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Réflexion critique autour des impacts macroéconomiques de la décroissance

3. LES THÉORIES ET MODÈLES ALTERNATIFS À LA CROISSANCE

3.3 Économie écologique et décroissance

3.3.2 Réflexion critique autour des impacts macroéconomiques de la décroissance

La décroissance et la création d’un cadre macroéconomique vert et durable demeurent un champ à explorer, car ce cadre est quasiment inexistant. (Gagné, 2018) Depuis la mondialisation, les industries gigantesques, la concentration de richesse, la finance spéculative et la dépendance à l’égard des combustibles fossiles ne semblent pas être sur le point de disparaitre et sont très peu adaptées pour un nouveau paradigme économique (Klitgaard et Krall, 2011). La croissance est historiquement un outil qui a amélioré les conditions de vie durant de nombreuses années dans les pays développés. (Jackson, 2017) Ainsi, l’implantation de la décroissance dans tous les niveaux des modèles capitalistes va rencontrer une forte opposition.

Thomas Piketty, prix Nobel d’économie et spécialisé dans les inégalités sociales, précise que de nombreuses réserves sont exprimées sur les théories de la décroissance. Plus précisément qu’elles sont vues comme conduisant à l’accroissement des inégalités. (Piketty, 2014) Dans un ouvrage qui fait référence en matière d’alternatives à la croissance, Peter Victor explore les effets de celles-ci. (Victor, 2008) Ainsi, dans un cadre macroéconomique et avec les indicateurs actuels, une simulation conduite par cet économiste analyse une économie ou l’investissement, la production et la croissance sont quasiment nuls. Les résultats de ces projections sur 30 ans montrent une catastrophe économique où la perte d’emplois, l’endettement et la pauvreté viennent affaiblir la société. (Victor, 2008)

La décroissance peut conduire à de grandes inégalités, surtout relative à l’emploi. En effet, il semble logique de prédire une augmentation du chômage suite à la baisse généralisée de la consommation. Prendre des mesures de protection des salaires et de l’emploi au niveau macroéconomique devient nécessaire pour empêcher les stratégies de réduction des couts. Dans une optique capitaliste, afin de rester productives, les entreprises veulent compenser le ralentissement de la croissance par des stratégies de concurrence des prix de vente. Ainsi, il faut utiliser les institutions pour limiter l’accroissement des inégalités et la dégradation des services publics, particulièrement dans une projection où le prix des biens sur le marché va augmenter significativement. De plus, l’amélioration technologique fait diminuer les prix, et si la demande n’augmente pas proportionnellement, alors moins de main d’œuvre est nécessaire. Donc dans une perspective de décroissance de tout le système, la diminution d’emplois va entrainer une diminution de la demande. (Jackson et Victor, 2016; Victor, 2008; Jackson, 2017) Le temps de travail doit

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être mieux réparti de façon anticipée. Il doit être plus équitable entre ces économies et le temps doit être libéré pour les sphères non rémunérées, mais essentielles. (Pineault, 2013)

Jackson précise qu’il faut cesser de raisonner de façon marginale, car toute notre économie est basée sur l’impact de la production de l’unité économique suivante. Donc, puisque chaque décision et chaque outil sont pensés de façon marginaliste, se séparer de l’impératif de croissance économique devient très difficile. (Jackson, 2017)

Jackson utilise le terme « slow capital » pour désigner ce nouvel objectif d’investissements où la recherche de rendements à court terme et la spéculation ne sont plus l’épine dorsale de l’économie. Ainsi, c’est l’investissement de long terme, dans les infrastructures, dans le renforcement du tissu social, et dans la préservation du capital naturel, qui est favorisé. (Jackson, 2017)

Il est certain que dans une perspective mondiale, peu de solutions réalistes sont avancées pour encadrer la décroissance. Cette vision n’est que peu partagée et c’est donc à plus petite échelle qu’il sera possible de décroitre positivement, c’est-à-dire en améliorant le bienêtre et en limitant les inégalités. Une critique récurrente de la décroissance est qu’elle est très radicale et nécessite une refonte quasi intégrale de nos institutions. Les dérives sont nombreuses et la crainte, celle qu’elle engendre de trop nombreuses contraintes et inégalités, l’est aussi. De plus, le côté encore idéaliste des théories est souvent critiqué pour justifier une inaction de la part des décideurs politiques, qui estiment que l’application à l’ensemble de la population des principes de décroissance serait impossible et que cela ne garantit en rien de résoudre la crise environnementale. (Van den Bergh, 2011)

Afin de faire diminuer le besoin en énergie et donc diminuer la taille d’une économie, il faut définir plusieurs échelles d’analyse. Ainsi, chaque niveau est étudié pour comprendre comment les ressources sont réparties et par la suite redéfinir cette allocation. Définir plusieurs cadres d’analyse métabolique permet de simplifier et d’optimiser les flux selon les principes de thermodynamique pour chaque niveau d’échelle. Ainsi, il s’agit d’analyser une économie selon les contraintes d’énergies et de ressources limites et le principe de dégradation entropique, expliqué précédemment. (Pineault, 2018) Le fait d’optimiser la structure actuelle serait déjà un pas vers la décroissance physique de l’économie et limiterait ces impacts. Jackson précise lui-même que la décroissance physique n’est pas la solution à tous les problèmes environnementaux de la société. En effet, pour stabiliser les émissions globales de GES en 2050, il faudrait que la plupart des pays occidentaux diminuent leur total d’émission de 80 %, que ce soit par la diminution de leur économie ou bien même par une amélioration de leur métabolisme social. (Jackson, 2017)

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Les propositions radicales de l’économie de la décroissance, afin de résoudre l’impasse écologique, se heurtent aux critiques sur leurs faisabilités et l’acceptabilité sociale. Le paradigme de la décroissance sonne encore comme une régression pour la société, qui freine les dirigeants et la population. De plus, la réduction de la taille de l’économie entraine une série de ruptures, qui vont chambouler le système actuel de production et de valeurs. Il apparait alors essentiel que le mouvement soit diffusé depuis la base, grâce aux initiatives citoyennes ou communautaires, et de valoriser ces nouvelles formes d’organisation pour améliorer la résilience de l’économie. (Pineault, 2013)