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Les références aux distances, aux obstacles et aux itinéraires

CHAPITRE I : ESPACES ET ITINÉRAIRES

1.2. Voyages et déplacements en Orient byzantin

1.2.2. Les références aux distances, aux obstacles et aux itinéraires

Bien que l’enjeu des déplacements soit central à la quatrième croisade, les chroniqueurs à l’étude ne décrivent que très peu la manière dont ils voyagent, quelles routes ils empruntent ou comment le transport se déroule. Concernant le périple sur mer, comme on l’a vu, il est possible de reconstituer l’itinéraire des pèlerins à partir des arrêts qui sont mentionnés durant le trajet80. Également, à partir des références au temps, on peut bâtir une chronologie englobant les grandes étapes de la croisade, comme l’arrivée des Occidentaux devant Jadres ou à Constantinople. Alors que la reconstitution précise de ces voyages soit tout simplement impossible, on retrouve parfois certaines traces de l’effet de ces déplacements sur les auteurs. Quittant Corfou le 24 mai 1203, Villehardouin souligne que « la journée était belle et claire, et le vent doux et léger81. » Malheureusement, faute de sources, on ignore comment ce voyage sur mer se déroule, ou si la flotte rencontre des obstacles sur la route de Constantinople.

80 Au besoin, revoir la partie 1.1 pour mieux se représenter les déplacements.

81 « li jors fu bels et clers, et li venz dolz et soés. Et il laissent aller les voilles al vent. » Geoffroy de

Suite à la conquête de Constantinople et à la création de l’Empire latin, les Occidentaux se voient dans l’obligation de défendre le territoire nouvellement acquis. S’étendant loin au nord et au sud du Bras Saint-Georges, les Latins doivent optimiser leurs déplacements afin de couvrir rapidement cette vaste étendue terrestre. Pour se faire, ils empruntent en Thrace orientale les deux routes principales leurs permettant de se déplacer entre les différentes villes de l’empire : la Via Militaris et la Via Egnatia. C’est également ces voies qu’utilisent les pèlerins des croisades précédentes, qui quittaient l’Europe en direction de Jérusalem en passant par Constantinople pour traverser le détroit82.

La via militaris relit l’Europe central à la capitale byzantine au travers des Balkans. Cette route, qui débute à Belgrade, descendait en direction du sud-est en passant par Andrinople (Edirne), Arcadiople (Lüleburgaz) et le Churlot (Çorlu), pour s’arrêter au nord de la Marmara, tout près de Rodestoc (Tekirdag). D’autres plus petites voies, comme celle reliant le Dimot (Kastro Didymotichou) à Pamphile (Uzunköpru) et Chariople (Hayrabolu), sont toutes connectées à la via militaris. Ce passage est largement emprunté durant toute l’époque byzantine, et est vital afin d’assurer le cheminement de vivres et d’hommes en provenance d’Europe jusqu’à l’Empire latin83. De plus, Johannice84 et ses troupes utilisent cette route à maintes reprises pour faire des incursions en territoire latin et y capturer des places-fortes.

Quant à la via Egnatia, elle s’étendait d’ouest en est, de Dyrrachium (Durrës) jusqu’à Constantinople. Cette route reliait Byzance aux villes importantes du nord de la

82 Nenad Fejic, « Les Balkans aux yeux des voyageurs occidentaux », p. 281.

83 Andreas Kuelzer, « The byzantine road system in eastern Thrace: some remarks », dans Charalambos

Bakirtzis, Byzantine Thrace Evidence and Remains, Amsterdam, A. M. Hakkert, 2011, p. 181-183.

Marmara, comme Rodestoc ou Salembrie (Silivri), transitait par Philippes (Plovdiv) et par Salonique (Thessalonique), pour se terminer sur la rive orientale de la mer Adriatique85. Cette route couvre l’entièreté du nord de la Marmara, et fournit un accès facile à de nombreuses villes importantes de l’empire. Également, il s’agit à l’époque de la principale route reliant l’empire de Baudouin I au royaume de Thessalonique dirigé par Boniface de Montferrat.

Malheureusement pour nous, Villehardouin et Clari ne font pas mention de routes lorsqu’ils décrivent des déplacements entre deux villes de Romanie. Également, les chroniqueurs français ne détaillent que très peu le déroulement des trajets et les obstacles rencontrés durant leurs voyages. À cheval ou à pied, ces mouvements ont généralement pour but de conquérir des villes grecques ou combattre le Tsar des Bulgares qui menace constamment les frontières de l’empire. Bien qu’il soit évident que ceux-ci empruntent ces voies principales dans leurs voyages, on se retrouve dans l’obligation d’utiliser d’autres sources afin de reconstituer l’itinéraire des Latins. Également, à partir des noms de lieux, on peut se faire une idée générale des routes grecques qu’ils empruntent86.

Il ne faut toutefois pas penser que les chroniqueurs n’accordent aucune importance aux déplacements. En effet, ceux-ci mentionnent à de nombreuses reprises les transports qu’ils utilisent afin de se mouvoir sur terre et mer. Tout d’abord, il y a 143 mentions de bateaux qui se retrouvent dans le témoignage de Villehardouin et Clari, concentrés surtout autour du voyage par la mer et des prises de Constantinople sur l’eau. Puis, on retrouve

85 Andreas Kuelzer, « The byzantine road system in eastern Thrace: some remarks », p. 190-193.

86 Alors qu’on connait bien les routes principales de Romanie, on en sait très peu sur les routes secondaires

qui reliaient les plus petites villes de l’empire. Celles-ci sont tout simplement absente des sources. Andreas Kuelzer, « The byzantine road system in eastern Thrace: some remarks », p. 180.

120 mentions de chevaux à travers les chroniques, qui servent généralement à décrire comment les Latins se déplacent d’une ville à une autre. À l’occasion, on accorde à ces déplacements un indice de distance ou de temps, nous permettant de mieux nous représenter la durée d’un trajet87.

Néanmoins, l’intérêt que porte les chroniqueurs aux déplacements n’est pas le même qu’ils accordent aux descriptions de l’espace et aux grandes étapes militaires de la conquête de Constantinople. En effet, Villehardouin et Clari ne font que mentionner les voyages qui ont lieu, sans toutefois décrire comment les trajets se déroulent, quelles routes ils empruntent ou quelles techniques sont mises de l’avant afin d’optimiser ces changements d’espaces. Selon eux, ces détails ne viennent tout simplement pas enrichir l’histoire qu’ils tentent de raconter. Ceci explique donc pourquoi ils préfèrent se concentrer sur les descriptions de leur entourage, à partir desquels on tentera de dégager une représentation de l’espace.