la longue histoire de son peuplement grec, devenu pratiquement inexistant avec l‟échange de population de 1922-1923, et sa situation frontalière qui lui confère aujourd‟hui cette reconnaissance régionale. La partie occidentale d‟Istanbul s‟en est progressivement détachée dans l‟imaginaire collectif tellement cette dernière s‟est autonomisée pour devenir une région – pour certains un pays – à part entière. Une troisième région homogène peut être trouvée en Cappadoce (Kapadokya), non pas du fait de la persistance d‟un trait culturel millénaire mais par une mise en tourisme assez rapide due à la concentration de cités archéologiques et d‟un paysage volcanique propice aux randonnées pédestres. Selon M. Bazin, le toponyme grec a d‟ailleurs resurgi pour faire valoir l‟image de marque de la région, au détriment du chef-lieu NevĢehir. Ces cas sont les trois exemples de région dont l‟unité et l‟image ont été construites de telle manière qu‟elles paraissent aujourd‟hui culturelles. Aucune des trois ne correspond à une unité administrative.

La Turquie connaît pourtant des régions qui, si elles ne correspondent pas non plus à une quelconque unité administrative, représentent des entités bien identifiées et délimitées par la population, qui les utilise quotidiennement dans la présentation des bulletins météorologiques. Elles sont enseignées comme étant les régions « naturelles » de Turquie et présentées dans tous les manuels scolaires de géographie. Ces derniers continuent de présenter une géographie nationale et unitaire, en faisant peu de cas des dynamiques régionales, à l‟exception du manuel édité par la TÜSIAD réalisé selon une base

159

épistémologique proche de la géographie française, mais qui reste peu diffusé160. Ce découpage a été initialement proposé lors du premier Congrès de géographie tenu à Ankara en 1941, et prend en compte les grands ensembles bioclimatiques et les structures du relief pour subdiviser la Turquie en sept régions dites naturelles161 (figure 27). Quatre sont nommées en fonction de le mer qui les borde : mer Noire, Marmara, Egée, Méditerranée, les trois autres se partageant l‟Anatolie : Anatolie centrale, Anatolie de l‟est, Anatolie du sud-est. Ce découpage, affiné depuis par des subdivisions régionales (bölum en truc), sert donc toujours de référence, mais ne correspond à aucune forme administrative, politique ou culturelle d‟éventuelles régions. Cette absence n‟est pas anodine ; elle s‟explique par la construction historique fortement centralisatrice du pays, et la révèle à la fois.

Figure 27: Les sept régions dites naturelles de la Turquie (Congrès de Géographie de 1941) Source : Devlet Planlama TeĢkilatı

1.2.

Les périphéries dans la construction nationale

Les rapports entre le pouvoir central et le territoire qu‟il gouverne peuvent être analysés de manière dialectique en terme de centre et de périphérie. Combinés aux rapports de domination économique, ces rapports politiques sont basés sur des échanges fondamentalement asymétriques (Reynaud, 1981). Si cette approche marxiste des relations de pouvoir entre plusieurs espaces a depuis été revisitée, le modèle centre-périphérie est mobilisé par ġerif Mardin pour analyser les rapports entre le gouvernement central et les provinces turques162. Sans entrer dans les détails des relations entre le pouvoir central, la Porte, et les provinces au sein de l‟Empire ottoman, il est intéressant d‟aborder la place des périphéries turques dans une perspective géo-historique. Les recherches actuelles sur les transformations du systèmes truc d‟administration territoriale s‟accordent en effet sur le fait que la fin de l‟Empire et le début de la République ont créé un « traumatisme des séparatismes », qui explique

160

Füsun Üstel (dir.), 2001, Coğrafya 2002, TÜSIAD, Istanbul.

161

Birinci Coğrafya Kongresi, Raporlar, müzakereler, kararlar (Premier Congrès de Géographie, Rapports, débats, décisions), 6-21 Juin 1941, Ankara, cité par Marcel Bazin, 2000, op. cité

162

selon Elise Massicard la frilosité toujours d‟actualité du pouvoir central turc à propos de la question régionale163.

