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L’économie environnementale et la question du découplage, un premier pas

3. LES THÉORIES ET MODÈLES ALTERNATIFS À LA CROISSANCE

3.1 Origines et définitions des théories d’économie écologique

3.1.2 L’économie environnementale et la question du découplage, un premier pas

La distinction entre l’économie environnementale et l’économie écologique est importante. L’épuisement des ressources et la dégradation de l’environnement ont poussé les économistes à se poser la question de la disponibilité des ressources naturelles. La distribution de celles-ci et les pénuries pouvant engendrer une baisse de la croissance; des théories ont vu le jour. La question de l’économie de l’environnement sera explorée dans cette section. Quant à l’économie écologique et au courant de la décroissance, ils feront l’objet d’une autre section de ce chapitre.

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Les économistes de l’environnement s’attaquent essentiellement à optimiser le capital naturel, sans remettre en cause la croissance économique. La biosphère est une limite à l’économie, mais l’économie s’attache à s’étendre et optimiser toutes les ressources disponibles (figure 3.2).

Figure 3.1 Schéma du paradigme de l’économie de l’environnement (tiré de : Pineault, 2013)

La notion du découplage est particulièrement centrale, ainsi que le principe de substituabilité des facteurs. L’évolution technologique est une solution censée permettre à la croissance économique de continuer tout en limitant drastiquement l’impact écologique des activités humaines. L’économie de l’environnement est donc une science de la gestion de la rareté et de la prise en compte des externalités. Parmi les solutions les plus couramment proposées : la taxation, la régulation de l’extraction, l’allocation des ressources et l’évolution technologique. (Pineault, 2013)

Le découplage repose sur la notion que chaque nouvelle unité économique doit avoir des impacts limités sur la biosphère. Le découplage absolu est effectif quand la consommation de ressources diminue par rapport à son niveau précédent, indépendamment des fluctuations de la croissance. Le découplage relatif correspond à une diminution de l’intensité, c’est-à-dire que l’impact de chaque nouvelle unité économique est inférieur à la précédente. Le découplage relatif ne diminue pas l’impact général des activités humaines, mais limite les dégâts des activités présentes et futures. Néanmoins, le découplage relatif n’est pas capable d’empêcher l’économie d’atteindre les limites de la planète, car s’il ralentit le processus, il s’agit toujours d’une accumulation croissante d’impacts. Le concept de développement durable illustre l’idée de découplage relatif. Ainsi, il faut limiter les impacts écologiques tout en améliorant les conditions sociales et en soutenant la croissance. Le découplage absolu fait néanmoins figure de seule solution quand arrive le constat qu’une accumulation des impacts, si petits soient-ils, ne peut se faire de façon illimitée. C’est donc l’impact global qui doit diminuer, ce qui implique un découplage absolu ou une rupture avec le paradigme de croissance économique illimitée. Le découplage voulu ces dernières décennies ne démontre

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pas que les améliorations technologiques et l’optimisation des procédés peuvent, à eux seuls, engendrer un découplage absolu. De plus, la diminution de l’impact absolu des pays développés s’explique souvent par un déplacement des impacts vers des pays en développement. (Jackson, 2007; Pineault, 2013) Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement l’industrie, il y a une augmentation de la productivité de chaque intrant de matière première et d’énergie. L’amélioration des procédés amènerait donc une diminution des couts économiques et écologiques. Mais si cette amélioration est possible, un découplage absolu de la production implique que l’intégralité du secteur connaisse ces améliorations de technologies et de procédés plus rapidement que le rythme de sa croissance économique. Pour un secteur autant interrelié à l’extraction, cela semble très difficile sans ajouter les principes de dégradations entropiques qui seront expliqués dans la sous-section suivante. (Jackson, 2007; Abraham, Murray et al., 2015)

Le principe de la transition écologique souvent utilisé dans l’industrie est une notion de découplage relatif. En effet, il s’agit de substituer des facteurs de productions énergétiques, entre autres, par des nouvelles technologies qui semblent moins polluantes. Seulement, si l’analyse est faite d’un point de vue systémique, plusieurs de ces améliorations n’apportent qu’une baisse très faible des impacts. Certaines de celles-ci sont d’ailleurs uniquement des solutions momentanées, qui permettent de décaler les impacts temporairement et sur la durée, mais qui ne diminuent pas leur taille absolue. (Bihouix, 2015) Dans cette même catégorie de solution, les politiques économiques, comme le Green New deal, sont très souvent avancées. Il s’agit ici d’appliquer les grands principes du keynésianisme pour relancer la croissance en misant sur des pratiques plus durables. C’est-à-dire se baser sur l’investissement public pour orienter le marché et intégrer les externalités négatives. Cette pratique est avancée comme une solution pour diminuer les insécurités, limiter les impacts écologiques, aider à la transition énergétique, faire décroitre l’insécurité alimentaire. (Barbier, 2012) Cette modification radicale de notre modèle productif et par-delà social, découlant d’un découplage absolu, ne semble pas possible dans les cadres actuels de l’économie. Ces théories, bien qu’elles résolvent certains problèmes urgents, ne prennent pas en compte que les ressources vont inexorablement s’épuiser et que le modèle économique ne semble pas viable, ni écologiquement ni socialement. De plus, la prédominance de la croissance dans les notions très populaires du progrès et du « développement durable » ne vient pas chercher un changement de paradigme réel, bien qu’elle soit le déclenchement de nombreuses évolutions dans les manières de faire. (Rohdain, 2007; Laurent et le Cacheux, 2015; Meadows, 1972)

L’économie de l’environnement est donc la gestion de la rareté et la prise en compte des couts des dommages écologiques, mais n’a pas pris encore en compte la question de la soutenabilité. Cette notion

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est l’axe qui fera basculer la réflexion au-delà de l’économie de l’environnement, dans une analyse de la soutenabilité du modèle économique. Les différents courants de l’économie écologique reprennent parfois certaines idées de l’économie de l’environnement, notamment des notions d’intégrer les externalités au marché, mais elles ouvrent aussi la porte à un changement de paradigme. (Pineault, 2018) Ce chemin de réflexion va être parcouru dans la sous-section suivante.