1.2.1. La fin de l’Empire ottoman et le « syndrome de Sèvres »

L‟Empire ottoman a connu de profonds bouleversements au cours du XIX° siècle et au début du XX° siècle, du fait essentiellement de sa contraction territoriale progressive. Selon E. Massicard (2008), cette période est marquée par l‟essor de nombreux nationalismes et l‟accès à l‟autonomie voire l‟indépendance de certains territoires, souvent obtenues avec l‟aide des puissances européennes qui alimentèrent les nationalismes pour perturber par les côtés les structures impériales. On peut citer par ordre chronologique164 : le Congrès de Berlin en 1878 qui reconnaît l‟indépendance de la Serbie et de la Roumanie ; l‟accession à l‟autonomie de la Bulgarie puis son indépendance en 1908 ; la Bosnie et l‟Herzégovine annexées par l‟Autriche en 1908 ; l‟indépendance de l‟Albanie et la perte de la Libye au profit de l‟Italie en 1911. Les guerres balkaniques de 1912 et 1913 signèrent la fin de la présence ottomane dans les Balkans, et la révolte arabe de 1916, fomentée par la Grande-Bretagne pour déstabiliser l‟Empire pendant la Première Guerre Mondiale, aboutit à la perte de la quasi-totalité des provinces arabes. L‟impression dominante, et interprétée comme telle par les nouvelles élites militaires et politiques de l‟époque, est que les puissances étrangères sont prêtes à soutenir n‟importe quelle revendication nationaliste pour attaquer l‟Empire depuis ses périphéries.

Le déroulement et surtout la fin de la Première Guerre Mondiale accentuent encore plus cette analyse. Le front ouvert avec la Russie dans un territoire principalement peuplé d‟Arméniens amena le pouvoir central à réprimer fortement les soulèvements locaux et à instaurer une politique systématique de nettoyage ethnique, qui a abouti au génocide des Arméniens. La défaite finale des forces des Empires centraux entraîne une occupation militaire d‟une grande partie du territoire impérial. En 1920, le Traité de Sèvres qui est censé poser les termes de la défaite ottomane propose la création d‟un Etat arménien indépendant, un statut d‟autonomie pour les Kurdes, le partage d‟une partie de l‟Anatolie entre la Grèce et l‟Arménie. L‟Empire ottoman est ainsi réduit à une portion infime de son territoire au centre de l‟Anatolie, avec pour seule ouverture une partie du littoral de la mer Noire. Ce Traité n‟a jamais été appliqué car la guerre d‟indépendance menée par Mustafa Kemal a imposé de nouvelles frontières au Traité de Lausanne, mais la portée symbolique du Traité de Sèvres reste fondamentale dans la perception de la défense du territoire national turc. Comme le souligne E. Massicard, « s’il ne fut

jamais ratifié, ce traité a eu des conséquences à long terme, notamment par le traumatisme collectif appelé « syndrome de Sèvres » qu’il a engendré et qui se manifeste par la crainte du démembrement et de la sécession, et la suspicion à l’égard de toute velléité autonomiste »165

.

163

Elise Massicard, 2008, « Régionalisme impossible, régionalisation improbable. La gestion territoriale en Turquie à l‟heure du rapprochement avec l‟Union européenne », Revue d’Etudes Comparatives Est/Ouest, vol. 39, n°3, p. 171-203.

164

Pour plus de détails, on peut se référer à Paul Dumont, Françeois Georgeon, 1989, « La mort d‟un Empire, 1908-1923 », in Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, p. 577-647.

165

La crainte d‟un démembrement par des forces extérieures est renforcée par la peur d‟une sécession intérieure. Hamit Bozarslan date l‟apparition de cette crainte permanente d‟un « ennemi de l‟intérieur » de la révolte de ġeyh Saït de 1925 (Bozarslan, 1997). D‟inspiration religieuse et clanique, cette révolte contre le pouvoir central localisée dans le Sud-est a été lourdement réprimée par le pouvoir central. Jugés par un tribunal de l‟indépendance, issus des tribunaux de guerre, les dirigeants ne sont pas condamnés pour des raisons religieuses mais bien parce que « les causes et les origines de

la dernière révolte qui a éclaté dans les provinces orientales de l’éternelle patrie turque sont identiques à celles […] qui, malgré une fraternité de cinq siècles, ont mené les Albanais à frapper dans le dos des Turcs qui ont toujours montré la plus grande affection à leurs compatriotes »166. Dès lors, la volonté de préserver l‟intégrité territoriale est érigée en principe pour les cadres administratifs de la jeune République de Turquie, et toute action pouvant laisser suggérer une menace séparatiste est immédiatement réprimée. La révolte de Dersim (1938) en est un exemple. La population locale kurde alévie avait voulu s‟émanciper de la tutelle étatique ; la ville a été immédiatement bombardée par l‟aviation militaire.

1.2.2. Intégrité territoriale et unité nationale

La peur du démembrement, du séparatisme, est d‟autant plus forte que la création du « syndrome de Sèvres » s‟est accompagnée d‟une guerre d‟indépendance victorieuse et coûteuse, qui est rapidement devenue le socle de l‟unité nationale. Comme le montre J.F. Pérouse, le territoire de la Turquie n‟est pas un héritage de l‟Empire ottoman ; il est le résultat d‟une conquête militaire sur des forces occupantes étrangères167. Cette guerre d‟indépendance, et la construction de la légende qui accompagne ce roman national, prolongée par le Traité de Lausanne et la récupération du Sandjak d‟Alexandrette sur le mandat français en Syrie en 1939, a sacralisé le territoire national en tant que partie constitutive de la Nation turque. Le crédo politique de la première Grande Assemblée réunie à Erzurum avant la libération du pays était : « Nous n’en demanderons pas plus, mais nous n’en

accepterons pas moins ». L‟unité territoriale est ainsi devenue un principe fondamental de la

République de Turquie, inscrit dans la Constitution, auquel rien ne peut déroger. Une régionalisation du pays, entendue comme la création d‟entités spatiales pouvant avoir des pouvoirs autonomes et donc les exercer pour mener des politiques différentes d‟une région à une autre, et donc immédiatement suspecte de séparatisme.

Cette unité nationale ne s‟est pas faite en un jour. L‟ensemble des réformes menées par Mustafa Kemal Atatürk a eu pour but de la construire. Sur le plan territorial, M. Bazin souligne bien qu‟aucun découpage régional ou provincial ne peut être assimilé à un caractère ethnique ou culturel (Bazin, 2000). Le souci de la construction d‟une nation unifiée a entraîné une négation de la diversité du peuplement turc, diversité qui ressort au cours des années 2000 sous l‟expression de la « mosaïque

166

Verdict du Tribunal d‟indépendance contre Cheikh Said, cité par Hamit Bozarslan, id.

167

anatolienne » (Bazin, 2005). Selon Ildikó Bellér-Hann et Chris Hann, la nouvelle République a même brouillé les caractères régionaux culturels à dessein, comme dans la région du « Lazistan » au nord-est de la Turquie, région qui a méticuleusement été découpée en plusieurs provinces168. Signifiant « région des Lazes », ce toponyme n‟existe pas, il a même été banni dès 1926 car il était trop identifié à l‟ancien pouvoir impérial. La construction d‟une identité locale s‟est donc faite par département et par l‟inscription de celui-ci dans l‟historiographie nationaliste victorieuse. L‟histoire locale n‟est pas enseignée, et elle ne se manifeste que par une présence patrimoniale marquante ou par la participation d‟une manière ou d‟une autre de la ville à la guerre d‟indépendance (Massicard, 2008).

La question régionale est d‟autant plus sensible en Turquie qu‟elle évoque presque automatiquement la question kurde. Certes, comme le souligne J.F. Pérouse, la question kurde n‟est plus une question strictement régionale du fait notamment des fortes migrations internes et du bouleversement du peuplement kurde à l‟intérieur du territoire national (voire international avec les migrations européennes), mais la question régionale ne peut éluder la question kurde (Pérouse, 2005). Le tabou imposé à partir des années 1960 au nom de l‟unité nationale construite autour de la turcité n‟a pourtant pas effacé le fait culturel kurde, qui est resté fortement présent dans la toponymie officieuse, quand la République cherchait à imposer de nouveaux noms turcs, et dans la vie courante par l‟utilisation quotidienne de la langue kurde. La région kurdophone est ainsi désignée, par euphémisme ou par périphrase, par le mot « région » (bölge) ou par le nom officiel de la région naturelle, « Anatolie du Sud-est » (Güneydoğu Anadolu). Pourtant, le mouvement pro-kurde n‟est pas uniforme et ses revendications ont grandement évolué avec le temps. Si au départ le PKK menait une guerre de libération nationale au nom de l‟auto-détermination des peuples, les revendications actuelles sont avant tout d‟ordre culturel. Les députés des partis pro-kurde revendiquent ainsi le droit de parler kurde,

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